Interview
Entretien Christian JOLY, chargé de mission pour la coopération non gouvernementale, Ambassade de France aux Etats-Unis
Date of the document : 26 avril 2005
By Corinna Jentzsch
Qu’est-ce que vous pensez du concept de la gouvernance mondiale, qu’est-ce que vous en comprenez ?
Le concept de la gouvernance mondiale est devenu un concept très à la mode aujourd’hui. Je ne vais pas vous donner une définition, je pense que vous avez trouvé chez les meilleurs auteurs ce qu’on peut comprendre de la gouvernance mondiale. D’après moi, ça renvoi une idée relativement simple : aujourd’hui, le monde est un monde plus global, aucune composante du système international peut échapper à une influence d’une autre. Il faut se donner un certain nombre de trajets, de règles, d’institutions communes, et ensuite répondre à cette préoccupation non pas sur une base nationale mais sur une base globale. Mais en même temps quand on le dit, je suis parfois un peut méfiant, parce que je le trouve un peu trop un concept à la mode, on le trouve un peu partout ; il n’y a pas un texte aujourd’hui lors des conférences internationales (scientifiques/universitaire ou intergouvernementales) dans lequel on ne voit pas le terme de gouvernance. D’ailleurs, il y a un risque quand beaucoup de personnes en parlent sans le bien définir avant ce qu’on met dedans.
Pour résumer sur ce premier point, je crois que c’est un concept inévitable pour le monde aujourd’hui, parce qu’il y a toutes les questions qu’on ne peut pas traiter de la manière étatique et il faut une réponse internationale (exemple type, l’environnement), mais avec en même temps un risque que ce soit d’abord un terme/une expression et qu’en fait la réalité soit un peut différente, que la réalité soit en fait les relations classiques entre les Etats, et quand un Etat ne veut pas, il ne veut pas, on ne peut pas le contraindre même au travers de ce concept de la gouvernance.
Est-ce que vous pensez que cette gouvernance mondiale est déjà installée ou faut-il faire quelque chose pour l’améliorer ou même construire ? Qu’est-ce que l’état actuel de la gouvernance mondiale ?
La gouvernance mondiale reste quand même beaucoup un projet, mais on peut trouver quelques exemples, quelques domaines où il y a des éléments de la gouvernance mondiale, ou certains principes auxquels tout le monde adhère (la bonne gouvernance). On trouve notamment dans des résolutions des Nations unies des exemples de référence à cette bonne gouvernance, mais quand on regarde la réalité des choses on est encore dans l’intérieur de mutation. Cet intérieur de mutation qui est long a commencé il y a longtemps et il est accéléré avec la fin du communisme et le changement des relations internationales à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt dix, mais le changement n’est pas du tout achevé et on n’est pas à l’abri de tour en arrière. Puisque nous sommes aux Etats-Unis, la politique très unilatéraliste des Américains ne va pas dans le sens de la gouvernance mondiale. On peut dire qu’il y a déjà certains principes qui créent de la gouvernance, mais le problème est que ces principes sont rejetés par d’autres dans le monde.
Où sont les problèmes concrets et qu’est-ce qu’il faut changer pour ne pas aller en arrière ?
Un premier problème est qu’il n’y a pas de mécanismes et de prises de décisions au niveau international qui soient efficaces. Et même s’il y en avait un, il y aura quand même une question qui serait à se poser, c’est celle de la démocratie. Il n’y a pas de … politiques au niveau international, les… politiques sont nationales. Même si on pense en terme de gouvernance au mieux on va voir des pressions et de l’influence exercées par les représentants de l’opinion publique. Ce ne sont pas des représentants élus, mais des représentants qui se proclament représentants (exemple de Human Rights Watch qui exprime une conscience internationale). Pour nous occidentaux, surtout européens, ce semble assez acceptable, mais ce n’est pas une réalité partagée dans le monde. Si on parle de gouvernance mondiale il faudrait qu’on ait aussi des structures pour cela et il faut des moyens de communication qui n’existent pas ; on raisonne toujours encore en terme d’État-nation.
Le deuxième problème est qu’il y a encore de fondamentaux désaccords entre les Etats sur ce qu’il doit être fait. Sur les questions comment régler la question de la torture et la violation massive des droits de l’homme, les exemples de l’Irak et du Darfour montrent qu’il n’y a pas de consensus sur ce qu’il doit être fait. Dès qu’on cherche un moyen de mettre terme à ces choses inacceptable on se divise – pas qu’entre occidentaux (la Chine, des grands pays ne sont pas d’accord).
