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Interview Interview

Entretien avec Christian CHAVAGNEUX, rédacteur, Alternatives Economiques/Politique Economique

Date of the document : 21 avril 2005

By Corinna Jentzsch

Qu’est-ce le concept de la gouvernance mondiale ?

Quand Pascal Lamy avait parlé en public la première fois de sa définition il a oublié quelques mots et quand j’ai transcrit l’interview j’ai ajouté certaines choses et c’est devenu sa définition traditionnelle de la gouvernance mondiale : les processus et par lesquels les lois de l’économie mondiale sont préparées, décidées, mis en œuvre et contrôlées. Pour moi la gouvernance mondiale, c’est savoir comment les acteurs sont capable d’influencer les règles qui la regissent. Le résultat dans un monde agréable est la bonne gouvernance, et dans un monde qui ne satisfait pas c’est la mauvaise gouvernance. De ce point de vue, pour chacun de ces branches (préparer, décider, mettre en œuvre et contrôler) ce ne sont pas seulement les gouvernements souverains qui permettent de participer à ce processus. Il y a beaucoup d’acteurs qui y participent et les acteurs non étatiques qui y participent ne sont pas seulement dans une position d’influencer les acteurs étatiques. Les Etats sont des acteurs importants dans l’économie internationale, mais ils ne sont pas les seuls.

C’est pour ça je me sente un peu plus proche de la deuxième définition qui semble laisser plus de place pour les acteurs non étatiques, mais les processus de la production des règles ne concerne pas seulement le soft law, mais aussi le hard law (soft law – expression de J. Nye, à utiliser avec méfiance).

Qu’est-ce que l’état actuel de la gouvernance – est-ce que la participation des acteurs non étatiques est déjà inclus dans ce processus ?

Oui, ce n’est pas seulement déjà réalité – c’est une norme historique. Je ne suis pas partisan de cette approche qui consiste à dire que les Etats sont les acteurs qui dominent traditionnellement et puis depuis quelques années, depuis que la mondialisation s’est mis en place, les acteurs transnationaux ont émergé et vient de remettre en cause les Etats et c’est dans un jeu à somme nul – tous que les acteurs non étatiques gagnent, les acteurs étatiques le perdent. Je ne crois pas que ce soit dans un jeu d’opposition entre la structure des pouvoirs politiques, nationaux et internationaux, et la dynamique à long terme du capitalisme. Il y a une symbiose entre les deux depuis très longtemps. A l’origine du capitalisme dans les grands Etats riches aujourd’hui, on s’aperçoit que le capitalisme se développe et les marchands prennent de l’importance politique au moment où les Etats sont capable d’organiser un marché national. Il y a vraiment une symbiose dans la façon dont l’Etat et puissance multinationale et financière arrivent à se développer ensemble (référence à Jean-François Bayart : Le gouvernement du monde, 2004). Bayart montre bien que non seulement Etat et mondialisation du capitalisme ne sont pas opposés, mais c’est même la mondialisation du capitalisme qui crée l’Etat.

La norme historique est celle de la symbiose entre acteurs étatiques et non étatiques – au Japon ils ont un nom spécifique qui définie le lieu où l’économie légale, l’économie illégale, les représentants de l’Etat et de l’économie se regroupent.

Donc, ce la gouvernance mondiale ne comprend pas seulement les règles établies par les Etats mais aussi les règles développées par des acteurs non étatiques ?

Oui, il y a des règles qui ne sont pas forcement écrites, ce sont plutôt des pratiques qui se mettent en place ou des accords formels (sur la propriété intellectuelle1994 qui donne un monopole de 20 ans aux multinationales). Le fait que ces multinationales ont un accord avec leurs Etats arrivés à des règles très fortes sur la propriété intellectuelle ne veut pas dire que cette règle n’est pas contestable. Dans le cas des médicaments de lutte contre le sida, le l’Afrique du Sud a réussi à infliger la position des grands laboratoire pharmaceutique. Donc, on peut avoir tout un acteur très puissant qui participe à l’évolution des règles de la gouvernance mondiale, mais ce ne veut pas dire que ces règles sont indémaillables. Ce sont des règles qui sont issues des compromis politique – et un compromis politique ne peut pas dire qu’un autre compromis politique ne peut pas le défaire. Ce dans ce sens là que je ne crois pas qu’il y ait plus de déterminisme, de domination des multinationales et de l’hégémonie américaine. Les Etats-Unis joue un rôle primordial, comme d’ailleurs tous les acteurs américains, les grandes ONG etc., pour influencer ces règles et aussi pour changer le rapport de forces et de cette façon pour les changer. Il n’y a donc aucun déterminisme.

Faut-il changer la gouvernance mondiale ?

