Análisis Análisis

La « bonne gouvernance » vue par les bailleurs de fonds

La diversité des approches et du rôle accordé aux élections démocratiques

Por Lisa Drössler, chargée de mission

Introduction

La bonne gouvernance est devenue un concept récurrent dans les discours des spécialistes du développement ainsi qu’au sein des organisations de coopération internationale. Cependant, elle reste un concept flou que chaque acteur définit à son gré.

Cette fiche compare les approches des bailleurs de fonds en matière de bonne gouvernance ainsi que la place qu’ils accordent aux élections démocratiques pour définir la bonne gouvernance.

La fiche est structurée par types d’organisation. Dans une première partie, l’approche de deux organisations internationales est présentée, les Nations Unies et la Banque Mondiale.

La seconde partie présente l’approche de coopérations à caractère régional ou national à travers l’exemple de l’Union européenne, premier donateur dans la zone méditerranéenne, et celui de la France, pays historiquement le plus proche des pays du Maghreb.

Les organismes du système des Nations Unies

L’Organisation des Nations Unies (ONU)

Cette organisation considère que la bonne gouvernance se situe au carrefour des objectifs du développement et de la promotion des droits de l’Homme. Elle vise ainsi « la croissance et le développement humain durable ». Pour l’organisation internationale, les principales caractéristiques de la bonne gouvernance sont1: : la transparence, la responsabilité, l’obligation de rendre compte, la participation et la prise en compte des besoins de la population.

La qualité de l’administration des affaires publiques et de la gestion des ressources dépend du respect effectif des droits de l’Homme, de leurs droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux.

Le lien entre la gouvernance et la démocratie est essentiel pour l’ONU qui considère ces deux notions comme très proches. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ne distingue d’ailleurs pas la bonne gouvernance de la gouvernance démocratique2. L’objectif est le même : améliorer la participation des populations et l’obligation pour les autorités de leur rendre compte.

L’action de l’ONU au Maghreb en faveur de la bonne gouvernance et de la tenue d’élections démocratiques est essentiellement assurée par le PNUD, doté d’une représentation dans les quatre pays du Maghreb. Cette organisation travaille par exemple à la promotion de la bonne gouvernance et à l’accompa-gnement des réformes institutionnelles en Algérie depuis 1994.3 Parmi ses programmes de coopération, on peut mentionner l’appui au Parlement algérien4, la modernisation de la justice et le renforcement des compétences locales pour un développement durable.

Le PNUD a en outre lancé deux projets : le « Program on governance in the Arab region » (Pogar) et l’initiative Gold Maghreb. Le Pogar concerne tout le monde arabe. Deux questions communes prioritaires sont abordées : l’existence d’un pouvoir exécutif fort sans contre-pouvoir, ni véritable participation populaire au processus politique  et la perception d’une relation entre l’Etat et la société civile fondée sur un rapport gagnant-perdant, sans guère de résultats positifs.

Le PNUD souligne cependant que les discours officiels des gouvernements sur la gouvernance démocratique ont évolué de façon notable dans les pays du monde arabe ces dernières années. Elle constitue désormais un indicateur de référence à atteindre.5

L’initiative Gold Maghreb6 se réfère aux Objectifs du Millénaire (ODM) à l’échelle locale et décentralisée. Il s’agit à la fois de promouvoir la bonne gouvernance locale et de renforcer la prise en compte de l’atteinte des OMD à l’échelle locale. L’amélioration de la gouvernance locale implique une meilleure participation et intégration de la société civile et du secteur privé.

Les élections démocratiques sont intimement liées à la question de la gouvernance locale. La démocratisation et la décentralisation aboutissent toutes deux à limiter le pouvoir central.

