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La citoyenneté active pour la gestion interne du marché de Thiès.

Lorsque les acteurs du secteur privé se réunissent en associations et établissent des règles internes pour parer aux carences des services de la Commune dans la gestion du marché.

Fecha de redacción de la ficha : 06-07

Par Séverine Pain

Cette fiche est l’un des produits d’une enquête réalisée à Thiès (Sénégal) par une équipe d’étudiants,dirigée par le professeur Jacques Fisette, du DESS "Gestion urbaine dans les pays en développement" de l’Université de Montréal, et une équipe de l’Ecole Nationale d’Economie Appliquée de Dakar. Le sujet d’étude de cette équipe plurinationale est l’observation des conditions de la gouvernance locale et le jeu des acteurs publics et privés, autour du cas particulier de la gestion du Marché Central de Thiès.

Autogestion et réglementations internes au marché, modification du rôle de l’État.

En Afrique, estime le PNUD, "les rôles traditionnels de l’État se modifient de plus en plus dans le sens d’une transparence accrue. Ainsi, la société civile et les individus jouent un rôle plus actif dans la prise de décisions ”1.

C’est en partant de ce constat qu’un de nos objectifs lors de notre mission sur le Marché Central de Thiès a été d’observer les acteurs et les associations d’acteurs du secteur privé du Marché, de même que les interactions, les échanges et l’entraide qui s’est développée entre eux. Nous avons notamment pu constater une forte volonté d’organisation entre ces acteurs, et des relations principalement basées sur un principe de confiance mutuelle ; avec comme but commun l’amélioration des conditions de travail qu’elles soient financières ou techniques . Cette philosophie de travail reprend d’ailleurs le principe de ‘citoyenneté active’2 qui consiste à assurer le fonctionnement efficace d’un système ou d’un environnement comme le Marché Central, non par le respect de la législation et des règles en vigueur, mais par la considération de buts communs qui encourage l’autonomie de chacun. La citoyenneté active, tend notamment à promouvoir une citoyenneté fondée sur l’équilibre des droits et des responsabilités, d’assurer la transparence de l’exercice du pouvoir, et de promouvoir de nouveaux outils de démocratie participative.

En effet, par rapport à la difficulté de la Commune d’assurer entièrement ses obligations de services, (notamment en raison de la faiblesse de son budget), les acteurs du marché ont développé leurs propres règles internes pour répondre à leurs attentes et leurs besoins spécifiques. Ces règles ont ainsi comme objectif de favoriser le développement des vendeurs du marché, et d’augmenter les revenus. Il ne faut donc pas interpréter ce mécanisme d’autogestion comme une contrainte ou une obligation due à la faiblesse des moyens de la mairie, mais plutôt comme un réflexe, une envie de progresser et de s’améliorer qui pousse les acteurs du marché à s’adapter aux situations locales et nationales.

Par rapport aux entretiens que nous avons eus avec les représentants du marché, les acteurs revendiquent la reconnaissance de ces institutions qu’ils ont créées et le ‘bien fondé’ des règles informelles qui ont été instituées. Il est nécessaire de préciser que ces règles ‘internes’ ne sont pas figées, celles-ci sont en évolution permanente et elles ont été développées au fil du temps par rapport aux expériences et au vécu de chacun. Les acteurs locaux considèrent ces actions comme un pas de plus vers la décentralisation. Ils aimeraient plus d’échanges et d’implication avec la Commune ce qui leur permettrait de renforcer leurs capacités, d’être informés sur les moyens dont ils disposent pour leur développement, et de participer à la prise de décision sur les sujets qui les concerne.

Regroupements associatifs pour parer aux carences de la Commune.

