Análisis Análisis

Un changement politique est-il possible en Libye ?

Les paradoxes, les dynamiques de progrès et les facteurs de résistance

Por Skander Ben Mami, chargé de mission

Palabras clave

- Democratización

- LIBIA

L’heure du changement est peut-être venue en Libye, le régime montrant un certain nombre de signes encourageants d’ouverture. Quelle est la nature de cette ouverture et ses possibles développements sur la société et le système politique libyen ?.

La relative décrispation économique n’élude pas la question de la nature inchangée d’un régime qui tente de perdurer dans un contexte nouveau. Les générations post-révolution arrivent à l’âge adulte ; à l’international les relations avec l’Occident s’apaisent, notamment suite au 11 septembre ; le Maroc voisin s’est engagé dans une relative libéralisation et démocratisation politiquei.

Notre analyse s’organise en quatre parties. La première porte sur les conséquences de la dépendance du politique envers la manne pétrolière.  La deuxième partie est consacrée au caractère désarticulé du « printemps libyen » dont peu profitent en réalité. Dans la troisième partie, nous nous interrogeons sur les potentialités de développement du pays en termes d’opportunités et de risques. Enfin, la quatrième et dernière partie met en lumière les paradoxes et les facteurs de résistance au changement de la société libyenne.

La dépendance envers la manne pétrolière

L’économie libyenne est repartie sur une dynamique positive : le PIB est en croissance régulière et soutenue depuis plusieurs années (5,6% en 2003 et 5% en 2006). Le PIB par habitant est le plus élevé d’Afrique (7600 USD en 2006). L’excédent budgétaire correspond à près de 40% du PIB en 2006 et le solde commercial est également positif. Quant au niveau des réserves, il devrait correspondre en 2006 à plus de 40 mois de réserves (contre 6 mois pour la Tunisie). Enfin, le niveau de l’inflation est contenu à 3%.

La situation économique du pays semble donc très bonne, ce qui n’est pas sans conséquence sur le moral de la population, mais aussi sur les perspectives de changement politique.

L’économie libyenne est très déséquilibrée. Le secteur pétrolier pèse, selon les estimations, entre 40% et 70% du PIB. Il compte pour deux tiers des recettes budgétaires et pour près de la totalité des exportations. Le quart de la croissance de 2006 provient de la vente des hydrocarbures.

Ce poids du pétrole ne représente cependant pas un risque véritable pour l’économie nationale. Le secteur est étroitement contrôlé par les autorités et les réserves pétrolières sont suffisantes pour permettre une croissance immédiate de la production qui pallierait tout besoin de liquidités du pays. La production est ainsi actuellement plafonnée par un quota OPEP à 1,3 M barils/jour pour des réserves estimées de 35 à 39 milliards de barils.

Le risque tient plutôt aux effets de l’argent facile qui fait facilement oublier les retards de développement du pays dans de nombreux domaines: industrie, agriculture, secteur marchand et services (indigence du secteur du tourisme par exemple). Les autorités libyennes ont pris conscience du problème en 2003. Mais il ne faut pas s’attendre à des changements radicaux qui risqueraient de déstabiliser le pays. Ce conservatisme explique la suspension du programme de privatisations. Il avait pour objet de transférer au secteur privé plus de 360 entreprises d’Etat d’ici 2008. Ce changement de cap opéré en 2006 a été politiquement symbolisé par le limogeage du libéral Ghanem, remplacé par M.Madoudi.

Un printemps libyen sans les partenaires étrangers

L’ouverture depuis la détente de 2003 n’a pas seulement profité aux entreprises nationales, mais à toutes les entreprises, comme en attestent les bons résultats des sociétés françaisesii. De nouveaux concurrents développent des activités dans différents secteurs : l’énergie (Russie, Chine), le bâtiment (Turquie, Philippines) ou encore les biens de consommation courante (Corée, Chine, Inde, Indonésie). Le pays dispose en effet d’un fort potentiel de développement, malgré la taille relativement réduite du marché (6 millions d’habitants).

