11 mai
Ecosse : Le petit frère veut s’émanciper

in New Statesman*, Courrier International, n°860, 26 avril - 2 mai 2007

Liés à l’Angleterre depuis trois siècles, les Ecossais ne se contentent pas de l’autonomie actuelle. Leur prog...[Read article]


19 avril
(GIF) Grèce : Athènes réinvente l’espace balkanique

in Jutarnji List (extraits), Courrier International, n°859, 19 avril 2007.

En mal de partenaires stratégiques européens, la Grèce se tourne vers ses voisins avec l’ambition de devenir l...[Read article]


15 mars
(GIF) Irlande du Nord : Petit à petit, l’économie réunifie l’île

in The Guardian*, Courrier International, n°854, 15 mars 2007.

Après les élections du 7 mars, un gouvernement nord-irlandais devrait être formé, le 26, par les unionistes et les national...[Read article]


ARCHIVES

(GIF) Russie : Bienvenue à Gazpromville

in Corriere della Sera*, Courrier International, n°849, 8 février 2007.

Novy Ourengoï est la capitale de l’extraction du gaz. Dans cette ville nouvelle située au cœur des gisements sibériens, le géant de l’énergie marque tout de son sceau… et veille au bien-être des habitants.

Au commencement, il n’y avait rien. Rien que la glace, le silence et la pâle lumière d’un soleil qui n’arrive pas à conquérir le ciel. Parce qu’en hiver, lorsque le vent burine les visages et que le thermomètre descend à – 60 °C, le jour ne dure pas plus de quatre heures. Aujourd’hui, la seule différence, ce sont ces flammes, tout au fond. Les torchères. C’est le premier signe qu’un trésor se cache sous ce rien. Le second signe arrive aussitôt après, quand une voix appelle à trinquer : “Za nas. Za vas !” A nous, à vous. Pause. Et puis : “Za gaz !” Au gaz. Bienvenue à Novy Ourengoï, Sibérie du Nord, à 2 500 km de Moscou et à 60 km du cercle polaire. Ici, il neige de la fin août aux premiers jours de juin. La verdure n’apparaît que l’été et, l’hiver, le reste de la Russie est appelé “la Grande Terre”, le Continent – comme on dit quand on vit sur une île. Il y a trente ans, cette ville n’existait pas. Puis la vie a soudain fleuri grâce aux gisements de gaz naturel, les plus riches du monde. Une région de 6 000 km2, qui, avec celle de Iamal, sa voisine, fournit 85 % du gaz russe et 20 % des réserves mondiales. Pas moins de 500 milliards de mètres cubes y sont extraits chaque année. Si ce matin vous avez allumé votre cuisinière pour faire le café, il est fort probable que votre gaz arrive de l’un des 2 500 puits qui ont été forés dans une cuirasse de pergélisol épaisse de 400 mètres et qui peuvent descendre jusqu’à 3 900 mètres de profondeur dans les zones formées de trois couches, qu’ici on appelle “gâteau Napoléon” [le nom russe du mille-feuille]. Novy Ourengoï est un excellent point d’observation pour qui veut comprendre comment Vladimir Poutine est en train d’essayer de reconstruire l’empire en s’appuyant sur trois piliers : les ressources qui jaillissent des veines de la Mère Russie, la fierté de son peuple et l’argent. Ici, les trois sont réunis depuis toujours – ou plutôt depuis les années 1970, époque où les premiers techniciens furent envoyés dans la région pour chercher du pétrole. On dit que le gaz a surgi par hasard. Des bateaux s’étaient trouvés piégés dans les glaces de la Lena, l’un des trois fleuves de la région. Les pétroliers qui étaient à bord ont commencé à faire des forages pour passer le temps. C’est du gaz qui est sorti. Bientôt sont apparus quelques baraques et des wagons, puis des cerveaux et des bras sont arrivés, en partie en provenance des camps de travail. On a construit la première rue de la ville, un alignement de maisons basses en bois, qui a été baptisé Optimist. Aujourd’hui, la rue principale s’appelle Leningradskaïa, “parce que beaucoup d’ouvriers sont venus de la capitale du Nord” – ceux que l’on appelle fièrement