Pour l’ONU, la notion de bonne gouvernance équivaut donc à celle de gouvernance démocratique, avec une importance forte accordée au respect des droits de l’homme. Cependant les experts estiment que l’ONU n’est pas très présente sur le terrain et que les effets de son intervention ne sont pas très visibles.7

La Banque Mondiale

La mission de la Banque mondiale est de fournir un appui financier et technique aux pays en développement grâce à l’octroi de prêts à faible taux d’intérêt ou de crédits sans intérêt. L’objectif principal de la Banque mondiale est devenu depuis quelques années la réduction de la pauvreté.8

Elle a adopté le concept de gouvernance dans les années 1980, constatant qu’aucune réforme économique ne pouvait faire l’impasse d’une réforme institutionnelle en profondeur.

La Banque mondiale définit ainsi le sens qu’elle donne à cette notion : « Governance is the manner in which power is exercised in the management of a country’s economic and social resources for development. ».9

La Banque conditionne son aide à la création d’un cadre juridique et institutionnel qui favorise la responsabilité, la transparence et l’Etat de droit dans une perspective de développement et de réduction de la pauvreté.10

Dans le rapport « Governance Matters V : Governance Indicators for 1996-2005 »11, la Banque Mondiale identifie six dimensions de la gouvernance :

La gouvernance politique est un processus de sélection et de remplacement des autorités. Une bonne gouvernance politique implique de :

  • Être à l’écoute des citoyens et leur rendre compte -

  • Leur assurer une stabilité politique et l’absence de violence ou de terrorisme. 

La gouvernance économique consiste en la capacité du gouvernement à formuler et mettre en place une politique économique. Une bonne gouvernance économique repose sur :

  • L’efficacité de la bureaucratie et la qualité du service public effectivement offert ;

  • La qualité des réglementations, notamment pour fluidifier le marché..

La gouvernance institutionnelle consiste  dans le respect des citoyens et l’existence d’institutions assurant les interactions avec ces derniers. Une bonne gouvernance institutionnelle se base sur :

  • La suprématie de la loi et donc l’indépendance de la justice, la qualité du fonctionnement de la police et les tribunaux, y compris la maîtrise de la criminalité.

  • La maîtrise de la corruption.

La promotion de la démocratie ne constitue donc pas la cible prioritaire de la Banque Mondiale en matière de bonne gouvernance. Les élections font néanmoins clairement partie de la « bonne gouvernance politique ». Ainsi, selon la Banque mondiale,  les élections sont « en général la forme la plus instituée de la participation »12. Mais la Banque précise aussi qu’un processus électoral démocratique ne garantit pas forcément la défense de l’intérêt général et qu’en revanche un régime non démocratique peut chercher à le poursuivre.13

La Banque met l’accent sur différents acteurs susceptibles de protéger les droits des minorités et les groupes défavorisés : la société civile, les associations professionnelles ou encore les syndicats par exemple. La Banque soutient aussi la décentralisation qui relativise le pouvoir du gouvernement central. Les structures décentralisées sont souvent mieux au fait des réalités concrètes et elles remplissent également une fonction de contrôle du pouvoir central.14

La Banque mondiale est donc passée en quelques années d’une « vision non-interventionniste et minimaliste de l’Etat » à une approche où les notions de « bonne gouvernance » et de démocratie deviennent quasiment synonymes. Néanmoins, la Banque mondiale ne parle jamais d’« élections » mais de l’«obligation de rendre compte», de la libre circulation de l’information, de la transparence ou encore de l’efficacité.15

Les coopérations européenne et française avec les pays du Maghreb

L’Union Européenne (UE)

L’Union européenne représente un acteur essentiel en Méditerranée. Ses initiatives dépassent largement le cadre des Etats membres et prennent en compte le voisinage immédiat.

Le concept de bonne gouvernance se situe à la base de toute la coopération internationale de l’Union Européenne. L’Europe insiste surtout sur les aspects politiques, économiques et sociaux de la gouvernance. Elle accorde une attention particulière aux droits de l’Homme ainsi qu’à la démocratie et à la primauté du droit et de la qualité du gouvernement.16

La Commission Européenne précise ainsi ce qu’elle entend par gouvernance : « [Il s’agit] de la capacité d’un État à servir ses citoyens. La gouvernance concerne les règles, les processus et les comportements par lesquels les intérêts sont organisés, les ressources générées et le pouvoir exercé dans la société. La manière dont les services publics fonctionnent, les ressources publiques sont gérées et les pouvoirs réglementaires publics sont exercés constitue le principal problème à traiter dans ce contexte. »

Cette définition, inclut de nombreuses dimensions : la lutte contre la corruption, la migration, le commerce et aussi le rôle des entreprises.

