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Le développement des ONG au Japon ou l’émergence récente de la société civile sur la scène politique

L’apparition des ONG et le développement de la société civile est un processus assez récent au Japon, et ce pour de nombreuses raisons, tant légales que culturelles.

Fecha de redacción de la ficha : Janvier 05

Par Nicolas Minvielle

A l’inverse de leurs homologues américaines, le rôle des ONG japonaises dans la vie publique et dans les processus de gouvernance est assez limité. Ceci est en partie dû aux normes en vigueur qui ne permettent pas à la grande majorité de ces entités d’obtenir un statut légal, à moins d’être lié au gouvernement, ce qui implique une forte atteinte à leur indépendance. Le rôle d’un Etat développeur dirigiste permet aussi d’expliquer ce développement si tardif de cette branche de la société civile.

L’apparition et le développement des ONG au Japon est un phénomène assez récent et explicable par un certain nombre de facteurs économiques et sociaux. Avant de présenter l’histoire de ces ONG et leur rôle dans l’évolution de la philosophie japonaise de l’APD, il est nécessaire de clarifier le concept même d’ONG dans le cadre japonais.

Au Japon, le terme Organisation Non Gouvernementale (1) est à opposer au terme Organisations à But Non Lucratif (2). Les ONG telles que les japonais les conçoivent ne représentent donc qu’un type particulier des ONG telles que définies dans la plupart des pays occidentaux. Ces dernières peuvent être de deux types :

1. Les ONG incorporées ou hôjin. La différence principale avec les ONG non incorporées réside dans le fait qu’il leur est possible de faire appel aux fonds gouvernementaux .

2. Les ONG non incorporées ou nin’i dantai. Elles représentent la plupart des ONG japonaises et elles n’ont pas de statut légal. Une des conséquences principales en est leur incapacité à emprunter, seuls leurs membres pouvant le faire à titre privé. Si cette absence de statut officiel rend difficile le fonctionnement habituel de ces organisations, il présente malgré tout l’avantage de les faire considérer comme non liées au gouvernement et donc plus impartiales.

Les premiers véritables mouvements citoyens d’après guerre ont été créés en réaction aux problèmes locaux de pollution et à la guerre du Vietnam. Dans les deux cas, ils n’ont pas été en mesure de se développer au-delà de leurs seuls objectifs initiaux. Selon Hirata (2002)(3), ceci est principalement explicable par la prégnance, à l’époque, de l’État développeur et par certains aspects de la tradition confucéenne.

Pour ce qui est de l’État développeur, pendant la période durant laquelle l’objectif principal était le développement économique, il ne « s’occupait pas des affaires non économiques existant aux frontières de la société. Le type de collaborations existant entre l’État et le secteur privé ou la bureaucratie et les politiques n’a jamais existé avec la société civile » (Hirata 2002, p.35). Par ailleurs, afin d’assurer la croissance, « l’État développeur a régulé les activités de la société civile en imposant des restrictions strictes sur les associations de citoyens » (Hirata 2002, p.36). Ainsi, selon l’article 34 du code civil uniforme de 1896, une association ne pouvait devenir incorporée et donc légale qu’après avoir obtenu l’aval des autorités compétentes.

Selon la typologie de Pharr et Schwartz (2003)(4), le Japon serait à classer dans les pays dont l’État est actif et dont les politiques liées à la société civile sont limitatives :

Tableau 1 : Orientations étatiques concernant la société civile et étendue des politiques étatiques
Etat activiste; les politiques sont globales : France du 19ème, Etats et systèmes socialistes, Etats-Unis depuis 1970 Etat activiste; Les politiques sont segmentées : Japon du 20ème siècle, Allemagne et Italie de l'entre-deux guerres
Etat permissif ; Les politiques sont globales : Angleterre du 19ème, Etats-Unis du 19ème et début 20ème Etat permissif; les politiques sont segmentées : Allemagne du 19ème, Japon Meiji jusqu'à 1900

Pour ces auteurs, les États peuvent se positionner de deux manières en ce qui concerne les groupes de la société civile.

1. Ils peuvent être activistes. Dans ce cas, l’Etat intervient dans la création des groupes civils. Pour la plupart des pays industrialisés, cela se traduit par la création d’un cadre légal amenant la non taxation ainsi que par un soutien financier. A l’inverse, un État peut être activiste, mais par le contrôle ou la limitation. Selon Pharr, les États ou systèmes socialistes sont les principaux exemples de ce type d’activisme.

