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La mutation du droit international

Une privatisation des normes ?

Fecha de redacción de la ficha : 10 juillet 2005

Par Corinna Jentzsch

Loin de l’illusion d’une déréglementation globale, on assiste au contraire à l’inflation des normes de droit international. La montée en puissance d’acteurs privés à l’échelle mondiale est l’une des sources de cette croissance réglementaire. Mais comment assurer le respect du droit international quand tous les organismes internationaux n’y sont pas assujettis ?

Depuis la guerre en Irak, on parle beaucoup de la fragilité du droit international et de sa difficulté à s’imposer à la volonté des Etats. Bien que le blocage du Conseil de sécurité ait été levé après la fin de la guerre froide et que de nombreuses sanctions et opérations de maintien de la paix aient pu être décidées, le droit international et ses institutions comme les Nations Unies sont toujours confrontés à de nombreux défis. Pourtant, et la création de la Cour Pénale Internationale n’en est qu’une illustration, le droit international crée sans cesse de nouvelles normes, et les institutions qui en assureront le respect. Selon Mireille Delmas-Marty, « plus qu’une défaite du droit, c’est d’une mutation qu’il s’agit, dans la conception même de l’ordre juridique » . (1)

Cette mutation est déterminée par l’accroissement du nombre des normes internationales et des acteurs les produisant. Comme le montre Mireille Delmas-Marty, l’idée de la « déréglementation » économique est une illusion. Au contraire, la multiplication des acteurs d’échelle mondiale, tant publics et privés, génère « des dispositifs d’incitation, de négociation, de flexibilité qui appellent des normes temporaires, évolutives, réversibles ». Ainsi n’y a-t-il plus un espace unique du droit international, mais une « pluralité d’espaces normatifs » . Les institutions internationales ne sont donc plus les seuls producteurs de normes sur la scène internationale, c’est ce que souligne aussi Christian Chavagneux. (2) Le jeu d’autres acteurs, majoritairement du secteur privé, est plus intéressant à observer pour comprendre la régulation des relations économiques mondiale. Se pose alors le problème du contrôle des normes produites et de la hiérarchisation du droit. Gustave Massiah affirme que « le « droit de la mondialisation » à vocation économique est beaucoup plus rapide et plus efficace que la « mondialisation du droit » qui permettrait le rapprochement des droits nationaux sous l’influence des droits de l’homme ». (3) Pour Mireille Delmas-Marty, la privatisation des normes par des codes de conduite conduit à l’absence de véritable contrôle juridictionnel.

Or ces codes de conduite jouent un rôle important dans la gouvernance mondiale. Puisqu’il est plus difficile de créer des normes sur une base contraignante, le secrétaire général des Nations Unies s’est concentré, à la fin des années 1990, sur une nouvelle forme de coopération entre Nations Unies et économie privée : au sommet de Davos en 1999, il a proposé aux entreprises multinationales un « Global Compact » , des codes de conduite, afin de renforcer la responsabilité sociale des entreprises et le respect des normes sociales, environnementales, et des droits de l’homme au sein de ces entreprises. Autour de dix principes essentiels, le Global Compact aboutie à des processus d’apprentissage par le soutien à de « bons exemples ».

Les multinationales n’étant pas assujettie au droit international comme le sont les Etats, elles ne peuvent par conséquent pas être soumises à la juridiction des organismes comme les Nations Unies. Ainsi est-il important de pouvoir s’appuyer sur la bonne volonté des entreprises dans le cadre de leur responsabilité sociale et économique.

Ces tentatives n’arrivent pourtant pas à réconcilier le droit économique et le droit social. Comme le souligne Mireille Delmas-Marty, on observe une contradiction entre l’internationalisation éthique (soutien des Etats) et la globalisation économique (impuissance des Etats) et entre l’idée de l’universalisme (solidarité, lutte contre pauvreté) et la société de marché (compétition, inégalités). Ces contradictions ne peuvent pas être conciliées par l’indivisibilité des droits fondamentaux parce que dans la gouvernance mondiale actuelle, les droits sociaux sont séparés des droits économiques. L’Union européenne constitue une tentative de réconciliation entre droits économiques et sociaux ; l’échec de la Constitution européenne est donc aussi l’échec d’une telle avancée pour le droit international.

L’encadrement des normes internationales reste par conséquent une chantier pour les années à venir, et l’élaboration de codes de conduites au sein des entreprises ne constitue qu’un pas dans la bonne direction.

Fichas :

(1) DELMAS-MARTY, Mireille, Le relatif et l’universel : les forces imaginaires du droit, Paris : Seuil, 2004.

(2) Entretien avec Christian Chavagneux, 21 avril 2005, Paris.

(3) MASSIAH, Gustave, « La réforme de l’ONU et le mouvement altermondialiste » . Disponible sur : www.lagauche.com/lagauche/article.php3?id_article=1197

 

Corinna Jentzsch est l’un des membres d’un Atelier International réunissant un groupe d’étudiants du Master d’Affaires international de Sciences-Po à Paris et de Columbia University à New-York. Les deux équipes ont travaillé durant un semestre à la rédaction d’un rapport croisé sur la notion de gouvernance mondiale.

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