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Maroc : convergences régionales et spécificités nationales

Un bilan de la mission de terrain menée au Maroc

Por Zineb Gaouane, chargée de mission

Cette fiche a été rédigée à l’issue d’une mission au Maroc au cours de laquelle les principaux acteurs de la vie politique ont été interrogés sur la situation politique et sociale du Maghreb en général, et du Maroc en particulier.

Palabras clave

- MAGHREB

- MARRUECOS

Ces entretiens se sont déroulés auprès d’un large panel de personnes comportant aussi bien des hauts fonctionnaires que des représentants de la société civile, des journalistes ou professeurs.

Les entretiens ont concerné cinq questions : la pertinence d’une approche régionale, l’influence de la société civile, le rôle des autorités traditionnelles et des organisations internationales, et enfin le système politique marocain.

Le Maghreb : un ensemble homogène ?

Cette étude a opté pour une notion géographique large du Maghreb, comprenant l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Libye. Cet espace est-il assez uniforme pour être étudiés globalement ou bien constitue-t-il une addition de territoires et d’Etats trop différents ?

Le petit et le grand Maghreb

En arabe littéral, le Maghreb signifie, le soleil couchant. Il regroupe les pays les plus à l’ouest du monde arabe – par opposition au Machrek, qui désigne les pays arabes de l’orient. Traditionnellement, le Maghreb inclut le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Mais en 1989 ces trois pays, la Libye et la Mauritanie ont créé l’Union du Maghreb Arabe (UMA) donnant naissance au Grand Maghreb arabe.

Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ont connu des histoire parallèles au XXè siècle : tous trois sont des pays berbères à l’origine qui ont été arabisés et islamisés puis ont lutté contre la colonisation française. La Mauritanie a connu la même relation avec la France de colonisation puis décolonisation que les trois pays du « petit » Maghreb, ce qui n’est pas le cas de la Libye. Certains estiment qu’il serait plus judicieux d’intégrer la Mauritanie que la Libye à l’ensemble maghrébin, car ce pays se rapproche davantage des trois autres du point de vue historique et politique – surtout depuis les changements politiques récents. A l’inverse, depuis le coup d’Etat de 1969 et la prise de pouvoir par Kadhafi, la Libye s’est politiquement écartée du groupe maghrébin. Toutefois, du point de vue socioculturel, elle reste plus proche du Maghreb que du Machrek.

Un ensemble géographique et culturel homogène

Avec des plaines côtières arides, des régions montagneuses aux précipitations abondantes et des zones désertiques, les pays du grand Maghreb constituent un ensemble géographique homogène où les populations ont adopté des types d’organisation socio-économique proches.

Le Maghreb s’avère aussi très uniforme du point de vue linguistique, culturel et humain. Ces pays ont adopté la même structuration sociale – tribale à l’origine – et parlent les mêmes langues – berbère et arabe, même si les dialectes y sont différents.

Des systèmes et des choix politiques différents

A l‘inverse, sur le plan politique, l’hétérogénéité domine entre les pays du Maghreb. Les différences actuelles des systèmes politiques maghrébins s’expliquent en grande partie par les choix spécifiques de chaque pays au lendemain des indépendances. L’Algérie a choisi la voie socialiste avec la constitutionnalisation d’un parti unique et l’économie planifiée.

Au contraire, le Maroc et la Tunisie ont pris une voie libérale, mais avec des régimes politiques différents. Le Maroc est une monarchie constitutionnelle basée sur le multipartisme ; les forces qui ont milité pour l’indépendance n’ont pas participé au pouvoir. En revanche, la Tunisie est une république où la vie politique est dominée par un parti, de fait unique, fondé par l’ancien président Bourguiba.

La Mauritanie, quant à elle, fonctionne encore sur la base de structures tribales.

De son côté, la Libye échappe aux classifications traditionnelles des régimes politiques : le coup d’Etat du colonel Kadhafi en 1969 a instauré une Jamahiriya (pouvoir des masses) démocratique et sociale sur la base du Livre vert.

Les cinq pays doivent faire face à des problèmes politiques et socio-économiques similaires : croissance démographique, exode rural, analphabétisme, montée de l’islamisme radical, précarité du statut de la femme (excepté en Tunisie et au Maroc), faiblesse de la liberté d’expression (sauf au Maroc), etc.

Chaque pays a choisi d’y répondre par des politiques différentes, ce qui accentue leurs divergences. A titre d’exemple, alors que l’Algérie peine à réformer le statut de la femme à cause de l’opposition islamiste, le Maroc, qui a connu la même réticence, a réformé le code du statut personnel grâce au rôle de médiateur assuré par le roi, qui possède aussi le statut de Commandeur des croyants.

Les sociétés civiles et les autorités traditionnelles: de possibles contre- pouvoirs? 