2. Ils peuvent être permissifs, c’est à dire que les États mettent en place un cadre permettant aux groupes de se former de manière plus ou moins libre, mais en ne leur offrant aucun autre soutien que celui des libertés fondamentales.

Le champ des politiques mises en place par l’État peut par ailleurs énormément varier. Ainsi, elles peuvent être soit globales, c’est à dire touchant tous les groupes de la société civile, soit segmentées et ne touchant qu’une partie de la société civile. Ce qui est frappant dans le cas japonais est le « degré auquel, depuis le début du siècle, l’état japonais a eu une position activiste en ce qui concerne la société civile, la surveillant, la pénétrant et mettant en place un large éventail de politiques distinctives ciblant les divers groupes ou secteurs » (Pharr et Schwartz, 2003, p.325). Ainsi, « alors qu’il mettait en place une batterie d’obstacles pour limiter la création de groupes environnementaux, le Japon utilisait un nombre important d’outils visant à créer un environnement totalement différent pour les organisations de producteurs » (Pharr et Schwartz, 2003, p.330). On comprend alors le rôle de l’État de fortement limiter les créations de groupes par la société civile (5) .

Trois points de la tradition confucéenne permettant d’expliquer le lent développement des mouvements citoyens sont à souligner : (i) le respect pour la hiérarchie et l’autorité, (ii) l’importance de la conformité aux intérêts du groupe plutôt qu’à ceux de l’individu et (iii) l’importance de l’ordre et de la stabilité. Le fait que l’individu soit subordonné à la société et que le processus de décision soit considéré comme étant entre les mains de personnes possédant les capacités nécessaires n’a ainsi pas permis aux citoyens de tenter de s’opposer ou de critiquer le régime en place.

Ces considérations expliquent les raisons du très lent développement des ONG au Japon jusqu’à une période relativement récente. Il convient alors de se demander pourquoi on assiste, depuis quelques années, à une hausse considérable du nombre des organisations à but non lucratif, des ONG et des ONP (6) .

Pour Hirata, ceci est principalement dû à l’érosion des pouvoirs de l’État développeur et du secteur privé (7). En effet, l’intégration économique japonaise à l’économie mondiale à été à l’origine d’une forte libéralisation, ce qui a réduit en proportion les capacités de l’État développeur. Par ailleurs, le niveau de vie actuel au Japon est tel que la plupart des japonais ne sont plus disposés à continuer à consentir les sacrifices communément acceptés dans les années 50 ou 60 (8). Dans le cadre de l’APD plus particulièrement, le développement d’un secteur privé à deux vitesses a eu un impact considérable : la plupart des entreprises japonaises n’ayant plus la compétitivité nécessaire pour gagner les contrats de développement, elles disparaissent du cadre de l’APD.

La globalisation a par ailleurs eu « un impact important sur les valeurs culturelles et les normes. Par exemple, les valeurs culturelles confucéennes de hiérarchie sociale et de conformité sont en train de perdre de leur pouvoir sur un nombre important de japonais influencés par la globalisation et indépendants » (Hirata, 2002, p.44).

Finalement, les ONG bénéficient des nombreux scandales qui défraient régulièrement la chronique politique. Elles disposent ainsi d’une légitimité non négligeable auprès des citoyens, et ce tout en répondant aux besoins étatiques (9).

Cette implication croissante de la société civile à travers les ONG vient nuancer la théorie du Triangle d’Airain telle que nous avons pu l’exposer par ailleurs. Si l’émergence d’un mouvement citoyen qui commence à se structurer devra désormais être prise en considération par tout diplomate ou même tout chercheur dans l’analyse des nouvelles modalités de gouvernance qui se mettent progressivement en place au Japon, il ne faut pas en surestimer l’impact. En effet, si on compare les moyens dont ces même groupes disposent avec ceux de leurs homologues occidentaux, la spécificité japonaise en termes d’effectifs et de moyens apparaît criante :

XXX

2. Les ONG non incorporées ou nin’i dantai. Elles représentent la plupart des ONG japonaises et elles n’ont pas de statut légal. Une des conséquences principales en est leur incapacité à emprunter, seuls leurs membres pouvant le faire à titre privé. Si cette absence de statut officiel rend difficile le fonctionnement habituel de ces organisations, il présente malgré tout l’avantage de les faire considérer comme non liées au gouvernement et donc plus impartiales.

Les premiers véritables mouvements citoyens d’après guerre ont été créés en réaction aux problèmes locaux de pollution et à la guerre du Vietnam. Dans les deux cas, ils n’ont pas été en mesure de se développer au-delà de leurs seuls objectifs initiaux. Selon Hirata (2002) , ceci est principalement explicable par la prégnance, à l’époque, de l’État développeur et par certains aspects de la tradition confucéenne.