Cet article proposera donc une vue d’ensemble du fonctionnement du système associatif du Marché Central de Thiès. Il sera important ici de noter la différence entre ce système qui se différencie des fonds de solidarité3 par le caractère officiel et formel qu‘il représente aux yeux de la Commune. Car si les groupements informels sont très répandus sur le marché il existe un certain nombre d’associations formelles dont la place est solide et qui sont très influentes dans la gestion du marché. En grande majorité, ces associations sont d’ailleurs beaucoup plus développées, ont beaucoup plus d’autorité, de pouvoirs et de moyens financiers que les fonds de solidarité ou les groupements informels du marché. Elles ont aussi plus d’influence au niveau des autorités locales et leur champ d’action est plus étendu avec des branches réparties sur toute une région, voir sur tout le pays à l’opposé des groupements (comme les fonds de solidarité) qui sont de taille réduite, et qui se limitent souvent au Marché Central.

Parmi ces associations bien installées au sein du marché, une des plus représentées est l’Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS). Cette association s’est constituée en novembre 1989 en tant que « structure de type associatif, vouée à la défense des commerçants»4. Ses objectifs sont de participer au développement de l’économie nationale, et de promouvoir le commerce tant au plan national qu’international. Son implication comporte des actions de représentation, de financement, d’appui-conseil, de formation, de renforcement des capacités et d’aide à l’accès à la terre. Cette association sénégalaise compte aujourd’hui environ 100 000 membres dont 10% se trouve à l’extérieur du pays. La majorité des membres sont des détaillants, des grossistes et semi-grossistes.

Pour mieux gérer son importance, des branches dépendantes se sont développées comme le mouvement national des femmes de l’UNACOIS, le mouvement national des jeunes, ou des branches régionales comme l’UNACOIS - DEFS (Section Regionale de Thiès, Sous-Section Marché Central). À Thiès, 75% des commerçants de tous les marchés disposent de compte chez eux et viennent déposer chaque jour une partie de leurs bénéfices journaliers. C’est environ 7 000 000 CFA qui rentrent à la mutuelle quotidiennement, dont 70% de cette somme provient des commerçants du Marché Central. Chaque commerçant dépose en moyenne 1000 à 2000 CFA, ce qui peut représenter jusqu’à 30% de leur revenu journalier. Par ailleurs, les commerçants ont la possibilité de contracter des prêts à la mutuelle, chose qu’une majorité des gens qui déposent de l’argent à la mutuelle font. Pour obtenir un crédit, il faut disposer de 20% du montant du prêt dans le compte comme somme d’assurance. Généralement, les taux sont d’environs 1,5% sur une année. Du point de vue des commerçants, tous sont au courant de la possibilité de contracter des prêts. Cependant, la crainte de contracter des dettes et de ne pas pouvoir les rembourser à temps est importante. L’association est aussi la seule à notre connaissance à offrir une mutuelle de santé à ses membres.

Au niveau du marché, l’Union des commerçants a aussi des taches pratiques, comme la gestion des latrines et des bornes-fontaines. En effet, c’est elle qui a financé les travaux d’accès à l’eau dans les nouveaux blocs du marché. À la construction des blocs A et B des robinets avaient été installés par la Commune près des latrines, à cette époque l’eau était gratuite, mais suite au fort gaspillage et au manque de préoccupation de la population les robinets ont été coupé. C’est l’UNACOIS-DEFS qui a financé le nouveau raccordement au réseau de la Sénégalaise des Eaux et qui aujourd’hui emploie un gestionnaire qui fait payer l’eau par bidon de 5L ainsi que l’accès aux latrines. En plus de ces taches, l’association a comme fonction de régler les litiges et les problèmes entre les vendeurs et d’assurer une bonne communication entre les acteurs du marché.