les “pionniers”. Novy Ourengoï est certes encore une ville fermée, pour des questions de sécurité : les Russes ne peuvent y entrer qu’avec un permis de l’administration. Mais elle grandit à toute vitesse. Aujourd’hui, elle compte 110 000 habitants. Les gros bâtiments carrés de style soviétique sont en train de céder le pas à des résidences élégantes. La circulation est dense, les autos sont neuves pour la plupart. Et on trouve de tout dans les supermarchés, les authentiques Ferrero Rocher comme leurs imitations chinoises. Mais la marque que l’on voit partout est russe : Gazprom. Le colosse – qui procure du travail à 350 000 personnes dans le monde et qui vaut 260 milliards de dollars en Bourse – s’appelle ici Ourengoïgazprom. Et il est omniprésent : on vole dans des avions Gazprom ; on regarde la chaîne télé de Gazprom ; on boit Gazprom, parce le G bleu ciel est imprimé sur les tasses du bar. On écoute même les Jazzprom, un groupe de cinq musiciens. Et, sur Internet, le logo de l’entreprise flotte dans la page d’accueil du site de l’équipe de volley. C’est beaucoup plus que du parrainage, et on le comprend en parlant avec le père Alexeï, 27 ans, le pope, qui nous raconte comment l’église de Saint-Séraphin a été reconstruite en quarante jours après l’incendie qui l’a détruite, en 1997, “grâce aux collectes des fidèles et à la contribution de Gazprom, qui a payé l’iconostase”. Ou en parcourant les couloirs de la maternité, petit bijou d’efficacité où 1 400 enfants naissent chaque année, lorsque la doctoresse Nelia Khorochina glisse : “Grâce à Gazprom, qui assure une grande partie de notre budget.” Nadejda Chagrova, directrice du centre culturel Gazodobytchik (une salle de concert de 600 places, un centre sportif, un théâtre pour enfants, des salles de cours et de conférence…), dit à peu près la même chose. “Gazprom ? (Sourire.) La compagnie continue à nous aider. Ça veut dire qu’elle a besoin de nous.” Ici, le gaz, c’est le bien-être. Dehors il fait – 30 °C. Il fait nuit et il neige. Et pourtant, les voitures circulent. Les gens aussi. Les magasins sont ouverts jusqu’à 23 heures. Les restaurants, les bars, les discothèques sont pleins. Bref, on a l’impression qu’on y vit bien. Certainement mieux qu’ailleurs en Russie. Car les salaires sont élevés. “Ils vont jusqu’à 1 500 dollars pour un ouvrier”, explique Alexandre Iliassov, vice-directeur pour le développement stratégique d’Ourengoïgazprom. Soit plus du triple du salaire russe moyen. A cela s’ajoutent les aides pour les vacances et pour le logement, l’assistance médicale et l’éducation des enfants. “Auparavant, les gens venaient ici travailler quatre ou cinq ans, ils mettaient de l’argent de côté pour leur datcha, et puis ils rentraient chez eux”, se souvient Alexandre Iliasov. Aujourd’hui, ils sont nombreux à rester. Edouard Brandman, recteur de la Yamal Oil & Gas University, l’université de l’énergie (1 200 étudiants), financée, bien sûr, par Gazprom, confirme : “Les gens qui ont vécu ici une dizaine d’années savent qu’il leur sera difficile d’aller ailleurs tout en gardant le même niveau de vie. Nous sommes proches des standards de Moscou.” Résultat : cette ville jeune, trente ans à peine, a une population jeune. “La Russie a un problème démographique, elle vieillit”, observe l’adjoint au maire. “Ici, nous avons une courbe des âges atypique : sur 112 000 habitants, 29 800 ont moins de 18 ans.” Les 38 crèches et les 20 collèges sont pleins. Maria appartient elle aussi à la nouvelle génération. Elle est née il y a tout juste cinq heures, à la maternité. Enveloppée dans des langes, comme c’est ici l’usage, elle dort. Rouslana, sa jeune mère, la regarde et sourit. “Comment je m’imagine son avenir ? Je voudrais qu’elle fasse des études d’économie, comme moi. Qu’elle soit heureuse. Et qu’elle vive ici.”