La gouvernance mondiale laisse plusieurs grands trous (des zones de « ungouvernance » ). La première zone de « ungouvernance » est le domaine environnemental. Tous les experts nous disent que nous vivons dans un mode productif qui épuise toutes les ressources naturelles, il faut faire quelque chose, mais il n’y a pas de règles qui réponde à notre responsabilité pour les générations futures. Le deuxième problème est celui des inégalités mondiales. Il y a quelques petits pays qui commencent à se sortir, mais pour le reste, comme la Chine, les inégalités plutôt augmentent. Il n’y pas de règles pour répondre à cela, et les règles qui existent ne marchent pas très bien. La troisième « zone de ungovernance » est la finance internationale. Là, on est aussi dans un domaine où plus personne ne maîtrisera rien ; ni les acteurs privés, ni les acteurs publics – même les plus puissants comme la Banque d’Angleterre ne peuvent plus dire d’où les flux financiers viennent, combien de temps ils sont restés et où ils sont partis.

Quels sont les principes importants pour une meilleure gouvernance ? Responsabilité, transparence ou participation ?

Ce sont des grands mots avec lesquels on peut être plutôt d’accord. A mon sens, il faut plutôt chercher à partir de quel rapport de forces chaque accord politique (ou chaque absence d’accord politique) il a été créé et où pour le changer il faut appuyer. On peut s’appuyer sur la loi de l’Etat, en changeant le comportement des acteurs non étatiques et privés/économiques, ou sur la société civile internationale. Dans chaque domaine, il faut trouver des points de fragilité pour pouvoir changer des choses. Le point clé est donc l’analyse des rapports de forces politiques.

Pour cela, faut-il s’appuyer plutôt sur de (nouvelles) institutions internationales ou sur l’influence des acteurs non étatiques ?

Le résultats par la promotion de la transparence et de la participation restent marginal par rapport à comment faire pour maîtriser la gouvernance de la finance internationale. Je ne suis pas sûr que le Fonds monétaire international soit le lieu approprié pour maîtriser les déséquilibres de la finance internationale. Je ne suis pas contre les idées de plus de démocratie et plus de responsabilité, j’ai contribué d’ailleurs à un rapport international sur ce sujet (Démocratiser l’économie mondiale. Le rôle de la société civile. Centre pour l’étude de la mondialisation et de la régionalisation, University of Warwick, 2003). Néanmoins je pense que c’est insuffisant.

Vous avez dit que les objectifs du millénaire sont d’une façon inappropriée pour traiter les problèmes des pays en voie de développement – pourquoi ?

Il y a un chercheur américain, Michael Clement, Center for Global Development, qui a montré un graphique très intéressant où il a regardé le taux de progression de la scolarité primaires dans l’ensemble des pays en voie de développement, pour Burkina Faso et dans les pays riches d’aujourd’hui dès le 19e siècle. Donc, vous avez une courbe qui monte tout doucement pour les PVD, au contraire pour le Burkina Faso une courbe qui monte très vite, plus vite que la courbe des pays riches au 19e siècle. Néanmoins, Burkina Faso ne va pas atteindre les objectifs du millénaire en terme de scolarisation. Les gens qui pensent que l’aide au développement ne sert à rien, ils disent qu’on voit bien que ces objectifs sont inatteignables, que l’aide au développement n’est pas du tout efficace. Donc, il me semble un risque aujourd’hui de mettre en avant les objectifs du millénaire, on peut garder ces objectifs mais il faut laisser le temps. Le développement économique et social prend du temps et je ne pense pas que le problème de l’aide est un problème de quantité, mais de qualité. (Ex. du Tchad, un pays pétrolier, imposition de la part de la Banque mondiale d’un comité de surveillance des revenus de l’exportation de pétrole bloque en fait le développement social et économique du Tchad).

Est-ce que une aide appropriée au besoin des PVD peut être mieux coordonné par des Etats ou des organisations internationales ?

Idéalement, ça serait une organisation internationale, par la Banque mondiale. Néanmoins, on sait bien qu’à l’intérieur de ces institutions les rapports politiques de forces sont tels que l’argent qui est au fond commun est utilisé de façon à bien respecter les débats des plus puissants, des Etats-Unis. Ce qui serait bien c’est d’avoir une vision européenne de l’aide au développement, je pense que ce n’existe pas. On pourrait imaginer d’ailleurs que l’aide qui reste national peut être distribuée en fonction d’un système de contrôle qui lui peut être multinational et regrouper des acteurs publics et privés et qui déterminerait les critères sélectives permettant de choisir les pays qui serait les mieux à recevoir de l’aide. Je suis donc un partisan de la sélectivité de l’aide, mais le problème ce sont les critères de la sélectivité. La Banque mondiale promeut la critère de l’économie libérale, moi je suis plutôt pour des critères plus sérieuse, à la fois économiques et politiques. Ça veut dire qu’il ne faut pas seulement des ingénieurs à la Banque mondiale, mais aussi des sociologues, des anthropologues, des historiens, des politistes qui écrivent des rapports sur un pays. De cette façon, on pourrait financer des microprojets, mais on les surveille parce qu’ils font partie d’un même projet et éviter de donner seulement de l’aide générale à l’Etat.