Le cadre de la coopération entre l’UE et les pays du Maghreb est fixé dans le Processus de Barcelone qui formalise la politique communautaire avec les pays de la région. Cette coopération s’est concrétisée par la signature de traités bilatéraux avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. La Libye, n’a pas encore été incluse dans cette coopération car elle faisait encore l’objet de sanctions internationales au moment de la Conférence de Barcelone.  Il a néanmoins été décidé en 1999 qu’elle pourrait devenir partenaire dès que les sanctions seraient levées (ce qui est désormais le cas) et que Tripoli accepterait sans réserve le document cadre de Barcelone

Le Processus de Barcelone est géré sur le plan financier par le programme MEDA, principal instrument du partenariat euro-méditerranéen. L’objectif central de ce programme est de renforcer la stabilité politique et la démocratie dans la région. Il vise le développement de la coopération économique, sociale et culturelle.17

Le sous-programme MEDA Démocratie propose un soutien financier aux ONGs maghrébines qui travaillent dans les domaines suivants : les droits de l’Homme, les droits des femmes, la réforme du système pénitentiaire, la démocratisation et la bonne gouvernance.

Les efforts financiers de l’UE sur ce thème ne semblent pourtant pas très importants. Ainsi, en 2003, l’UE a accordé, sous la ligne Démocratie et Droits de l’homme, 2,3 millions € aux projets en Algérie, 1,2 millions € en Tunisie et 0,5 millions € au Maroc. Pourtant l’enveloppe globale de MEDA est de 230 millions €.

De plus, la coopération avec les ONGs locales s’avère complexe. Toutes les ONGs sont loin d’être neutres et peu sont à même de gérer des programmes lourds comme ceux que propose l’Europe, qui, de son côté, a parfois du mal à se repérer dans la nébuleuse des ONGs locales.18

La première décennie du Processus de Barcelone fait ressortir la lenteur du processus, et une certaine déception au regard des espoirs entretenus. L’Union européenne semble désormais s’engager davantage auprès des pays d’Europe orientale et balkanique. La coopération avec les pays arabes est en partie recentrée sur la lutte contre le terrorisme et l’apaisement des conflits au Moyen-Orient.19 Les événements du 11 septembre 2001 semblent avoir convaincu l’UE de tolérer plus facilement les régimes peu démocratiques dès lors qu’ils participent à la lutte contre le terrorisme international.20

La France

La France participe activement à la politique communautaire, mais elle entretient aussi des relations de coopération bilatérale avec certains pays du Maghreb, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie notamment. La gouvernance constitue un thème central de la politique de l’aide publique au développement de la France auprès de ces pays.21

La France accorde une importance particulière à des questions comme la valeur de la personne humaine, la légitimité des autorités publiques, le respect des libertés ou encore la représentativité du gouvernement. Cependant la diplomatie française reste consciente que « la réalisation effective de l’Etat de droit et de la gouvernance démocratique dépend naturellement de la façon dont les institutions sont organisées et fonctionnent. Elle dépend aussi de la capacité de la société civile à défendre ses droits.»22 L’ambition d’accélérer le changement dans un sens démocratique et pluraliste est donc clairement affichée, mais dans un souci de stabilité et selon une démarche progressive.

La conception française témoigne d’une forte orientation de la notion de bonne gouvernance vers celle de l’Etat de droit, même si les efforts d’appui à l’organisation et au contrôle des élections s’avèrent limités. Les programmes de coopération municipale décentralisée que soutient la France peuvent s’avérer une bonne façon de diversifier le pouvoir et, à plus long terme, de favoriser la démocratie.

Conclusion

Malgré leurs ressemblances, les approches des bailleurs de fonds en matière de bonne gouvernance et du rôle des élections démocratiques ne s’avèrent pas homogènes. Il n’existe pas de véritable consensus en la matière.