* Fondé en 1876, sérieux et sobre, le journal a su traverser les vicissitudes politiques en gardant son indépendance, mais sans se démarquer d’une ligne quelque peu progouvernementale. Le premier quotidien italien mentionne toujours “della sera” (du soir) dans son titre, alors qu’il sort le matin depuis plus d’un siècle. Dès sa naissance, le Corriere s’est affirmé comme le journal de référence italien et le porte-parole de la bourgeoisie industrielle du Nord. Son format, très grand pour un quotidien moderne, participe à cette image de sérieux et de tradition. La “vecchia signora” de Milan appartient au groupe RCS, qui édite également la fameuse Gazetta dello Sport et qui détient 45 % du capital du quotidien espagnol El Mundo. Tout comme son concurrent La Stampa, le Corriere est lié à la famille Agnelli, dont la holding Ifil contrôle 46 % de Holding di Partecipazioni Industriali, le propriétaire de RCS. Comme les autres quotidiens nationaux italiens, le Corriere est doté d’une multitude de suppléments, dont Io Donna, le féminin, et Corriere della Sera Magazine. Outre l’actualité et le numéro du jour, le site propose des chroniques tenues par certains journalistes, qui dialoguent ainsi avec les lecteurs, des rubriques spécifiques ou plus ludiques comme les Conseils pour bien dépenser ou le Corriere "pour les petits".

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1) La légitimation du nouveau pouvoir politique : les sources de la légitimité politique

2) Las multiplas formas de legitimidad en Colombia

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Ecosse : Le petit frère veut s’émanciper