Où voyez-vous des obstacles à l’amélioration de la gouvernance mondiale ? Par exemple, on entend beaucoup que les Américains ne sont pas trop favorables à la gouvernance mondiale. Est-ce que c’est vrai ?

Il est sûr qu’aujourd’hui le gouvernement américain, et aussi les multinationales américaines, n’est pas de ceux qui sont assez favorables à la gouvernance. Quoi qu’il en soit, il faut tout de suite faire attention à ce qu’on dit. Par exemple, Microsoft est en train de négocier sa punition avec l’Union européenne et l’ensemble des autres producteurs viennent apporter des débits pour que Microsoft ne soit pas condamné… Il est certain qu’aujourd’hui dans les domaines de l’environnement, de développement, de la finance internationale, le gouvernement américain ne joue pas le jeu d’un mouvement vers un meilleur encadrement et de production de règles qui permettra une amélioration dans ces trois domaines. Ensuite, il faut voir cas par cas quel jeu jouent les multinationales, ils sont des interlocuteurs extrêmement puissants, aussi en Europe (Airbus fait partie des entreprises qui refusent l’idée d’une taxe internationale sur les billets d’avion pour apporter de l’argent pour le développement). Donc, les multinationales sont assez réticentes à la production de lois internationales qu’elles contraindraient au-delà de ce qu’elles veulent bien appliquer elles-mêmes. Ensuite, les règles de la gouvernance mondiale sont aussi des règles qui sont négocient au niveau régional et au niveau national – il faut trouver des compromis politiques nationaux, régionaux et globaux. L’obstacle est là – il faut des gouvernements, des oppositions, des compromis qui font que tout le monde aille dans la même direction. De temps en temps, c’est possible : en 1944, il a été décidé qu’il fallait un Fonds monétaire international et contrôler les mouvements des capitaux, il y a des consensus qui changent.

Aujourd’hui, y a-t-il moins de consensus qu’en 1944 ?

Sur la régulation de l’économie mondiale oui – aujourd’hui le consensus est plutôt le libéralisme encadré par des institutions. En termes financiers, le consensus a changé aussi : dans un rapport, l’ancien Chief Economiste du FMI conclut que la libéralisation financière sert pas à la croissance dans des pays au Sud. Dans les règles de Bal 2 (Banques de règlements internationaux, normes des prudentiel – ratio Cooke) il y a une sorte de schizophrénie : à la fois des normes prudentielles de ne pas prendre trop de risques et l’autorisation de régler les risques soi-même. Donc, ce n’est pas un processus facile, mais il y a des changements lents de consensus qui est moins favorable à la libéralisation.

Est-ce que ce changement de consensus rend les institutions financières plus importants qu’avant ?

Si on parle de régulation financière internationale, il faut plutôt s’intéresser à la BRI qui est l’institution clé plus que le FMI qui fait la surveillance macroéconomique générale. En terme de régulation, les institutions importantes sont la BRI, la FED (réserve fédérale américaine), la Banque centrale européenne et peut-être la Banque centrale chinoise.

Quand on cherche des idées pour une régulation au niveau mondial, on parle souvent de l’Union européenne. Pensez-vous que l’UE peut être un modèle pour la gouvernance mondiale ?

Je ne sais pas si c’est un modèle, mais en tout cas, c’est une expérience historique intéressant à suivre. Dans un cadre régional, on essaie de répondre aux mêmes questions qui se posent au niveau mondial. Des pays avec des histoires différentes, est-ce qu’ils sont capables de s’entendre pour établir des règles communes qui aillent dans le sens d’un meilleure fonctionnement des économies et des sociétés. On s’aperçoit, quand on regarde la construction européenne, qu’il n’y a pas un grand principe de la construction européenne, souvent elle est sui generis, elle évolue en fonction des problèmes qu’elle rencontre, elle découvre des solutions en même temps que les problèmes, donc il n’y a pas un modèle européen. Dans le débat sur la Constitution européenne certains (dont Jeremy Rifkin) disent que ça devient un modèle qui va au-delà d’un simple modèle à copier, mais c’est un rêve général que l’ensemble des autres nations du monde veulent nous copier demain. Il y a un mélange entre un aspect fédéral et un aspect gouvernemental qui est intéressant à regarder de près qui n’est pas le même dans le domaine de sécurité, économie etc. Donc, il n’y a pas un modèle, dans chaque domaine il y a des interactions différentes. Mais en tout cas, dans l’alliance que l’Europe a réussi à établir entre l’intergouvernemental et le fédéral il y a des choses intéressantes à regarder.