Les Nations Unies construisent leur conception de la bonne gouvernance autour des droits de l’Homme et privilégient le concept de gouvernance démocratique. La Banque mondiale se centre sur les conditions du bon fonctionnement de l’économie nationale, la démocratie se présentant comme un horizon souhaitable mais pas indispensable.

L’Union européenne fait primer l’objectif de sécurité sur celui de démocratise et de bonne gouvernance. La France, quant à elle, centre la notion de bonne gouvernance sur l’Etat de droit et la lie étroitement au processus de décentralisation.

L’hétérogénéité des perceptions des bailleurs de fonds sur l’importance des élections comme critère de bonne gouvernance peut donner l’impression aux Etats comme aux sociétés civiles du Maghreb que les élections constituent pour elles un objectif souhaité mais non-indispensable, les régimes pouvant agir à leur guise à condition de contribuer à la stabilité de la région.

La progression de la démocratie dans la région impliquerait sans doute une vision mieux partagée par tous les bailleurs de fonds quant à son rôle et son importance.23 Cela impliquerait une plus grande coordination entre ces bailleurs mais aussi davantage de concertation avec les autorités et les populations locales.

Notas de pie de página

1: Résolution 2000/64 de la Commission des droits de l’homme.

2: PNUD. About the Democratic Governance Practice. www.undp.org/governance/about.htm consulté le 18 décembre 2006.

3: PNUD Algérie. Promotion de la Gouvernance démocratique. www.dz.undp.org/gouvernance/gouvernance0.html consulté le 27 novembre 2006.

4: PNUD Algérie. Développement Parlementaire. www.dz.undp.org/gouvernance/projets/projet%20parlement.html consulté le 27 novembre 2006.

5: PNUD Programme on Governance in the Arab Region. Democratic Governance. Governance in the Arab Region: The Driving Forces for Reform. www.undp-pogar.org/governance/arabgov.asp consulté le 28 novembre 2006.

6: PNUD GOLD Maghreb. www.onu.org.tn/gouvernance.htm consulté le 28 novembre 2006

7: Voir la fiche 22 La conditionnalité de l’aide : un impact marginal sur la démocratisation.  Un entretien avec Béatrice Hibou.

8: Banque Mondiale. www.banquemondiale.org consulté le 17 décembre 2006.

9: Banque Mondiale. Managing Development. The Governance Dimension. Washington, D.C. 1994.

10: Banque Mondiale. Governance and Development. Washington D.C. 1992. p. 3.

11: Banque Mondiale. Governance Matters: Governance Indicators for 1996-2004. Daniel Kaufmann, Aart Kraay, et Massime Mastruzzi. 2005.

12: Banque mondiale, Table Ronde Maghreb, Tunis le 24 et 25 mai 2005.

13: ibid, p. 126.

14: ibid, p. 156

15: Banque Mondiale. Governance and Development. Washington D.C. 1992. p. 3.

16: Johnson, Isabelle. La gouvernance: vers une redéfinition du concept. Fait pour l’Agence canadienne de développement international. 1997.

17: Union Européenne. Programme MEDA. europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/r15006.htm consulté le 15 décembre 2006.

18: Par exemple Hibou, Béatrice. La force de l’obéissance. Économique politique de la répression en Tunisie. Paris: La Découverte. 2006.

19: Ortega Martin. Le Maghreb et l’Union européenne : vers un partenariat privilégié ? Institut d’Etudes de Sécurité de l’UE, Paris. le 25 octobre 2004.

20: Balfour, Rosa. Rethinking the Euro-Mediterranean political and security dialogue. Occasional Paper n°52. Institut d’études de sécurité de l’UE, Paris. 2004.

21: Ministère des Affaires étrangères. Gouvernance. www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/gouvernance_1053/index.html consulté le 20 novembre 2006.

22:ibid

23: Hibou, Béatrice. « Le Partenariat en réanimation bureaucratique ». Critique internationale. n° 18, janvier 2008.

 


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