Un jour, à Jérusalem, j’ai assisté à un office à la St Andrew Scots Memorial Church, une église écossaise construite à proximité de la vieille ville. Le sermon, prononcé par un prêtre palestinien issu de la tradition chrétienne presbytérienne, était consacré à saint André et aux raisons pour lesquelles les Ecossais et les Palestiniens ont tant d’affinités avec lui. Pour le prêtre, il n’y avait aucun doute sur ceci : des deux apôtres André et Pierre, qui étaient frères, comme il nous l’a rappelé, Pierre était le plus valeureux. Pierre, en effet, qui pêchait au filet, gagnait des foules entières à la cause de la toute jeune Eglise, tandis qu’André était un pêcheur à la ligne se contentant de sauver les âmes une à une. Et le prêtre conclut que, comme les Ecossais, André, saint patron des seconds rôles, se satisfaisait de vivre dans l’ombre d’un partenaire plus important – je n’invente pas. Jérusalem est un bien long voyage pour assister à un sermon sur les faiblesses de votre pays. Mais le prêcheur a marqué un point. Les Ecossais de ma génération se souviennent de l’échec du référendum de 1979 sur la dévolution : à 19 ans, c’était la première fois que je votais. Le lendemain, The Herald publiait un dessin du lion d’Ecosse, non plus fièrement cabré mais servilement blotti dans un coin, accompagné de cette légende : “J’ai peur.” L’Ecosse a-t-elle toujours peur ? Je ne pense pas qu’elle soit aujourd’hui plus nationaliste que dans les années 1970, et elle est certainement nettement moins repliée sur elle-même qu’elle ne l’était. Ce n’est pas l’affirmation d’une nouvelle identité écossaise qui représente une menace pour l’Union [de l’Angleterre, du pays de Galles et de l’Ecosse]. C’est le déclin continu, en Ecosse, du sentiment d’identité britannique, la lente déliquescence du consensus établi sur ce que signifie réellement être britannique. J’ai grandi dans le Galloway, l’extrémité sud-ouest du pays qui s’avance dans la mer d’Irlande, entourée d’eau et séparée du reste de l’Ecosse par une bande de terres rocheuses incultivables : je vivais quasiment sur une île. Enfants, on nous emmenait sur les tombes de Margaret McLachlan et de Margaret Wilson, martyres du XVIIe siècle condamnées à mort par noyade pour avoir refusé de renoncer à leur foi presbytérienne à une époque où le roi tentait d’imposer depuis Londres l’Eglise épiscopale tant exécrée. On nous a enseigné que ces deux martyres étaient mortes pour avoir refusé de se soumettre à la morale d’étrangers venus du Sud. En 1974 – je me souviens du choc –, le Galloway a envoyé un député nationaliste à Westminster. Dans tous les lieux publics était placardé ce slogan : “Ce pétrole est celui de l’Ecosse”. Mes parents, qui avaient apprécié de vivre en Angleterre, abhorraient ce ton xénophobe. Dans les années 1970, le Scottish National Party (SNP, Parti national écossais) me semblait aveuglé par un délire romantique : tourné vers le passé, centré sur la notion d’héritage, obsédé par une déplaisante conception ethnique de ce qu’était l’Ecosse. Hostile à l’Union européenne autant qu’au Royaume-Uni, c’était un parti séparatiste au sens fort du terme. Quelques années plus tard, Alex Salmond et les autres “modernisateurs” ont fini par prendre le contrôle du SNP. Ils en ont fait un parti social-démocrate européen, purgé du sentiment antianglais que tant d’Ecossais détestaient et redoutaient. La Grande-Bretagne a changé, elle aussi. Dans les années 1980, en discutant de l’Ecosse avec des amis anglais, j’ai souvent remarqué la même réaction typique, désagréable, s’articulant en deux temps. D’abord une incrédulité blessée : comment pouvez-vous nous traiter ainsi, après tout ce que nous avons fait pour vous ? Suivie d’un air de défi irrité : partez donc – on s’en fiche (signifiant : vous reviendrez bientôt en pleurant). Maintenant, mes amis anglais ne semblent plus blessés. Ils sont plutôt las, voire agacés, de cette indécision sans fin. Dans les années 1980, les Ecossais déploraient le “déficit démocratique”. Les sondages montraient que les Anglais éprouvaient de la sympathie pour les Ecossais, et leur soutien à la dévolution était parfois plus élevé que parmi les Ecossais. Mais, aujourd’hui, ils ne sont plus d’accord. Il ne s’agit pas uniquement de la “West Lothian question”. [Pourquoi les députés écossais à Westminster ont-ils le droit d’intervenir dans les dossiers anglais, alors que les députés anglais n’ont aucune influence sur les affaires écossaises ?] Ils se demandent également pourquoi, si le Trésor britannique paie pour le Nord comme pour le Sud, les infirmières d’Ecosse ont droit à une augmentation de salaire immédiate, tandis que leurs consœurs d’Angleterre et du pays de Galles doivent attendre novembre. Un sentiment d’injustice s’empare de l’Angleterre. Un récent passage à ma librairie du sud de Londres a été l’occasion d’un échange révélateur. Le libraire, un homme cultivé à qui je raconte que je travaille à une émission de radio sur 1707, me demande : “1707 ? La guerre contre la France ? — Non, l’Union. L’Acte d’union. — Désolé, mais je ne vous suis toujours pas.” J’ai été vivement surpris du peu de place qu’occupe cette date dans la conscience collective des Anglais. Existe-t-il un autre peuple en Europe qui ne connaît pas la date de la création de son pays ? En Ecosse, cette date est bien plus importante que 1066 [année de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant]. A l’école, on nous enseignait que 1707 était la date à laquelle notre pays avait décidé de s’autodétruire. Mon épouse et moi-même habitons un quartier d’Edimbourg où l’Union est célébrée par l’élégante architecture des Lumières. Chaque rue est un hymne aux vertus jumelles de la liberté et du commerce que l’Union a apportées à l’Ecosse : Rose Street et Thistle [Chardon] Street, symboliquement adjacentes, George Street croisant Hanover et Frederick Streets, en mémoire de la dynastie dont la pérennité a été assurée par l’Union. L’Edimbourg du XVIIIe siècle exprimait sa gratitude dans un geste plein de noblesse. Il a même été question de donner aux rues de la nouvelle ville d’Edimbourg la forme du drapeau de l’Union.

