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Uchi/Soto, Tatemae/Honne et Ninjoo/Giri : concepts culturels et implications.

Un certain nombre de concepts culturels sous tendent les relations sociales au japon et doivent être appréhendés avec finesse afin de lever une partie du voile sur ce pays

Fecha de redacción de la ficha : janvier 05

Por Nicolas Minvielle

Les relations sociales au Japon sont gérées par un certain nombre de concepts qui sont difficilement appréhendables pour un occidental. Trois de ces concepts sont présentés et leur importance dans le processus de socialisation est montré. Le concept de Uchi/Soto permet ainsi de souligner l’existence de conceptions spatiales visant à définir une personne qui sera alors considérée comme membre d’un groupe ou au contraire étrangère à ce groupe. Les concepts présentés permettent de mettre en valeur les processus de gestion des conflits tels que présentés dans les autre fiches.

Un certain nombre de concepts culturels reviennent régulièrement dans toutes les publications liées au Japon. Parmi ceux-ci, de nombreux auteurs s’intéressent à l’opposition entre l’Uchi et le Soto, le Hon’ne et le Tatemae et entre le Ninjoo et le Giri.

Uchi Soto
Hon’ne Tatemae
Ninjoo Giri

Uchi et Soto sont des conceptions spatiales dont l’acception précise peut varier d’une personne à une autre. De manière générale, Uchi regroupe ce qui appartient à la « maison »  » tandis que Soto représente ce qui est extérieur à la maison.

L’espace de l’Uchi n’existe pas seulement de manière physique. Il s’agit en fait d’une sphère au sein de laquelle les personnes en relations sont proches. Les personnes membres de cette sphère perdent alors dans une certaine mesure leur individualité pour se fondre dans l’Uchi. Selon Bachnik et Quinn1, on peut tenter de définir la relation entre Uchi et Soto par un certain nombre d’antagonismes :

Uchi Soto
Intérieur Extérieur
Fermé Ouvert
Vécu Observé
Caché Révélé
Clairement défini Moins clairement défini
Familier Non familier
«~Nous~» «~Eux~»
Privé Public
Inclus Exclus
Engagé Détaché

Pour Bachnik (Bachnik et Quinn, 1994, p.28), l’Uchi est lié à « l’organisation de soi, et ceci au sein d’une collectivité » . Si on rajoute à cette définition les termes « intérieur » , « fermé » , « nous » présentés plus haut, on peut penser qu’un certain phénomène d’empathie existe au sein de l’Uchi. On peut alors se tourner vers l’analyse des verbes signifiant « donner » pour mettre en relief l’importance de la dichotomie Uchi/Soto au sein de la langue japonaise. On constate en effet que les codes régulant les manières de définir l’acte du don ou du cadeau sont extrêmement complexes et qu’ils dépendent de la hiérarchie existant entre les deux acteurs, de leur âge, du précédent cadeau et… de leur appartenance ou non à un même Uchi.

Les deux principaux verbes signifiant « donner » en japonais sont AGERI et KURERU :

1. Nicolas wa Julien ni tokei o AGETA

Nicolas a donné à Julien une montre

2. Nicolas wa Julien ni Tokei o KURETA

Nicolas a donné à Julien une montre

Présenté ainsi, aucune différence ne semble apparaître entre les deux phrases. Maintenant, si Julien est remplacé par « étranger » ou « papa » , la transformation suivante se fait :

1. Nicolas wa shiranai hito ni tokei o AGETA

Nicolas a donné à un inconnu une montre

2. Nicolas wa otoosan ni Tokei o KURETA

Nicolas a donné à papa une montre

On comprend ici que le verbe AGERI est utilisé lorsque Nicolas donne une montre à un étranger, donc une personne membre du Soto. A l’inverse, lorsqu’il donne une montre à son père, et donc à un membre de l’Uchi, Nicolas utilise KURERU. Ainsi, les verbes AGERI/KURERU permettent à une personne arrivant au milieu de la conversation de déterminer si Julien est membre ou non de l’Uchi de Nicolas.

Si cette dichotomie se retrouve dans les verbes « donner » , elle est aussi extrêmement prégnante dans le reste de la langue japonaise. Ainsi, le niveau de politesse variera fortement selon que l’interlocuteur est membre de l’Uchi ou non.

En termes de gouvernance, l’existence de l’Uchi et du Soto a des impacts non négligeables qui font la spécificité japonaise. Une de ces caractéristiques est présentée dans la fiche portant sur la gestion du conflit dans la politique. En effet, le fait d’intégrer l’étranger (Soto) dans l’Uchi permet de gérer les situations tendues en amenant l’autre à suivre les règles existantes au sein de la maison. Ceci amène ainsi le Parti Libéral Démocrate à adopter une stratégie « attrape tout » afin de limiter les crises et de mieux les gérer.

En termes de politique internationale, cette dichotomie Uchi/Soto se révèle dans l’allocation de l’APD japonaise, la zone Asie - considérée comme Uchi par opposition par exemple à l’Amérique du Sud - étant privilégiée. Ceci est souligné dans la charte japonaise de l’APD : « Historiquement, géographiquement, politiquement et économiquement, l’Asie est une région proche du Japon. Les pays de l’Asie de l’Est et en particulier ceux membres de l’Association of South East Asian Nations (ASEAN), constituent une des régions du monde les plus dynamiques et il est important pour l’économie mondiale de promouvoir et soutenir le développement économique de ces pays »

Le Tatemae représente l’ « identité sociale » tandis que le Hon’ne représente les aspirations véritables du japonais concerné, en tant qu’individu. Dans un espace « étranger » de type Soto, un japonais aura tendance à ne présenter de lui même que le Tatemae, son « identité publique » . Il n’est ainsi pas facilement envisageable qu’un japonais présente son Hon’ne dans un espace de type Soto. A l’inverse, dans un espace Uchi, il n’est pas nécessaire de se limiter au Tatemae et les sentiments véritables peuvent transparaître.