Une autre association bien présente sur le marché est l’Union des Maréyeuses du Marché Central5 (incluant le marché informel), ce groupement des micromareyeuses et des transformatrices de poisson a pour but l’Épargne et de Crédit comme la plupart des associations sur le marché. Mais ce dernier s’occupe aussi des revendications des femmes du marché pour pouvoir par la suite les présenter au conseil Communal. Ce groupement d’Intérêt économique géré par le Crédit Agricole compte 2 000 membres. Les conditions d’admission sont d’être vendeuse, et de payer 6 000 F (1 traite) pour l’épargne et les frais de dossier. L’association est organisée en 65 sous-sections de 30 personnes chacune avec une présidente par sous-section qui ouvre un compte d’épargne/crédit. Chaque sous-section définit ses propres objectifs (individuel ou collectif), mais aucun projet collectif n’a pu voir le jour, car les taux de remboursement du crédit sont trop élevés et trop courts (1 an alors qu’elles auraient besoin d’au moins 3 ans). La cotisation mensuelle est de 500 F CFA par femmes. Le conseil des mareyeuses se réunit toutes les 2 semaines, avec la présence d’un agent de la pêche et malgré le fait qu’une grande majorité de femmes soit analphabète, ces femmes se battent pour lutter contre les discriminations culturelles (une femme est mal vue lorsqu’elle a trop de pouvoir) et pour l’amélioration de leur condition.

Dans une optique de respect et de crédibilité, les membres de l’association ont instauré une auto-surveillance et régulation au sein de leur groupe. En effet, face au manque de législation et de répression effective, les présidentes de chaque sous-section peuvent donner des amendes. Par exemple, pour manque d’hygiène, c’est 500Fr CFA si le poisson n’est pas couvert pour le protéger du soleil, de la poussière et des mouches. L’Association fait aussi un certain nombre de réunions par an pour la sensibilisation des vendeuses sur des thèmes comme l’hygiène ou même le planning familial.

Les marayeurs hommes ont aussi leur association, d’ailleurs, le président des marayeurs de Thiès est aussi le délégué du marché Sam I, ce qui rend complexe la relation entre cette association formelle et le côté informel que représente le marché Sam. Ce président est élu pour la confiance dont il bénéficie, mais aussi pour son statut au sein de la communauté, et pour ses relations avec l’ensemble des vendeurs et ses connexions avec les autorités. Son rôle au sein du marché est d’attribuer des emplacements (suivant les disponibilités) ; de régler les conflits entre vendeurs (peu nombreux) ; et de faire le porte-parole auprès des autorités. Dernièrement, sa voix a permis de fermer la décharge qui se trouvait à proximité du marché, il a aussi organisé la sécurité du marché (la prise en charge de ce service est assurée directement par les vendeurs eux-mêmes : 4 gardiens pour l’ensemble du marché) et a permis l’implantation de la seule benne à ordure du marché informel par la Commune.

Enfin dans le paysage des associations en relation avec le marché on retrouve le réseau des femmes en agriculture biologique et en commerce équitable (Refebec). Cette association fonctionne grâce à un partenariat avec l’O.N.G Agrécol 6 , basée à Thiès. Même si cette association n’est pas constamment présente sur le marché elle regroupe un certain nombre de cultivatrices qui viennent sporadiquement y vendre leurs produits. Outre le Marché Central, on retrouve l’association à l’occasion des foires, et des rencontres spécialisées. Grâce à Agrécol qui encadre depuis des années, des paysans dans divers coins du pays ainsi que des clubs bio composés de producteurs et de consommateurs un marché hebdomadaire, une boutique bio ainsi qu’un restaurant où ne sont vendus que des aliments à base de produits biologiques ont été mis en place. Le réseau des femmes en agriculture biologique est le principal élément actif de ce projet.

Le réseau de femmes a pour objectif de développer l’agriculture biologique en augmentant les connaissances et les techniques de ses membres, mais aussi de sensibiliser la population a ce sujet grâce à de nouvelles stratégies d’information et de communication plus adaptées aux différents acteurs comme à travers de la revue Acacia publiée par Agrécol. Cette association a aussi permis la mise sur pied d’opération dans les quartiers pauvres de la ville avec notamment le don de fournitures scolaires aux enfants de membres ou des dons de légumes et de viande pour les grandes fêtes religieuses.