Pourtant les entreprises étrangères installées en Libye sont régulièrement confrontées à des tracasseries administratives, la plus contraignante concernant la main d’œuvre. Chaque entreprise a en effet l’obligation d’employer un tiers de personnel libyen. De plus, toute arrivée d’un nouvel employé étranger sur le territoire doit obligatoirement être compensée par l’embauche d’un employé libyen. Cette règle est impossible à respecter en raison du manque de personnel national qualifié. Elle s’avère d’autant plus ubuesque que tout employé étranger qui renouvelle son visa annuel est considéré comme un nouvel entrant. En outre, depuis novembre 2006 une entreprise étrangère ne peut plus s’installer dans le pays sans un partenaire libyen. Selon une logique similaire, la Compagnie des Pétroles Total Libye, branche de Total, s’est vu imposer à sa tête un triumvirat composé d’un Français et de deux Libyens, nommés par la Compagnie nationale libyenne de pétrole (NOC). Enfin, les entreprises règlent une taxe sur chaque nouvel étranger embauché, le « taqium », dont les bénéfices devraient être reversés à des centres de formation professionnelle qui sont loin de toujours exister.

Les autorités libyennes savent que le savoir-faire étranger leur est indispensable mais elles contrôlent que sa présence n’ait pas de conséquence politique. La stratégie d’ouverture reste donc sélective et partielle. Le constat est le même en matière de politique sociale.

Risques et opportunités du développement 

Le pouvoir considère que le développement de l’éducation et de la formation est indispensable et constitue un enjeu crucial pour le pays. En effet, le développement économique requiert une main d’œuvre compétente. En outre, la population n’acceptera pas indéfiniment la situation actuelle d’indigence éducative et culturelle.

Mais en même temps, le pouvoir s’inquiète des risques politiques que représenterait une population mieux formée.

Les autorités n’ont pour l’instant formulé que des réponses partielles à cette difficile équation.

Les années 1985 et 86 constituent des années charnières. La réforme de l’éducation a multiplié par six le nombre d’étudiants, passés de 2000 en 1984, à 12000 en 2003. Mais l’ouverture de l’université s’est accompagnée de la fermeture des écoles de langues. La sévère réduction de l’enseignement des langues étrangères aboutit à ce que la population libyenne soit aujourd’hui quasi exclusivement arabophone. Cette décision serait le résultat d’un raisonnement simple : pas de langue étrangère, pas de contact avec l’étranger.

La question de l’employabilité des nouvelles générations ainsi formées se pose avec acuité. Le secteur public, débouché traditionnel, réduit ses effectifs. Ils devraient baisser de moitié dans les prochaines années, comme l’a recommandé le FMI. Parallèlement, la croissance démographique amènera sur le marché du travail une importante population jeune à la recherche d’emploi (la moitié de la population est âgée de moins de 25 ans). Le pays est loin d’être surpeuplé (la main d’œuvre productive est estimée à seulement 1,2 millions de personnes), mais la population s’inquiète de son avenir.

Cette incertitude devenue impatience, s’est transformée en 2006 en mécontentement. Il résulte des attentes en partie frustrées suscitées par le début de l’ouverture. Les Libyens ont en effet bénéficié d’une certaine détente du régime, consécutive à la normalisation des relations avec l’Occident. La libre entreprise a été autorisée, les fermes d’Etat ont été en partie privatisées et la règle inscrite dans le Livre Vert sur le logement (« Est propriétaire du logement celui qui l’occupe »iii) a été officieusement écartée, entraînant une relance du secteur de l’immobilier et du bâtimentiv.

Les autorités ont vite perçu le mécontentement populaire et ont lancé ou relancé de nouveaux programmes pour l’enrayer. Ces derniers concernent les infrastructures (téléphone, routes), la santé (hôpitaux) ou encore les salaires dans le secteur public qu’un décret, publié en 2006 prévoit d’augmenter entre 30% et 90% selon les grades. Les salaires, stabilisés depuis 1980 à environ 180 euros, devraient ainsi atteindre 400 euros en moyenne, voir 800 euros pour certains hauts cadres de l’administration. Cet objectif, fixé pour 2008, semble difficile à atteindre, mais il est symptomatique de la nécessité politique d’une meilleure satisfaction des attentes de la population.