En termes de gouvernance, cela a des implications non négligeables. Il est ainsi extrêmement rare de voir les représentants japonais hausser le ton lors de réunions internationales, ce qui serait en contradiction avec le fait de se trouver dans une zone Soto dans laquelle seule l’identité publique peut être mise en avant. Ceci ne doit pas être perçu comme un acquiescement et n’empêchera pas ces mêmes personnes de se montrer plus explicites lors de réunions de moindre importance.

Calder et Kent ont développé en 1988 une analyse de l’État japonais comme un « État réactif » au Gaiatsu ou pression extérieure : « l’interprétation réactive part du principe selon lequel le premier mouvement visant un changement de politique est fourni par la pression extérieure, et que la réaction à cette pression prévaut sur la stratégie pour les cas où les deux rentrent en conflit » (Calder et Kent, 1988, p.180). L’analyse peut sembler dater, mais Bouissou 3 la confirme en 2003 en notant que « l’administration américaine peut ainsi interférer sans se gêner dans les affaires intérieures du Japon » (Bouissou, 2003, p.150)4. La publication en 1989 d’un livre intitulé « Les japonais qui savent dirent non » par l’ancien gouverneur de Tokyo et l’un des fondateurs de Sony est de ce point de vue fort intéressante. La problématique principale mise en avant était que les politiques ou hommes d’affaires japonais se devaient de dévoiler leur Hon’ne face aux occidentaux lors de réunions importantes5. Outre l’aspect très nationaliste qui a été à l’époque fortement critiqué, ce livre fait partie de ces nombreux best-sellers qui critiquent de manière récurrente tel ou tel aspect de la société japonaise. On notera cependant que, si cette dichotomie est toujours prégnante, elle tend à s’affaiblir fortement, et notamment au sein de la jeune génération.

La dichotomie Ninjoo/Giri se rapproche de celle de Tatemae/Hon’ne, à la différence du fait que Ninjoo (sentiments véritables) est opposé au Giri, qui définit l’obligation sociale. Giri représente ici toutes les règles et normes qui régissent la vie publique japonaise et qui permettent à tout japonais de se comporter correctement dans un espace Soto. Le point intéressant ici est que cette opposition n’est pas systématique. Par exemple, si un doctorant souhaite exprimer ses sentiments véritables envers son directeur de thèse, il peut le faire lors des sessions annuelles d’offres de cadeaux, telles que régulées par la vie sociale universitaire. Dès lors se pose la question de la véracité de l’attitude retenue : sentiment véritable (Ninjoo) ou bien obligation sociale (Giri).

La connaissance de ces fondamentaux culturel permet d’aborder sur de bien meilleures bases les contraintes d’un partenariat japonais en sachant décrypter, à travers la négociation ou la simple discussion, ce qui ressortit à la relation sociale formalisée d’une part, à la vérité des sentiments et des choix de l’autre…

Notas de pie de página

1Bachnik M, Quinn C.J.- Situated meanings. Inside and outside in japanese self, society and language.- Princeton : Princeton Paperbacks,1994, p.64.

2A ce sujet, voir la fiche sur la vision japonaise du processus de développement. Il s’agit d’un des très rares cas disponibles où le Japon et ses diplomates ont tapé du poing sur la table et ont défendu leur point de vue hon’ne. Cette réaction est à mettre en perspective dans un contexte de frictions commerciales, le désaveu par la Banque Mondiale de la politique japonaise d’aide au développement revenant à estimer que les pratiques interventionnistes japonaises pouvaient être considérées comme « déloyales » . Dans un cas où les intérêts japonais sont réellement mis en cause, et en l’absence d’une « intelligence » suffisante des règles du bon comportement par les interlocuteurs, il semble donc que le Hon’ne puisse prendre la place du Tatemae.

3BOUISSOU J.M, “Quand les sumos apprennent à danser”, Fayard, Paris, 2003

4Lors de négociations difficiles, tant au sein du PLD que du gouvernement, Thoshiki Kaifu, premier ministre en 1989 reçoit à minuit un appel téléphonique de G.W Bush le priant d’accepter un sommet en Floride. Kaifu accepte bien qu’il n’ait rien à offrir et qu’aucune position consensuelle n’existe au gouvernement en ce qui concerne le résultat des négociations. Ceci « lui vaudra dans l’opinion le sobriquet peu flatteur de « Bush Phone » , dont la signification est à peu près : on sonne et ça marche ... Cet épisode révèle le degré d’influence dont les États-Unis continuent de jouir sur les dirigeant japonais » (Bouissou, 2003, p. 150).

5CALDER B, KENT E, “Japanese foreign economic policy formation : explaining the reactive state”, World Politics. 62 : 195-96, 1988.

 

Né en 1978, Nicolas Minvielle est diplômé de l’Université Impériale de Kyushu au Japon (2000) et de l’Institut des Sciences Politiques de Strasbourg (2001). Après un DEA d’économie de l’EHESS en 2003, il prépare une thèse de Doctorat en Sciences Economiques portant sur le Japon pour laquelle il a été, en 2004, lauréat de la Chancellerie des Universités de Paris.

Entré chez Philippe Starck en 2001, il y est actuellement responsable des licences et de la propriété intellectuelle.

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