Les nationalistes peuvent remercier Mme Thatcher

Les raisons de cette gratitude étaient nombreuses. Lorsque l’Angleterre et l’Ecosse ont cessé d’exister pour former la Grande-Bretagne, le 1er mai 1707, les Ecossais ont eu accès à cet espace sur le point de devenir le plus grand empire commercial au monde. Glasgow a fait fortune grâce au tabac et au sucre. Le développement de l’industrie a vite suivi celui du commerce, prenant appui sur l’activité débordante des aciéries et des chantiers navals de la Clyde. En une génération, les Ecossais ont compris qu’ils avaient troqué leur souveraineté contre une chose bien plus importante : la prospérité. Grâce à l’Empire britannique, l’Ecosse s’est lancée dans le commerce avec le monde entier. Cet empire, nous l’avons construit presque seuls, non pas grâce à notre argent (nous n’en avions pas), mais grâce à notre génie et à notre discipline protestante. Quand j’étais enfant, l’Empire n’existait plus depuis longtemps. Le Commonwealth, c’était à cela que les gens pensaient quand ils disaient “l’Empire”. Pourtant, même le Commonwealth était en perte de vitesse. Edward Heath [Premier ministre britannique de 1970 à 1974] a lié le destin du Royaume-Uni à celui de l’Europe. Pour chaque génération du XXe siècle, l’Union a représenté différents idéaux. Aux yeux de mes grands-parents, c’était l’Empire ; pour mes parents, la guerre contre les nazis. Ma génération est le fruit d’une Grande-Bretagne différente, mais tout aussi cohérente, celle de l’Etat-providence de l’après-guerre et de la protection sociale garantie par le NHS [le système de santé public]. L’Etat britannique promettait de veiller sur vous du berceau jusqu’à la tombe. Les secteurs économiques stratégiques appartenaient à la nation britannique : le charbon, l’acier, les chemins de fer. La Poste installait votre téléphone. L’Etat vous fournissait le gaz avec lequel cuisiner et l’électricité avec laquelle éclairer votre foyer. Et les nationalistes voulaient mettre fin à tout cela ! C’est dans les années 1980 que les choses ont commencé à prendre un vilain tour, parce que quelqu’un a effectivement mis fin à cela : Margaret Thatcher a détruit le consensus de l’après-guerre. Elle a transformé la topographie économique : aujourd’hui, le marché est ouvert et global. La société qui éclaire ma maison n’est même pas britannique. En réduisant ainsi le territoire de l’Etat, la révolution thatchérienne a eu pour effet pervers de saper le sentiment d’identité britannique des Ecossais. En Ecosse, pourtant, la révolution thatchérienne n’a jamais eu lieu. Pendant une décennie, l’Angleterre a voté avec enthousiasme pour le changement qu’apportait Thatcher, tandis que l’Ecosse faisait de la résistance. Jusqu’au milieu des années 1970, les comportements électoraux au nord et au sud de la frontière étaient similaires ; ce n’est qu’à cette époque que des divergences sont apparues, pour atteindre leur paroxysme dans les années 1990. Cet écart s’est avéré fortement préjudiciable à l’Union : celle-ci avait perdu sa valeur aux yeux de la population. Ainsi, le partenariat n’était plus bénéfique, il n’était qu’un instrument de contrôle par lequel l’Angleterre imposait à l’Ecosse les changements que celle-ci avait refusés dans les urnes. Il est temps de regarder les choses en face. Chaque année, l’Ecosse dépense 11 milliards de livres [16 milliards d’euros] de plus qu’elle ne collecte en impôts. Aux dires des partis unionistes, cela signifie qu’une Ecosse indépendante aurait un trou béant dans son budget. Même si certains grands patrons soutiennent l’indépendance, la plupart d’entre eux redoutent qu’une Ecosse indépendante ne doive augmenter les impôts, provoquant une fuite de l’activité économique et des capitaux. Le SNP objecte que ce montant de 11 milliards de livres ne tient pas compte des recettes pétrolières – que le Trésor britannique n’inclut pas dans les revenus fiscaux – et que l’or noir de la mer du Nord suffirait dans un premier temps à combler le déficit. A long terme, l’Ecosse reprenant le contrôle de son histoire, elle serait en mesure de mettre en place une politique de relance de la croissance, ce que lui interdit la situation actuelle. Cet argument prend tout son sens dans le contexte européen. L’année dernière, en voyage en Finlande, j’ai été frappé par les points communs de ce pays avec l’Ecosse : la Finlande, à la périphérie de l’Europe, compte environ 4 millions d’habitants ; elle a un voisin plus grand et plus puissant avec lequel elle a un jour formé une union [elle fut sous domination russe de 1809 à 1917]. Mais elle n’affiche pas 11 milliards de livres de déficit. Contrairement à l’Ecosse, la Finlande boucle elle-même son budget. Comment fait-elle ?

