- FRANCIA
ficha de lectura
Penser et à agir à partir du territoire
Le territoire acteur de l’avenir
Autor : Pierre Calame
Fecha de redacción de la ficha : 22 de junio de 2005
Por Philippe Arretz
L’article qui est ici analysé correspond à l’intervention de Pierre Calame à l’Assemblée Plénière de l’Observatoire du développement durable des Côtes d’Armor, invité à exposer son approche sur le thème : « Territoires et développement durable : les conditions de pertinence des agendas 21 locaux » . Pierre Calame a pour habitude d’être sollicité par des Collectivités Territoriales qui réfléchissent à leur avenir. Dès le début, il prévient que le Développement Durable peut être soit le moyen de changer de pansement (« faire passer la pilule » ), soit le moyen de penser le changement. C’est dans cette seconde perspective qu’il se situe : le développement durable est un enjeu de rupture dont l’espace « territoire » semble, pour lui, l’acteur incontournable.
L’équilibre sur lequel repose notre modèle de développement et nos repères est incompatible avec un développement à long terme. Notre survie passe par un changement radical, et notamment dans notre rapport avec la biosphère, dans la gestion économe des ressources. Pierre Calame rappelle que si deux visions ont préexisté longtemps sur les rapports entre l’Homme et la Nature, c’est la vision de l’instrumentalisation qui l’a emporté depuis le Moyen-Âge. Or c’est justement cette approche qu’il faut reconsidérer pour que notre humanité soit durable. Cette nouvelle orientation devrait pouvoir se traduire quotidiennement dans chacun de nos actes : interroger leur capacité à générer des transformations futures plutôt qu’à reproduire le même modèle…
Pierre Calame consacre la majeure partie de son intervention à démontrer que le territoire, loin d’être un résidu, un réceptacle passif d’une mondialisée gouvernée par le haut, condamné à reproduire localement une démocratie représentative inadaptée… est au contraire un « espace à partir duquel nous pouvons reconstruire une autre vision du monde, un autre modèle de développement ».
Le premier enjeu est de dépasser la notion d’espace délimité, organisé en rapport à d’autres niveaux territoriaux, et de considérer le territoire comme un « système de relations » , d’échanges socio-économiques, culturels, qui qualifient son identité, sa relation avec l’extérieur et sa richesse…
Cette richesse est habituellement appréhendée uniquement sous l’angle de la transformation par les agents économiques (industrie, services…) de biens communs qui « se détruisent en se partageant » : eau, énergie fossiles, matières premières… C’est l’idée habituelle de « croissance destructrice » (cf. Schumpeter), qui repose sur une rationalisation du capital et du travail, et sur une utilisation inconsidérée du « capital nature » . Cette pensée donne une lecture étroite de l’économie et de ses ressorts (comme l’évaluation de la richesse par le seul PIB), et devrait profondément se renouveler dans les prochaines années. Ainsi, Pierre Calame parie sur la production d’une autre catégorie de biens et services : ceux qui « se multiplient en se partageant » , « tout ce qui a trait à l’intelligence, aux savoir-faire, au capital social… ».
Les autres enjeux de transformation s’exercent dans la gouvernance : passer d’une gouvernance traditionnelle (gestion d’institutions, de règles, de compétences) à une gouvernance d’une société en mouvement, reposant sur des acteurs qui n’ont pas besoin d’institution pour agir mais simplement de convenir « d’objectifs communs, d’une éthique et de dispositifs de travail » .(1) Dit autrement, il s’agit de passer d’une société des institutions - aux référentiels anciens et dépassés - , à une société de partenariats multidimensionnels, où les acteurs (privés comme publics) gèrent leurs propres relations, complémentarités, déploient des réseaux innovants à partir même des territoires. Pierre Calame insiste sur la distinction entre institutions et acteurs, entre pouvoir figé et pouvoir créateur, faisant référence ainsi à Paul Ricœur : « le pouvoir créateur naît quand les hommes se rassemblent, et s’évanouit quand ils se dispersent ».
Si en ce début du XXIème siècle l’acteur pivot de notre société - le plus adapté à son temps - est l’entreprise multinationale, le territoire devrait, selon Pierre Calame, s’imposer à l’avenir comme l’acteur majeur, seul capable de mobiliser ce qui constitue la richesse de notre développement durable : cette économie des relations, du capital intelligence… La « revanche des territoires » est déjà perceptible par le développement de réseaux, diasporas, systèmes d’échanges horizontaux et localisés, par des comportements nouveaux d’acteurs économiques… en somme la revanche des identités, des particularités créatives, que le modèle républicain a historiquement niés.
Il existe au niveau des territoires tous les signes de la « société-monde » (cf. Edgar Morin) : on peut y trouver tous les moyens de compréhension de la globalisation. C’est donc à partir du local que peut se questionner la mondialisation, que peuvent s’organiser des instances de dialogue et de réflexion, et que peut s’élaborer un savoir-faire collectivement partagé, un capital social élevé, une capacité à entreprendre autrement. C’est à partir du local, et dans cet esprit, que le développement durable peut s’envisager : le relation au territoire permet d’en appréhender concrètement le « métabolisme » et ainsi d’en maîtriser les flux.
À la fin de son exposé, Pierre Calame résume en quelques mots la mutation qu’il nous faut opérer :
« Nous sommes sur le modèle des droits alors qu’il faudrait être sur celui des responsabilités. Nous sommes sur le modèle de l’instrumentalisation de la nature quand nous devrions penser symbiose avec la nature ». Et d’ajouter : « (…) nous gérons le monde avec des idées d’hier et des institutions d’avant-hier. La priorité du long terme est donc d’agir sur ce qui va évoluer lentement, donc les mentalités et les institutions » .
Donner cette perspective, c’est pour Pierre Calame, donner aux peuples une perspective d’avenir de la démocratie : sa capacité à se projeter dans le temps, à transformer structurellement la société.
- - - - - - - -
(1) Pour prolonger la pensée de Pierre Calame, nous pourrions nous référer également aux réflexions d’Hassan Zaoual sur « les principes d’économie de la proximité et du site » . H. Zaoual, professeur d’économie à Dunkerque et directeur d’un groupe de recherche sur les économies locales, évoque le passage d’une gouvernance « parachutée » à une gouvernance « située » , de même que d’une modernité « parachutée » à une modernité « située » , de l’entrepreneur économique à l’entrepreneur « situé » …
Note de lecture réalisée à partir d’un exposé public de Pierre Calame à St Brieuc à l’occasion de l’Assemblée Plénière de l’Observatoire Départemental du Développement Durable, le 4 novembre 2004, discours de 12 pages (bip 2695) accessible sur le site de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (http://www.fph.ch)