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Une gouvernance démocratique ?

Le rôle de la démocratie pour la gouvernance mondiale

Fecha de redacción de la ficha : 28 mai 2005

Por Corinna Jentzsch

Dans un contexte de crise de souveraineté de l’Etat-nation, un nouveau mode de régulation mondial est nécessaire pour retrouver efficacité et légitimité. La démocratie mondiale est l’une des notions au cœur de ce renouvellement. De la participation des peuples ou des citoyens à l’intégration des nouvelles dynamiques sociales en passant par l’élaboration d’un droit international démocratique, les visions diffèrent et une véritable théorie normative de la démocratie applicable au niveau international reste à inventer.

La notion de démocratie est importante à plusieurs égards dans le concept de gouvernance mondiale. D’une part, dans une perspective cosmopolite (David Held), la démocratie nationale est mise en jeu par les processus de la mondialisation qui dépassent l’Etat-nation ; d’autre part, le manque de légitimité des décisions au niveau mondial (lié à cette évolution) doit être compensé par de nouvelles formes de démocratie au niveau mondial.

Les processus de la mondialisation, l’internationalisation des problèmes à résoudre et la multiplication des acteurs transnationaux remettent en question l’Etat-nation fondé sur la démocratie et l’économie libérale de marché. Il n’y a plus de congruence entre les décisions politiques et les actions économiques, ce qui remet en cause la souveraineté des Etats.(1) Cela viendrait d’une individualisation du droit international, de l’internationalisation du cadre de prise de décision politique, de la perte de l’autonomie de décision des démocraties nationales en termes de sécurité internationale, de l’émergence de nouvelles identités au-delà de l’Etat ainsi que de la contradiction de l’économie mondiale et des décisions étatiques locales. Dans ce contexte, David Held défend l’idée d’une démocratie cosmopolite à l’échelle mondiale pour compenser cette perte de légitimité des Etats-nations. De façon assez proche, Pascal Lamy soutient que, pour retrouver de la cohérence et de la légitimité au niveau mondial, il est nécessaire de sortir de la théorie du système "inter-national" qui domine actuellement pour trouver un mode de régulation s’appuyant sur les trois sources de tout système démocratique : légitimité, efficacité, adhésion.(2) Bien que chaque décision au niveau mondial soit prise par une assemblée d’Etats et donc de gouvernements élus par des peuples, cette construction formelle du système international manque d’un « sentiment de légitimité, c’est-à-dire de la perception que se forment les citoyens de vivre dans un espace de débats, et de jouer un rôle dans la construction des finalités collectives autrement qu’à travers des échéances et des consultations nationales » .(3) Le véritable projet de la gouvernance est donc de construire un pouvoir démocratique mondial – une démocratie alter-nationale qui permette d’évoluer vers des mécanismes de pouvoir efficaces et des objectifs communs.(4) Cette communauté démocratique à l’échelle mondiale permettrait de compenser la « désaffection » au sein des démocraties nationales.

Cette nouvelle forme de relations « cosmopolites » ou « alternationales » présente néanmoins certaines limites. Gustave Massiah revendique que la référence à la démocratie et aux libertés soit suivie par des actions concrètes et constate que « la question de la démocratie ne peut pas être réduite à un nouveau dogme, celui de l’identité entre le marché et la démocratie » .(5) Il est nécessaire de répondre à l’exigence de l’Etat en tant que « garant de l’intérêt général, instrument des politiques sociales de répartition et de distribution, et porteur des liens sociaux qui fondent le développement économique » . En lien avec le principe de subsidiarité, la priorité réside dans la prise de décisions au niveau local afin de répondre aux besoins locaux : aspirer à une régulation mondiale démocratique ne peut faire l’impasse sur un partage des tâches selon les capacités respectives de différents niveaux d’intervention. Ainsi, la démocratie mondiale n’est pas seulement la somme des démocraties nationales. La clé de cette construction réside dans le concept du citoyen : « c’est le rôle du citoyen et la mise en perspective d’une citoyenneté mondiale qui pourrait servir de fil conducteur » .(6)