Le Royaume-Uni ne parvient plus à justifier son existence

En 1991, après la chute de l’Union soviétique, l’économie finlandaise a dégringolé, perdant 10 % par mois. Le nouveau gouvernement a pris des mesures draconiennes pour restructurer l’économie. Comme souvent, les choses ont empiré avant de s’améliorer : en un peu plus d’une décennie, le pays s’est hissé au niveau des grandes puissances économiques mondiales. Ce redressement aurait-il été possible si la Finlande n’avait pas eu la maîtrise de sa politique économique ? Le dirigeant de l’une des plus grandes sociétés de sécurité pour Internet m’a un jour confié : “Quand j’ai débuté, à la fin des années 1980, Nokia était encore un fabricant de bottes en caoutchouc et notre économie était fondée sur le bois. Nous avons loué un petit bureau à New York afin de pouvoir déclarer un siège, tandis que nous travaillions à Helsinki. Nous pensions que personne ne prendrait au sérieux une société de high-tech finlandaise.” Environ la moitié des vingt-sept Etats de l’Union européenne, dont la Finlande, sont moins peuplés que l’Ecosse. Si la Finlande est capable de gérer son budget, si l’Irlande l’est également, pourquoi ne le sommes-nous pas ? Le Royaume-Uni est en danger s’il ne parvient pas à justifier son existence autrement qu’en jouant sur la peur des Ecossais de perdre 11 milliards de livres : il fait de l’Ecosse un anachronisme dans cette Europe qui aspire à être l’espace économique le plus compétitif au monde, une région entretenant une culture de la dépendance nationale. Le prêtre palestinien avait peut-être raison : le danger réside dans la pauvreté des idéaux qui sous-tendent cet argument. Il existe par ailleurs un réel danger à long terme. La Grande-Bretagne, réduite à bien peu de choses – une communauté de pensées et un flux d’argent partant chaque année du Sud pour alimenter le Nord –, pourrait s’effondrer. Il y a peu de temps encore, comme au cours de la majeure partie de ses trois siècles d’existence, elle signifiait bien plus que cela.

Allan Little**

* Depuis sa création, en 1913, cette revue politique est le forum de la gauche indépendante, aussi réputée pour le sérieux de ses analyses que pour la férocité de ses commentaires. Le titre est, par définition, le journal de référence de l’intelligentsia de gauche britannique. Mais ses colonnes sont ouvertes à une large diversité d’opinions. Il a abandonné sa présentation austère pour une maquette plus aérée et colorée.

** Journaliste au service étranger de la BBC. Prix Bayeux du correspondant de guerre en 1994 pour un reportage sur Sarajevo.