Les constitutions des pays du Maghreb consacrent toutes les formes de libertés, elles permettent en principe aux sociétés civiles de s’exprimer, contribuant ainsi à la « démocratisation » des Etats de la région. La réalité s’avère tout autre. Ces pays ont longtemps été régis par des Etats autoritaires, dirigés par des dictateurs mettant de côté tous ceux qui s’opposaient ou critiquaient leurs politiques. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Là encore, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ne sont pas du tout rendus au même point. Alors que le Maroc s’inscrit clairement dans une politique de démocratisation et donc de liberté d’expression réelle, la Tunisie s’engouffre dans la censure, régressant considérablement sur le plan des droits humains. Quant à l’Algérie, elle subit l’influence de l’armée dans tous les domaines, mais sa presse demeure relativement pluraliste (ce qui ne veut pas dire libre) et plus critique que la presse tunisienne.

La notion de société civile est relativement récente au Maroc. Elle est apparue il y a une dizaine d’années, au début de la libéralisation du régime : décrispation des rapports entre l’opposition et la monarchie, liberté d’expression, etc. C’est la monarchie qui soutient le développement des réseaux associatifs, des ONG locales, des fondations et aussi de la liberté de la presse. Aujourd’hui les journalistes marocains peuvent écrire sur tous les sujets sans être inquiétés, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.

Les tribus au Maghreb

La structure tribale est encore aujourd’hui très marquée en Libye et en Mauritanie, ce qui n’est plus le cas dans les trois autres pays. En Tunisie, le phénomène est très marginal, tandis qu’en Algérie la colonisation française s’est attachée à détruire les structures de pouvoir existantes et à écarter ce mode de gestion de l’autorité. En revanche le Maroc a gardé ses structures politiques sous le Protectorat. Mais il a écarté la tribu au lendemain de l’indépendance avec le découpage du territoire en communes qui ont marginalisé ces structures sociales en remplaçant le chef de la tribu par une autorité administrative.

En dehors de la Mauritanie et de la Libye, où la tribu, en tant qu’autorité traditionnelle, exerce encore une influence au niveau des institutions nationales, les autres pays du Maghreb ne vivent plus ce phénomène de la même manière. Depuis l’avènement de l’Etat moderne, ces autorités ne disposent plus de la même légitimité politique.

Au Maroc, la réalité tribale réapparaît partiellement en période électorale. Durant leur campagne électorale, les partis prennent ainsi soin de choisir leurs représentants dans les circonscriptions selon l’appartenance régionale ou tribale du candidat. La tribu garde néanmoins une réelle influence politique uniquement dans certaines régions du monde rural (dans les provinces du Sud notamment), où quelques chefs de tribus possèdent encore une renommée et une autorité symbolique équivalente à celle des responsables administratifs locaux.

Les autres formes traditionnelles d’autorité

Outre les structures de type tribal, le Maghreb connaît d’autres formes d’autorités traditionnelles. Il s’agit des oulémas, ou théologiens de l’Islam, dont le rôle est de vulgariser la norme religieuse. Au Maroc par exemple, ces autorités, qui disposent uniquement d’une légitimité religieuse, ont été introduites dans le système politique moderne par le biais du ministère des habous et des Affaires islamiques. Leur fonction est de contrôler la pratique de l’islam au sein du pays, mais aussi et surtout d’édicter la jurisprudence sur des questions d’interprétation de l’islam en se référant au Coran, à la Sunnah (parole du prophète) et au rite malékite.

Les théologiens marocains exercent leur fonction sous la houlette du roi, qui est le commandeur des croyants. Ceci constitue une des spécificités du Maroc. Le roi représentet l’autorité traditionnelle par excellence, institutionnalisée par la Constitution (article 19), qui consacre sa double légitimité, politique et religieuse. La légitimité du roi est également institutionnalisée par l’acte d’allégeance ou bay’a qui perpétue une tradition héritée de l’époque précoloniale. A l’époque, les chefs de tribus faisaient acte d’allégeance au nouveau roi, lui apportant ainsi leur soutien officiel. Cette allégeance marquait l’accord des tribus pour la désignation du nouveau roi. Sans cet acte officiel de reconnaissance, le roi pouvait se voir déchu de sa fonction. Les ministres et d’autres représentants de l’autorité politique et administrative continuent aujourd’hui à prêter allégeance au roi, mais la bay’a a perdu sa fonction politique. Elle reproduit un rituel devenu purement symbolique.

L’impact politique de la conditionnalité de l’aide au Maroc 

Les organisations financières internationales renforcent les conditionnalités de leur aide au développement. Quelle influence et quel impact réel ces pratiques ont-elles sur les politiques locales ?

Les critères de conditionnalité de l’aide des institutions financières internationales

Les Etats font appel aux institutions financières internationales, et en particulier à la Banque Mondiale et au FMI pour obtenir des prêts et des crédits, à plus ou moins long terme, afin de financer leurs politiques de développement

Un peu comme le pratiquent les banques d’affaires, ces institutions acceptent de prêter de l’argent à un Etat seulement si elles obtiennent des garanties quant à la bonne gestion des fonds accordés, afin de garantir le remboursement du prêt. Lorsqu’un Etat fait preuve d’une gestion trop peu rigoureuse de ses fonds publics, la Banque mondiale et le FMI conditionnent les accords de prêts à la mise en oeuvre de réformes de gestion qu’elles recommandent et aident éventuellement à appliquer.