Bertrand Badie adhère également à une telle implication des peuples au sein d’un système mondial, mais admet que cette vision est limitée.(7) Plutôt que de gouvernance mondiale, il préfère parler d’une nouvelle conception de la participation, un « paradigme démocratique appliqué aux relations internationales » . C’est ce que l’on observe avec l’arrivée progressive d’acteurs non-étatiques sur la scène internationale et l’émergence de nouveaux modes d’interaction entre de différents acteurs. Les relations internationales doivent donc intégrer ces dynamiques sociales. Néanmoins, à la différence des démocraties nationales formées autour d’un centre unique de pouvoir, il n’y aura jamais, selon lui, de démocratie au niveau mondial comparable à celle de l’Etat-nation. Faute d’un seul gouvernement mondial, la participation sociale au niveau mondial ne peut donc pas s’exprimer dans un cadre parlementaire. Pourtant, cette illusion explique le succès du concept de gouvernance. Bertrand Badie s’éloigne d’une vision idéaliste d’une démocratie cosmopolite trop abstraite et qui a besoin, en dernière instance, d’un gouvernement mondial. Pour lui, tout mécanisme de canalisation de la participation des sociétés au niveau mondial devrait dépasser le niveau étatique sans la création d’un gouvernement mondial – ceci étant très difficile au regard du concept intra-étatique des relations internationales d’aujourd’hui.

De manière plus réaliste, Philippe Moreau Defarges présente une vision alternative de la gouvernance démocratique. L’existence d’un cadre institutionnel et de procédures – le « droit international démocratique » , un droit suprême au droit national et aux divers mécanismes de surveillance des Etats (de la part d’autres États, d’organisations internationales, de leur propre population, des organisations inter-étatiques) – fonde déjà une certaine démocratie mondiale.(8) Il faut pourtant noter que cette notion de la démocratie est limitée à la régulation démocratique entre Etats par le droit international, laissant de côté la relation entre leurs citoyens par un droit cosmopolite au sens kantien du terme et comme David Held l’imagine. Des organisations civiles internationales (ONG etc.) peuvent faire entendre leur voix et sont parfois déjà impliquées dans les décisions, mais le système au niveau mondial reste, selon Philippe Moreau Defarges, un système inter-national.

Cela ne fait que souligner l’absence d’une véritable théorie normative de la démocratie applicable au niveau mondial. Selon Bertrand Badie, celle-ci reste à inventer. De nombreux praticiens et chercheurs voient dans l’Union européenne la preuve qu’une forme d’organisation démocratique est possible au-delà des Etats-nations. Mais il reste à savoir si cet exemple est un modèle adéquat pour le niveau mondial et s’il est assez développé pour le transférer, en particulier depuis le 29 mai 2005.

Notas de pie de página

(1) HELD, David, Democracy and the Global Order : From the Modern State to Cosmopolitan Governance, London : Polity Press, 1995.

(2) LAMY, Pascal, « La gouvernance, utopie ou chimère ?  » In : Etudes, vol. 402, n°2, 2005, p.153-162.

(3) Ibid.

(4) Ibid.

(5) MASSIAH, Gustave, « La réforme de l’ONU et le mouvement altermondialiste » . Disponible sur : www.lagauche.com/lagauche/article.php3?id_article=1197

(6) Entretien avec Gustave Massiah, 25 mai 2005, Paris.

(7) Entretien avec Bertrand Badie, 21 avril 2005, Paris.

(8) Entretien avec Philippe Moreau Defarges, 6 avril 2005, Paris.

 

Corinna Jentzsch est l’un des membres d’un Atelier International réunissant un groupe d’étudiants du Master d’Affaires international de Sciences-Po à Paris et de Columbia University à New-York. Les deux équipes ont travaillé durant un semestre à la rédaction d’un rapport croisé sur la notion de gouvernance mondiale.

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