Mais est-ce qu’il y a des valeurs communes en Europe qui sont difficiles à établir au niveau mondial ?

Les valeurs communes, c’est quoi, entre la volonté de l’aide au développement des Français et des Allemands, il n’y a pas de valeur commune, entre les Anglais qui veulent l’Europe de défense soit ancrée aux Etats-Unis et les Français qui ne le veulent pas, il n’y a pas de valeur commune – c’est vraiment tout le temps une forme de compromis entre plusieurs modèles qui coexistent n’est pas un modèle unique.

Ça ne la donne pas un avantage spécifique par rapport aux Etats-Unis, si on pense comme faisait Susan Strange que pour savoir si un acteur est important il faut regarder ce qu’il produit en termes de sécurité, de finance, de production et de savoir, dans le cadre de ces domaines là, l’Europe reste complètement la prenne. Tous les acteurs importants dans ces domaines viennent des Etats-Unis et l’Europe est très loin de jouer au même cours.

Néanmoins, ne faut-il pas dire qu’on partage certaines valeurs très basiques comme le respect de la vie humaine par exemple ?

Oui, comme Jeremy Rifkin a dit, le projet de la Constitution européenne est le seul qu’il connaisse dans lequel il y ait une conscience planétaire – on préserve la planète pour les générations futures. L’étape suivante est de savoir si on a des moyens de les proposer au reste de la planète, et là je pense pour l’instant la puissance de l’Europe n’est pas encore assez forte. Les valeurs communes, des acteurs américaines, restent plus prépondérantes et on est encore dans la phase de combat que dans la phase de pouvoir imposer son propre modèle.

Cette année est dédiée au projet de réforme de l’ONU – quelles perspectives voyez-vous pour une telle réforme ?

Ça me n’intéresse pas – les enjeux ne sont pas là, pas au Conseil de sécurité, ce n’est pas là où on décide les règles politiques, économiques et sociales de la mondialisation.

Et c‘est où alors ?

Dans les négociations entre Etats, entre firmes, entre Etats et firmes, entre firmes, Etats et société civile, dans les rôles des mafieux, Etat et mafieux finances, c’est partout à la fois.

Donc les Nations Unies n’est pas l’institution qui peut contribuer à la régulation de la mondialisation ?

Pour l’instant, je ne le vois pas. Pour l’instant, les Nations Unies ne sont pas ce Conseil de sécurité politique, économique et sociale que certains voudraient le voir jouer.

Comme notre projet cherche à établir une réflexion sur les perspectives françaises et américaines sur la gouvernance mondiale, voyez-vous des tendances dans la pensée françaises qui sont spécifiquement françaises ou européennes ?

Est-ce que les ministre de la finance et de la coopération sont d’accord ce qui concerne l’aide au développement etc. – c’est toujours un problème de la voix de la France. L’Etat n’est pas un acteur univoque, c’est à la fois le gouvernement, les autorités de régulation indépendantes qui parlent avec des autorités espagnoles et italiennes et qui créent des règles qui nous échappent, c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui crée des règles qui s’applique ensuite en France…On dit traditionnellement que la France est plus favorable à une régulation de la gouvernance mondiale et un moindre maux des marchés – au-delà du slogan général, qu’est-ce que ça veut dire concrètement sur la position de la France ? Il y a plein d’acteurs qui parlent au travers des frontières et qui cherchent à influencer les règles. Ça rend des choses plus compliquées que « une position française, une position américaine » .

Quelles institutions françaises au sein de la société civile sont importantes pour ce sujet ?

La société civile en France existe depuis longtemps. Gus Massiah représente par exemple une voix modérée de l’altermondialisme et présente des idées concrètes pour la réforme de l’ONU.

Où voyez-vous votre contribution à l’amélioration de la gouvernance mondiale ?

Moi, je suis journaliste parmi autres dans un journal qui publie 105 000 exemplaires, il y a plein d’autres gens qui produisent sur la gouvernance mondiale – l’influence d’un journaliste dans un journal avec 105 000 est très faible.

 

Journaliste à la revue Alternatives Economiques et rédacteur en chef de L’économie politique, Christian Chavagneux est également membre du comité scientifique d’ATTAC et chercheur au Center for Global Political Economy à l’université du Sussex (Grande-Bretagne).

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