L’impact à long terme des politiques de conditionnalité

Les avis divergent bien sûr quant au rôle effectif des organisations internationales sur l’ouverture économique et politique du Maroc. Certains leur attribuent un rôle marginal ; plus nombreux sont ceux qui leur accordent un rôle central dans cette politique d’ouverture.

Le plan d’ajustement structurel, lancé au début des années 1980 au Maroc, à la demande et avec l’appui de la Banque mondiale et du FMI, semble ainsi avoir contribué, malgré les difficultés et les erreurs, à rationaliser la gestion des finances publiques nationales. Les différentes pressions exercées par la communauté internationale, quant à elles, auraient accompagné la libéralisation de l’espace politique marocain.

Si les interlocuteurs rencontrés émettent un constat plutôt globalement positif quant au rôle de la communauté internationale sur les évolutions de la politique marocaine, ils pointent aussi de façon critique certains partis pris des diplomaties nationales comme des organisations internationales sur la vie politique marocaine. Une critique récurrente se fait ainsi jour sur la façon, soit disant pragmatique, dont la communauté internationale analyse la montée en puissance du Parti de la Justice et du Développement (PJD), voulant croire qu’il s’agit d’un parti comme les autres et faisant un pari risqué sur la possible modération de ses positions.

Maroc : un rapide état des lieux politiques

Selon les observateurs étrangers, le Maroc constituerait une exception démocratique dans la région. Depuis 1998 et l’alternance initiée par Hassan II, et surtout depuis l’accession au pouvoir de Mohammed VI, le Maroc connaît une profonde mutation. Celle-ci se traduit-elle réellement par une évolution démocratique ? Les élections de 2002 et 2007 en sont-elles le témoignage ?

Le rôle et l’avenir de la royauté

Le Maroc est dirigé par un roi. Actuellement, personne ne remet en cause sa légitimité. Au contraire, les élites politiques se félicitent de son rôle de garde-fou, en tant que commandeur des croyants, face à la montée en puissance des forces islamistes. La royauté apparaît comme la clef de voûte du système politique marocain, l’ultime garantie de la stabilité du pays et la seule autorité pouvant initier le changement. Le roi symbolise l‘unité du royaume et sa continuité.

Néanmoins les organisations politiques, et en premier lieu le parti socialiste (USFP), tout comme les structures de la société civile, souhaiteraient une réforme constitutionnelle qui modifieraient notamment certaines prérogatives du roi. Les revendications de la classe politique visent le renforcement des pouvoirs du Premier ministre et du Parlement, sans remettre en cause le statut du Roi.

Selon les personnes interrogées, le régime marocain n’évoluera vraisemblablement pas vers une démocratie monarchique à l’européenne, et la monarchie marocaine devrait garder sa spécificité.

Le déroulement des élections

Les dernières élections législatives marocaines se sont déroulées en 2002 et en 2007. Tous les observateurs s’accordent à dire que ces élections ont été les plus transparentes de l’histoire du Maroc. Le ministère de l’Intérieur s’est tenu au seul rôle d’observateur, d’organisateur, et de garant du bon déroulement des élections.

Les élections de 2002 se sont traduites par la montée en puissance politique du parti islamiste marocain (le PJD), qui n’était pourtant pas présent dans toutes les circonscriptions. De nombreuses raisons, propres à l’ensemble du monde arabo-musulman, expliquent le succès croissant de ce parti. Mais on peut souligner l’importance de son militantisme de terrain et le réel travail d’écoute de la population qui lui ont donné un sentiment de véritable proximité de ce parti au moment où les partis traditionnels s’avéraient décrédibilisés.

Le PJD se présente comme un parti modéré. Les principaux acteurs internationaux ont tendance à le considérer comme une force politique « normale ». La perception de la classe politique et de la société civile marocaine s’avère fort différente. Ces derniers estiment que l’islam politique (l’islamisme) est intrinsèquement non modéré, puisque son objectif est d’instaurer la loi islamique– de façon violente ou pacifique. Pour tous les interlocuteurs marocains rencontrés, cela signifierait quatorze siècles de retour en arrière.

Les élections de septembre 2007 ont confirmé l’ancrage du PJD, qui présentait cette fois-ci des candidats dans quasiment toutes les circonscriptions. Avec près de 11% des suffrages exprimés, il confirme sa puissance, sans qu’on assiste au raz de marée politique que d’aucuns prédisaient.

Mais le résultat le plus frappant de ces dernières élections est sans aucun doute la faiblesse du taux de participation : il s’élève à 37 % alors qu’il s’établissait à 52 % en 2002. Malgré des élections très transparentes, cette très faible participation témoigne de la difficulté des partis politiques et des élections à représenter une forme de gouvernance démocratique qui rencontre véritablement l’adhésion de la population.

 


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