Troisième problème, notre site international fonctionne encore sur des vieux schémas, notamment sur des schémas du droit international, un droit qui repose sur le consentement des Etats (problème de la Commission des droits de l’homme, aucun résultat concret ; problème du domaine de l’environnement – refus de contraints par certains pays ; problème de la lutte contre la pauvreté, tout le monde sait qu’il faut faire quelque chose mais personne n’est d’accord sur ce qui doit être fait, des réunions à Washington il y a dix jour montrent que même les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France, l’Espagne et l’Allemagne n’arrivent pas à saisir concrètement à ce qu’il faut faire).
Voyez-vous encore une forte position de l’Etat dans les relations internationales aujourd’hui ?
Il faut nuancer ce que je viens de dire. Aujourd’hui, il y a des acteurs sur la scène internationale (des ONG…) qui n’existaient pas il y a soixante ans ou n’avaient pas la même influence. Aujourd’hui, ils ont une vraie influence, mais on s’aperçoit que les décisions les plus importantes restent prises par les Etats, que sans accord entre les Etats il ne se passe rien. Donc, on est dans un monde cloisonné, on est dans une contradiction aujourd’hui : les problèmes sont globalisés, mais les structures de la réponse restent quand même encore très interétatiques.
Pour améliorer la gouvernance mondiale, pensez-vous qu’il faut impliquer les acteurs non gouvernementaux dans les processus de la formulation des réponses ?
Oui, absolument. Les acteurs non gouvernementaux ont un rôle de plus en plus important à jouer parce que comme les opinions publiques n’ont pas accès à la décision internationale, ce sont les organisations de la société civile, d’abord des ONG des organisations de pression et de plaidoyer, qui peuvent être cette voix manquante. On a du progrès dans ce domaine : au sommet des Nations unies en septembre 2005 sur les objectifs du millénaire une association plus importante des organisations non gouvernementales aux discussions est prévu. Donc, avec les différentes étapes des conférences internationales on voit qu’il y a dans ce début du siècle une association plus importante des ONG, notamment dans le domaine de développement. Mais on est encore dans la phase de transition donc on va avoir probablement cette gouvernance mondiale, elle est inévitable, mais le rythme reste très lente parce que les Etats résistent en préférant l’intérêt national (exemple du gouvernement américain).
Comment peut-on inclure des organisations non étatiques et des acteurs sociaux dans la gouvernance mondiale, que pensez-vous de l’idée d’un parlement mondial ?
La vraie question est aujourd’hui de savoir quel mécanisme procédural peut-on utiliser parce qu’il se pose la question de la représentativité de ces organisations. La plus grande critique envers ces organisations est qu’elles ne représentent qu’elles-mêmes (quelque soient leur domaine).
Donc, il faut atteindre une amélioration des ONG ?
Je ne sais même pas, parce que leur nature est être indépendantes et je ne suis pas sur que ce soit leur vocation. Il y a des mécanismes de pouvoir plus compliqués qui restent à inventer dans lesquels les organisations de la société civile participent mais sans prétendre de représenter les peuples. Elles sont une manière d’exprimer des points de vue qui viennent de la population, mais elles n’ont pas la qualité d’être représentantes en tant que t’elles. Donc, c’est une vraie question de réflexion de fond auquel on n’a pas encore de réponse aujourd’hui. Au niveau européen on est arrivé à un mécanisme électoral, le parlement, qu’on ne peut pas imaginer au niveau international, et on n’a pas dit aux organisations de la société civile qu’elles représentent les peuples.
Pourquoi ne peut-on pas transférer le modèle de l’Union européenne au niveau mondial ?
L’Union européenne peut être un modèle pour le niveau mondial, mais je vois mal comment aujourd’hui on arrivera à faire fonctionner le système de l’UE au plan international. On a déjà du mal à faire fonctionner l’UE à 15 et à 25, à 190 ce ne va pas fonctionner. En revanche, ce qu’on peut imaginer, on le voit déjà, ce sont des blocs, des regroupements d’Etats (Mercosur, Cedeao), mais au niveau mondial c’irait vers le gouvernement mondial. Quand vous parlez d’un gouvernement mondial aux Etats-Unis vous faites peur à tout le monde, personne n’en veut. Ce n’intéresse les Chinois et les Indiens non plus.
