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Le processus de décision politique au Japon : le consensus et ses contraintes.

L’existence de nombreuses zones de pouvoir au sein du processus de décision politique implique la mise en place d’un processus spécifique de gestion des conflits et de prise de décision

Date of the document : janvier 05

By Nicolas Minvielle

La fragmentation des processus de décision au niveau gouvernemental est étudiée au travers du cas de l’allocation de l’aide publique au développement. Pour chaque phase du processus, les différents intervenants ainsi que leur rôle sont présentés. L’importance du consensus et les diverses manières d’y arriver sont soulignées.

Ainsi que nous l’avions signalé dans la fiche portant sur le triangle d’airain, un certain nombre d’auteurs soulignent le fait que, dans le cas du Japon, le processus de décision est « structurellement fragmenté entre des baronnies dont chacune poursuit ses objectifs particuliers et défend farouchement son indépendance. L’État japonais est systématiquement organisé pour assurer cette indépendance » (Bouissou, 2003, p253)1 . Il en résulte une conséquence importante pour une analyse du processus de décision politique, soulignée par Bouissou, qui est que « l’addition de ces mini-États forts ne fait pas un État fort. Bien au contraire, la force des fiefs a pour condition sa faiblesse, au point qu’on a pu dire qu’au Japon, il y a des ministères mais pas d’État » (Bouissou, 2003, p.253).

Dans le cadre de l’APD, le processus de décision politique est divisé en trois étapes correspondant à trois niveaux de décision différents :

La première étape concerne la détermination du volume total d’APD qui sera alloué au travers d’un plan pluriannuel divisé en objectifs annuels. Les décisions à ce niveau sont hautement politiques et prennent en compte, d’une part le souhait des japonais de s’intégrer dans la communauté internationale, d’autre part les contraintes résultant des disponibilités budgétaires et de la capacité des institutions gérant l’aide. Dans les faits, depuis la réforme administrative de 2003 et en raison des nouvelles restrictions budgétaires, le Japon ne s’engage plus dans des plans pluriannuels et ne prend plus d’engagements en ce qui concerne les montants qui seront alloués. Une fois ces choix fondamentaux effectués, débute alors la grande négociation : chaque organisme ministériel envoie son budget au Ministère des Finances qui amende alors les diverses propositions. Les auto-restrictions sont alors importantes, le point fondamental étant de faire en sorte que son budget puisse être accepté. Les relations existant entre les différents ministères permettent de faciliter ces arbitrages. Par exemple, l’échange de fonctionnaires envoyés en « mission » dans d’autres ministères favorise le dialogue. De même, les négociations inter-ministérielles seront facilitées si, par exemple, les ministres sont issus de la même promotion de l’Université de Tokyo. En ce qui concerne le Ministère des Finances, s’il n’alloue pas en soi une partie importante de l’aide, il n’en reste pas moins qu’il possède un pouvoir extrêmement important sur les dotations de chacun et donc sur l’allocation générale. Il apparaît alors comme le ministère clé même si certains autres, comme le Ministry Of Foreign Affairs (MOFA), jouent également un rôle prépondérant. Ce budget est ensuite avalisé par la Diète, ce qui ne pose généralement pas de problèmes au vu des liens existant entre la bureaucratie et les politiques 2.

La deuxième étape consiste dans le choix de la distribution géographique des dons et de l’assistance technique ainsi que dans la définition des conditions d’éligibilité des prêts. Disposant de la majorité du budget, le MOFA décide de la distribution de ses ressources au début de chaque année fiscale « en prenant en compte les distributions précédentes puis en soulignant certaines zones géographiques en fonction des objectifs de politique internationale » (Hanabusa, 1991, p.97). Ces conditions d’éligibilité aux prêts sont décidées de manière consensuelle, au terme d’une dernière négociation, par le MOFA, le METI, le MOF.

La troisième et dernière étape se situe au niveau des bénéficiaires. Le gouvernement japonais reçoit les diverses requêtes au travers des canaux diplomatiques, évalue les demandes et chaque organisme concerné y répond directement.

La contrainte principale est que ce mode de fonctionnement par consensus demande un certain temps pour aboutir à des résultats concrets. Il convient alors de réaliser que le temps politique japonais n’est pas le même que celui d’un pays occidental et que ce que certains considèrent comme de la lenteur, voire de l’inefficacité, n’est en fait que l’une des contraintes d’un système de prise de décision tout à fait opérationnel avec lequel on devra obligatoirement composer. Tout interlocuteur étranger doit donc prendre en considération cette contrainte du « consensus » lors d’une éventuelle négociation.

Notes :

1 BOUISSOU J.M, “Quand les sumos apprennent à danser”, Fayard, Paris, 2003.

2 Il faut noter qu’il arrive que la Diète adopte des résolutions visant à interférer avec la politique d’aide, telle par exemple celle concernant l’interdiction de l’utilisation de l’aide pour des buts militaires (1978, 1980 et 1981). Ceci reste cependant rare, l’approbation du budget restant son attribution principale.

 

Né en 1978, Nicolas Minvielle est diplômé de l’Université Impériale de Kyushu au Japon (2000) et de l’Institut des Sciences Politiques de Strasbourg (2001). Après un DEA d’économie de l’EHESS en 2003, il prépare une thèse de Doctorat en Sciences Economiques portant sur le Japon pour laquelle il a été, en 2004, lauréat de la Chancellerie des Universités de Paris.

Entré chez Philippe Starck en 2001, il y est actuellement responsable des licences et de la propriété intellectuelle.

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