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La gouvernance et ses applications

Gouvernance, réseaux trans-gouvernementaux et gestion de la globalisation

Autor : Maria Celia Toro

Fecha de redacción de la ficha : 05.06.2005

Par Irene Menendez

La problématique des rapports entre le pouvoir et la gouvernance ‘internationale’ ou globale est au cœur de cet article, explorée à travers l’analyse de ‘réseaux trans-gouvernementaux’, dans le cas particulier du trafic de drogues entre deux pays de puissance inégale, les Etats-Unis et le Mexique. L’auteur interroge la pertinence de voir dans ce modèle de réseaux trans-gouvernementaux, phénomène en expansion depuis le tournant des années 1990, une nouvelle forme de gouvernement de la globalisation. Le développement de réseaux trans-gouvernementaux constitue-t-il une simple manière de gérer la globalisation ? Ou s’agit-il d’une nouvelle modalité de la diplomatie, d’enclaves de pouvoir et même de domination ?

De façon schématique, le débat autour de la globalisation est divisé entre ceux qui pensent que la délégation ou le transfert du pouvoir depuis l’état est une conséquence naturelle de la globalisation et ceux qui y voient une réponse délibérée face aux changements intervenus à l’échelle internationale. Pour les tenants de la thèse libérale (appelés aussi fonctionnalistes), la globalisation tend à éroder la prédominance et l’autonomie et l’Etat au niveau politique mondial, créant le besoin d’étendre le champ de la régulation gouvernementale au-delà des frontières nationales. Dans un monde où les états restent pourtant des acteurs majeurs, ceux-ci prédisent le renforcement des organisations internationales et la prolifération de formes novatrices de négociation entre les gouvernements et les sociétés, ouvrant de nouveaux espaces de coopération internationale destinés à gérer la globalisation. Selon cette interprétation, la gouvernance internationale repose sur un processus de négociation et d’interaction continu entre des institutions gouvernementales « fondé sur l’arrangement et non sur la domination » et dans lequel interviennent des acteurs aussi publics que privés (1). Pour les autres, l’idée dominante est que la globalisation peut conduire à l’établissement de réseaux trans-gouvernementaux, ou de réseaux globaux de « politiques publiques soutenant de concert avec les gouvernements de nouveaux modes de régulation » (2).

Selon Anne-Marie Slaughter, l’Etat, loin de disparaître, chercherait à créer des réseaux trans-gouvernementaux qui lui permettraient d’augmenter sa capacité de régulation (3). Dans ce but, les ‘parties fonctionnelles’ de l’état – tribunaux, agences de régulation, exécutifs – forment des réseaux avec leurs homologues de l’extérieur afin de tisser des relations constituant la base d’un nouvel ordre trans-gouvernemental. Portant sur des questions précises et allant jusqu’à des accords bilatéraux ou multilatéraux, ces pratiques trans-gouvernementales seraient la nouvelle forme de gouvernement de la globalisation ; elles n’impliquent ni perte de souveraineté ni abandon de capacité régulatrice. Dans cette perspective, l’existence de tels réseaux en matière de trafic de stupéfiants dans deux pays de puissance très inégale – les Etats-Unis et le Mexique – révèle une coordination efficace permettant de lutter contre ce type de délinquance. En effet, l’analyse des relations entre les EU et le Mexique depuis 1985 montre que le développement de réseaux trans-gouvernementaux constitue un phénomène en expansion. Elle montre aussi que derrière cette nouvelle forme de gestion de la globalisation se cache « une nouvelle modalité de la diplomatie » .