Une société aux repères fluctuants

L’amélioration de la gouvernance en Libye se heurte aux réflexes défensifs des groupes au pouvoir, mais également à certains préjugés de la population qu’on appellera « mentalités », c’est à dire l’ensemble des représentations exprimées par une population à un moment donné, dans un contexte déterminé.

Nous centrons notre propos sur deux thèmes, d’une part la notion de Maghreb et l’identité libyenne, et d’autre part, la place dévolue aux femmes, un élément essentiel dans l’effectivité du changement.

Sans tomber dans le stéréotype, il existe une spécificité intellectuelle libyenne dans la relation à « l’étranger » et aux « étrangers », cultivée par le pouvoir. Elle tient en deux idées : tout d’abord, la Libye occupe une place à part dans le monde maghrébin et a fortiori africain ; ensuite, la nation libyenne appartient au monde arabo-musulman et ne se réduit pas à une appartenance sous-régionale aux contours flous. Le Maghreb représente ainsi un espace sans réel contenu pour les Libyens. Il se confond avec une sensibilité d’abord musulmane, puis arabe et enfin africaine. La présence de travailleurs issus de toute l’Afriquev, mais surtout de l’Afrique subsaharienne (Tchad, Mali, Sénégal, Nigeria) et des plus proches voisins (Tunisie et Egypte), donne à la Libye l’impression d’être un pôle africain important.

Pourtant, ce n’est pas le « modèle » libyen, au demeurant fragile, qui attire ces populations mais la position stratégique du pays d’avant-poste vers l’Europe et les opportunités économiques meilleures que dans leur propre pays.

La relation avec les populations « blanches » demeure néanmoins très différente de celle avec les populations « noires », musulmanes ou non. Les populations noires sont plus pauvres et moins exigeantes sur les emplois proposés, ce qui renforce un certain sentiment de supériorité et d’élitisme au sein de la population locale vis-à-vis de ces groupes d’étrangers. Le pouvoir abonde dans ce sens en célébrant le rôle historique de la Libye.

Les femmes souffrent d’une forte marginalisation politique. On compte ainsi seulement deux femmes parmi les dix-neuf responsables des comités populaires, censés pourtant représenter fidèlement la société libyennevi. Elles sont quasiment absentes de la sphère publique (très peu de femmes circulent dans les rues). Le rôle traditionnellement en retrait des femmes semble considéré comme un facteur de stabilité et un élément majeur d’une société musulmane.

En réalité, il n’existe pas de lien direct clair entre l’islam et la soumission féminine.   Les exemples tunisien et marocain témoignent d’ailleurs, à l’inverse, qu’un pays peut conserver son identité musulmane tout en favorisant l’insertion sociale et politique des femmes. La population libyenne ne semble pas encore prête à ce changement. Toute initiative en ce sens pourrait provoquer des réactions crispées de la population que le pouvoir préfère éviter.

Conclusion

L’économie et la société libyennes traversent une période de relative prospérité et de stabilité intérieure qui perdurera encore quelques années, tant le système semble maîtrisé par les clans au pouvoir et accepté par la population. Les récentes évolutions en faveur d’une libéralisation économique et d’une meilleure prise en compte des préoccupations sociales témoignent de la réactivité du régime et de sa capacité à formuler des « réponses désarmantes »vii à une contestation larvée et en mal de représentation. La manne pétrolière reste étroitement contrôlée par un pouvoir qui intègre ou exclut à son gré les personnes considérées comme utiles ou au contraire menaçantes. L’amélioration réelle des conditions de vie de la population libyenne, et les promesses d’un mieux à venir formulées par le pouvoir hypothèquent les perspectives de changement à court terme. Sans être vraiment satisfaite, la population semble considérer que le régime actuel, avec son originalité, constitue la meilleure réponse à ses attentes immédiates. Il jouit à ses yeux d’une image puissante sur la scène internationale et au sein du monde arabe.

 


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