Donc, l’obstacle n’est pas si la gouvernance internationale marcherait au plan international, c’est plutôt la volonté des Etats ?
Il y a d’autres obstacles comme de la communication et de dimension et le fait que les gouvernants qui ont leur légitimité de gouvernant dans le cadre de l’Etat protègent ce cadre de gouverner, donc l’Etat. Je pense que les solutions sont plus de manière pragmatique dans les mécanismes de respect des règles existantes plutôt dans des constructions très complexes. On voit bien qu’on a quand même fait pas mal de progrès : Jamais la Cour internationale de Justice n’a eu autant d’affaires à régler qu’aujourd’hui. Donc, les choses progressent très lentement, mais en accentuant l’emprise des règles de droit sur les Etats (commerce dès 1995).
Si les institutions de l’Union européenne ne sont pas transférables au niveau mondial, est-ce que, au moins, les principes du fonctionnement de l’UE (la subsidiarité etc.) peuvent guider les mécanismes internationaux ?
Oui, sans doute parce que le respect de la règle de droit qui s’impose aux Etats et les mécanismes de sanction efficaces (la Cour) sont dans l’ensemble un très grand avancée par rapport à ce qu’on connaît au reste du monde. Le principe de subsidiarité, on peut le voir comme en Europe mais on peut aussi dire que le principe de subsidiarité, c’est aussi de reconnaître qu’il y a un certain nombre de questions qu’on doit traiter à un niveau plus élevé que celui de l’Etat et on ne peut pas y arriver tout seul. Et comme ça c’est un principe qui relève de la gouvernance et qu’on peut très bien appliquer au niveau international. Ce que je vois moins bien c’est comment les autres mécanismes institutionnels pourraient fonctionner parce qu’à ce qu’on arrivera ce n’est pas seulement de la gouvernance, c’est le gouvernement mondial avec des mécanismes institutionnels lourds et on est très loin de cela aujourd’hui ; c’est au-delà ce qu’on peut envisager.
Quel rôle joue les institutions internationales sur la scène internationale et notamment le projet de réforme de Kofi Annan pour les Nations unies ?
Je suis convaincu que les Nations Unies doivent avoir un rôle plus important, mais en même temps, les Nations unies ne peuvent faire que ce que les Etats acceptent qu’elles fassent. Elles ne sont jamais qu’une seule représentation des Etats. Donc, lorsque les Etats sont d’accord pour agir les Nations unies ont certaines capacités, si les Etats ne le sont pas, cette capacité disparaît. L’évolution du système international est une évolution qui reconnaît une place plus importante des Nations unies. Mais c’est un point de vue que certains Etats, commençant par les Etats-Unis, n’acceptent pas.
Je pense que tout le monde est d’accord qu’une réforme est nécessaire, parce que depuis la création des Nations unies il y a 60 ans le monde a changé. Une fois qu’on a dit cela c’est plus compliqué parce que concernant la question de savoir qu’est-ce qu’il faut réformer d’abord il y a beaucoup de désaccord. Ce que cherche Kofi Annan c’est de rendre plus efficace les Nations unies (réforme de la commission des droits de l’homme, du Conseil de sécurité). Mais ce qui est plus important c’est la reconnaissance par les Etats qu’un certain nombre d’actions ne peuvent être mener qu’au travers des Nations unies et non pas d’une manière unilatérale ou dans de petits sous-groupes qu’on organise pour répondre à une certaine question.
Qu’est-ce que vous pensez de la réforme du Conseil de sécurité, est-ce que ce va possible d’intégrer de nouveaux membres ?
Une réponse rapide serait : je ne sais vraiment pas. La principale difficulté est de dire qui doivent être les nouveaux membres du Conseil. Ils sont évidents pour certains, mais pas pour tous. Beaucoup sont d’accord qu’il faut avoir une meilleure représentation des pays émergents et des pays en développement. Néanmoins, il se pose deux questions : Un siège permanent, voire un droit de veto, est un privilège mais c’est aussi un privilège qui correspond à des responsabilités spéciales ; est-ce que les pays en développement sont capables de répondre à ces responsabilités spéciales (moyens financières, moyens de participer aux opérations décidées) ? Avec des pays émergents/en développement au Conseil on aurait des membres sans capacité mais avec un pouvoir de défiler, des membres qui disent aux autres « faites faites » .