Pour ce qui est de l’État développeur, pendant la période durant laquelle l’objectif principal était le développement économique, il ne « s’occupait pas des affaires non économiques existant aux frontières de la société. Le type de collaborations existant entre l’État et le secteur privé ou la bureaucratie et les politiques n’a jamais existé avec la société civile » (Hirata 2002, p.35). Par ailleurs, afin d’assurer la croissance, « l’État développeur a régulé les activités de la société civile en imposant des restrictions strictes sur les associations de citoyens » (Hirata 2002, p.36). Ainsi, selon l’article 34 du code civil uniforme de 1896, une association ne pouvait devenir incorporée et donc légale qu’après avoir obtenu l’aval des autorités compétentes.

Selon la typologie de Pharr et Schwartz (2003) , le Japon serait à classer dans les pays dont l’État est actif et dont les politiques liées à la société civile sont limitatives :

Tableau 2: les 10 plus grands groupes américains
  membres budget
National Wildlife Federation 4 000 000 $102053000
Sierra Club 600 000 $52 000 000,00
National Audubon Society 550 000 $131 663 815,00
Natural Parks and Conservation Association 460 000 $19 551 000,00
Natural Resources Defense Council 400 000 $30 632 992,00
Defenders of Wildlife 381 568 $18 149 269,00
Environmental Defense Fund 30 000 $33 500 000,00
Wilderness Society 190 000 $16 052 132,00
Izaak Walton League 50 000 $4 000 000,00
Friends of Earth 30 000 $3 000 000,00
Moyenne 696 157 $41 060 221,00

Source : Pharr FJ, Scwartz SJ, 2003, p324.

Tableau3 : les 10 plus grands groupes environnementaux japonais
  Membres Budget
Let's get together for Minamata 32 000 $900 000,00
Japan Ecological Society 31 000 $1 141 740,00
Fukagawa's Society for Health and Sanitation 28 246 $21 000,00
Kanagawa's Green Trust Foundation 26 367 $2 278 260,00
OICA, International 19 500 $10 100 000,00
Ecological Preservation Society of Saitama 18 000 //
Nature Conservation Society of Japan 15 275 $2 244 400,00
Society for Beautifying Kasuminaga 10 000 $20 180,00
Takahata Town Sanitation Union 6 367 $48 980,00
Greenpeace Japan 5 400 $1 025 000,00
Moyenne 19 216 $1 975 507,00

Source : Pharr FJ, Scwartz SJ, 2003, p324.

Fichas :

(1) Organisations agissant à l’étranger.

(2) Organisations agissant au Japon.

(3) HIRATA K (2002), Civil society in Japan : the growing role of NGO’s in Tokyo’s aid and development policy, Palgrave MacMillan, New York.

(4) PHARR FJ, SCHWARTZ SJ, (2003), The state of civil society in Japan, Cambridge University Press, Cambridge.

(5) « Le résultat de ces politiques a été la prédominance des associations de producteurs sur la période 1951-1999. Ce n’est qu’à partir des années 80 que ces associations ont commencé à être éclipsées par différents groupes d’intérêt, dont certains provenant de la société civile » (Pharr et Schwartz, 2003, p.330).

(6) Organisations non Politiques.

(7)Les deux étant fortement liés, ainsi que nous l’avons souligné dans la fiche sur le triangle d’airain.

(8) Ce point est à mettre en parallèle avec la maturation de l’industrie : « rattraper l’Ouest n’est plus l’objectif national. Les japonais, et principalement les jeunes, commencent à chercher des objectifs plus spirituels et moins matériels » (Hirata, 2002, p45)

(9) Dans un contexte de restrictions budgétaires très fortes, le gouvernement souhaite s’appuyer sur ce type d’organisations, qui semblent moins coûteuses et tout aussi efficaces au niveau de la base.

 

Né en 1978, Nicolas Minvielle est diplômé de l’Université Impériale de Kyushu au Japon (2000) et de l’Institut des Sciences Politiques de Strasbourg (2001). Après un DEA d’économie de l’EHESS en 2003, il prépare une thèse de Doctorat en Sciences Economiques portant sur le Japon pour laquelle il a été, en 2004, lauréat de la Chancellerie des Universités de Paris.

Entré chez Philippe Starck en 2001, il y est actuellement responsable des licences et de la propriété intellectuelle.

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