Fondamentalement apolitique, la perspective libérale ou fonctionnaliste de la gouvernance se penche sur la coïncidence des intérêts des bureaucraties, support de la présomption que les relations entre les états sont toujours bénéfiques pour tout le monde – sans se soucier du chemin parcouru jusqu’à la convergence, ni des résultats des négociations menées au sein des réseaux. Cependant, l’analyse des relations entre le Mexique et les Etats-Unis montre que la constitution de tels réseaux répond à des logiques d’intérêt et de diplomatie qui dépassent celles de la gestion des problèmes communs. Ainsi, les responsables mexicains qui font partie des cercles de négociation « le font pour trouver une occasion de peser sur les politiques de leur puissant voisin » . En particulier, il s’agit pour le Mexique de faire obstacle à l’application extraterritoriale des lois américaines, faute de capacité propre à développer des politiques autonomes.

Or, le problème de cette nouvelle forme de diplomatie est que ces réseaux peuvent agir de façon disproportionnée au bénéfice du pays qui en fait la promotion, permettant aux grandes puissances d’influencer les politiques d’autres pays. Conçus pour élargir la portée des règles internes des grandes puissances, ces réseaux finissent par les exporter. Dans ce sens, ils favorisent la convergence des politiques des Etats. Mais, plus fondamentalement, l’insistance sur la gestion au sein du discours de la gouvernance empêche de voir que les relations trans-gouvernementales ne constituent pas des espaces neutres dans lesquels les problèmes communs sont gérés. Ce sont des espaces politiques, marqués par des rapports de pouvoir et même de domination.

L’intérêt de cette publication tient au fait qu’elle met en relief la recomposition des liens entre sphères publique et privée, comme entre État et souveraineté. Dans une perspective plus large, l’essor de la gouvernance (dont les réseaux trans-gouvernementaux) amène à s’interroger sur « le dépérissement de la souveraineté étatique et du gouvernement traditionnel » (4). C’est ce que remarquent certains observateurs lorsqu’ils parlent de gouvernance comme phénomène de pilotage et non pas d’autorité (5). C’est d’ailleurs dans le cadre du dépassement de l’État territorial traditionnel, tel que le subissent les mécanismes de l’Union Européenne (qui fait d’ailleurs l’objet d’une réflexion dans cette collection d’essais), que la gouvernance se manifeste dans toute son ampleur. Dans ce cadre, on peut en effet y observer mieux que nulle part ailleurs la gestion en réseaux, le néo-corporatisme, la multiplicité des niveaux d’intervention, le pluralisme limité ou bien encore la faiblesse de la représentation. La gouvernance apparaît ici comme un nouveau mode de mobilisation des intérêts, marginalisant des représentants et des médiateurs traditionnels tels que les partis politiques. Ces derniers se retrouvent alors devant des difficultés croissantes face à la complexité des affaires qui exigent spécialisation et expertise.

Fichas :

(1) M.-C. Smouts, “Du bon usage de la gouvernance en relations internationals”, Revue Internationale des Sciences Sociales, 50:1, mars 1998, p. 86.

(2) Maria Celia Toro, “Gouvernance, réseaux trans-gouvernementaux et gestion de la gouvernance”, p. 185.

(3) A.-M. Slaughter, “The real new world order”, Foreign Affairs, septembre-octobre 1997, p. 2, citée par Maria Celia Toro, p. 186.

(4) Conclusion des auteurs, La gouvernance. Un concept et ses applications, (ed.) G. Hermet, A. Kazancigil et J.-F. Prud’homme, Paris, Kerthala, 2005.

(5) John Crowley, “Usages de la gouvernance et de la gouvernementalité”, in Critique Internationale, octobre 2003.

 

Maria Celia Toro, « Gouvernance, réseaux trans-gouvernementaux et gestion de la globalisation », in La gouvernance. Un concept et ses applications, (ed.) G. Hermet, A. Kazancigil et J.-F. Prud’homme, Paris, Kerthala, 2005.

María Celia Toro est directrice du Center for International Studies au Colegio de México. Ses publications portent notamment sur les réseaux transgouvernementaux, le trafic de drogues au Mexique et la transnationalisation de la police au Mexique et Etats-Unis.

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