Deuxième question, si on pense aux pays émergents, il y a des désaccord entre eux (Inde – Pakistan, Nigeria – autres pays d’Afrique/règles de la Sharia, Brésil – autres pays d’Amérique Latine, Allemagne ou un siège pour l’Europe, Japon – Chine). Donc, pour la réforme du Conseil de sécurité il y a toute une série d’obstacles et des contradictions. Même si la réforme est adoptée il reste la question de savoir si ce va fonctionner.
Quel rôle joue les institutions de Bretton Woods pour la réforme de la gouvernance mondiale ?
Elles jouent un rôle très important parce que ce sont des institutions qui sont la clé de l’évolution économique. On a une approche extrêmement occidentales quant à la partage du pouvoir de vote au sein de la Banque mondiale (le plus grand contributeur est le principal actionnaire – poids en matière de décision). L’exemple du choix du nouveau président de la Banque mondiale et la règle qui dit c’est un Américain n’est pas une règle du droit international, c’est un accord diplomatique entre les Européens et les Américains. Pour les autres 150 pays c’est difficile à accepter, donc c’est un mécanisme qui n’est pas du tout démocratique car le choix est en fait le choix du président américain. Si on cherche une procédure plus démocratique on risque d’imposer aux occidentaux qui sont les principaux contributeurs quelqu’un qu’ils ne veulent pas et eux, ils retireront peut-être leurs capitaux et on aura une institution qui ne peut plus agir. Donc, les Etats gardent encore une très grande puissance dans ce mécanisme.
Est-ce qu’il y a une perspective française sur la coopération internationale et la gouvernance mondiale ?
La France a un discours qui est assez favorable à cette gouvernance mondiale (le ministre des affaires étrangères). La France estime que le monde est un monde multipolaire avec un nombre multiple de centres de pouvoirs. Donc, deuxièmement, elle est en faveur d’une approche multilatérale des questions, d’un débat de ces questions dans les grandes organisations internationales. Troisièmement, ce qui illustre bien l’approche française c’est l’idée d’une taxation internationale. Cette idée consiste de dire que nous sommes arrivés à un tel niveau de mondialisation des problèmes que la seule réponse est une réponse globale. Sans doute la France reste sur bien de points dans la logique étatique (diplomatie, Union européenne).
Est-ce que vous pensez que l’idée de la taxe est une idée partagée dans des cercles diplomatiques ou reste-elle plutôt dans des cercles académique et de la société civile ?
C’est vrai, c’est une idée qui vient de la société civile (Attac), mais on a changé un peu le vocabulaire, on parle plutôt d’une contribution financière que d’une taxe Tobin parce que le mot taxe fait un peu peur. Aujourd’hui cette idée est sur l’agenda de la diplomatie internationale (exemple : septembre 2004, président français à New York, proposition aux Nations unies avec l’Espagne et le Brésil, aujourd’hui avec l’Allemagne ; avril 2005, Commission européenne, communication sur le futur de la politique de développement, référence à des mécanismes d’une taxe internationales ; avril 2005, ministre français, Washington, rencontre des responsables de la Banque mondiale, question évoquée mais pas une communiqué officielle, la Banque mondiale va étudier les éventuelles modalités de la mise en Ĺ“uvre d’une contribution internationale). C’est un mouvement intéressant, on est passé d’une vision développée par la société civile à l’inscription de la question à l’ordre du jour des réunions intergouvernementales.
Quelles sont les principales institutions en France qui marquent le débat autour de la gouvernance ?
Premièrement il y a les institutions de la société civile, Attac, les gros ONG (développement) et l’IFRI concernant les cercles de réflexion. Mais je ne peux pas vous donner des noms des grands penseurs autour de la gouvernance.
Est-ce que ce montre que le débat en France est plutôt autour des questions précises et non pas autour des questions générales de la gouvernance mondiale ?
Ce qui concerne le débat politique quotidien, on voit que la publique ne s’intéresse pas à cela mais plutôt à des questions plus proches d’elle, il me semble. Ce qui concerne des élites intellectuelles, il y a bien sûr un débat en France, mais ce débat n’est pas encore arrivé à la société elle-même. Pourtant, le débat autour du commerce équitable est un moyen d’attirer l’attention à ces questions.
Chargé de mission pour la coopération non gouvernementale à l’ambassade de France à Washington (Etats-Unis).