Néanmoins, en ce qui concerne l’agriculture biologique au Sénégal et dans les PED en général tout reste à faire, de la production à la sensibilisation pour enfin voir une émergence de la filière. Pour cela, les femmes du réseau souhaitent un soutien financier, des sessions de formation continue, l’appui à la commercialisation, une ligne de crédit beaucoup plus consistante pour augmenter le volume de productions. L’émergence des clubs bio au niveau de la commune, sans compter les autres partenaires issus pour la plupart de la zone rurale, a permis d’exploiter les produits agricoles traditionnels comme les fruits et légumes bio

Comme nous l’avons vu, les associations du Marché Central de Thiès ont une place bien établie dans la société. Leurs principales activités sont l’accès au crédit, et au niveau plus local, le règlement des conflits internes grâce à des règles morales qui développent le respect et l’entraide entre les acteurs. Elles sont aussi très souvent les intermédiaires entre les vendeurs et la Commune pour ce qui est de la communication et servent à offrir les services que la Commune n’a pas les capacités financières ou techniques de fournir comme l’accès à l’eau et la gestion des latrines. Mais ce système d’autorégulation et d’autonomie des acteurs dans la gestion interne du marché ne peut être viable que s’il est reconnu et accepté par la Commune. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’accroître la collaboration et la consultation de la société civile pour identifier et discuter des attentes, et des préoccupations que la société.

De même, dans le contexte des associations du Marché, l’un des obstacles à une bonne gouvernance semble être son manque de relais du côté de l’administration locale. Relais qui se fait normalement à travers un « comité de gestion » , présidé par un délégué du marché. Or, en ce qui concerne le Marché Central de Thiès, nos premières observations ne nous ont pas permis d’identifier une entité qui regrouperait toutes les associations de commerçants, d’acteurs du Marché et de la Commune. En effet, lors de la prise de contact, nous avons rencontré séparément des associations comme l’UNACOIS ou l’association des Mareyeuses, mais la coordination des actions des différents acteurs nous a paru peu développée ou inexistante.

Le système des associations et de l’autorégulation est néanmoins un bon moyen pour la gestion du marché et la responsabilisation des acteurs, même si ce système paraît plus efficace dans le temporaire que dans le long terme. Il semblerait ainsi que la solution des partenariats entre la société civile, le secteur privé et la Commune soit plus appropriée et de plus en plus mise en avant afin d’intervenir au plus près des problèmes des individus. Les partenariats permettent ainsi à la société civile, aux O.N.G., aux entreprises et aux différents acteurs du gouvernement d’élaborer ensemble des stratégies territoriales, d’adapter les politiques au contexte local, et de prendre des initiatives qui vont vers des priorités partagées. Le but étant d’unir les responsabilités publiques et la démocratie participative. Ainsi, le dialogue entre les commerçants et la Commune permet la mise en place de mécanismes concertés qui assurent la continuité du fonctionnement de services comme l’assainissement ou le transport.

Fichas :

1 Cadre de coopération régionale pour l’Afrique, 1997-2001, approuvée en mars 1997 par le Conseil d’administration du PNUD.

2 Traversées.org, developper la citoyenneté active.

3 Le principe des fonds de solidarité est developpé dans l’article intitulé : ‘Le secteur informel et la vulnérabilité sociale au sein du marché.

4 www.unacois.sn/index1.asp

5 Les mareyeurs sont des acteurs de la filière poisson qui achètent les poissons, crustacés… soit dans les criées, soit directement aux producteurx ou aux importateurs. Ils revendent ensuite ces produits soit tels quels, soit préparés (étêtés, éviscérés, mis en filet…) à des grossistes, des grandes surfaces, des restaurateurs ou aux particuliers sur le marché.

6 www.agrecol-afrique.sn/presentation.html

 

Séverine Pain est l’une des membres de l’Atelier de Master de l’Université de Montréal - ENEA. Architecte-Paysagiste diplômée de l’ESAJ à Paris, elle a travaillé quatre ans en Chine et à Hong Kong comme responsable de projet pour une grande agence américaine avant de reprendre un DESS et bientôt une maîtrise d’urbanisme à l’Université de Montréal. Ses intérêts et axes de recherche sont orientés sur la gestion urbaine dans les pays en développement et dans les quartiers sensibles des grandes villes.

severinepain@aol.com

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