Analyse
Problématique des partenariats et de la prise en charge des services urbains de base . Exemple de la gestion des déchets.
Enjeux des partenariats entre la Commune et les O.N.G. pour des actions sociales ou encore entre la Commune et les secteurs privés pour effectuer des services urbains locaux que la ville n’est pas en mesure d’assumer seule.
Par Séverine Pain
Date de la note : juillet 2006
Dossier : Acteurs et enjeux de la gestion collective des services urbains au Sénégal
Mot-clés : collectivité locale ; organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales ; habitants, organisations d'habitants ; concession de service public ; partenariat entre habitants et collectivités locales ; partenariat public privé ; AFRIQUE ; SENEGAL ;Cette fiche est l’un des produits d’une enquête réalisée à Thiès (Sénégal) par une équipe d’étudiants, dirigée par le professeur Jacques Fisette, du DESS « Gestion urbaine dans les pays en développement » de l’Université de Montréal, et une équipe de l’Ecole Nationale d’Economie Appliquée de Dakar. Le sujet d’étude de cette équipe plurinationale est l’observation des conditions de la gouvernance locale et le jeu des acteurs publics et privés, autour du cas particulier de la gestion du Marché Central de Thiès.
Gestion des villes et gestion des services urbains.
L’Afrique fait partie des régions du globe les moins urbanisées, cependant c’est ce continent qui enregistre le plus fort taux d’urbanisation depuis plusieurs années. Cela s’explique notamment par une forte migration des populations rurales vers les villes qui entraîne un développement rapide de ce processus dans les grandes agglomérations du continent. Les conséquences sont importantes. La hausse du taux d’urbanisation ne rime pas toujours avec croissance économique, amélioration du mode de vie, etc. C’est pourquoi, la Commune doit chercher à optimiser rapidement ses forces et ses services à travers ses politiques, pour répondre au besoin accru de développement des infrastructures et à l’importance de trouver des capitaux à investir.
Le partenariat entre le secteur public et le secteur privé et la gestion privée des services de base est de plus en plus la solution choisie par les gouvernements locaux pour pouvoir répondre rapidement aux besoins de sa population. En effet, les problèmes d’urbanisation incontrôlée dans les Pays en Developpement soulèvent aussi un nouveau challenge pour la gouvernance puisqu’ils mettent en évidence la faiblesse des capacités des Communes en gestion et de planification et leurs limites à s’adapter aux besoins de la population. Les autorités urbaines doivent ainsi faire face au mouvement des acteurs ruraux vers les centres urbains et aux conséquences qui résultent de cet afflux de population non attendue.
La difficulté de la gestion des déchets (solide, liquide, et souvent toxique) est, semble t’il, un des problèmes les plus récurrents de ce processus d’urbanisation accélérée, et malheureusement, les paysages urbains ponctués de tas d’ordures sont devenus une réalité au quotidien. Cette problématique est accentuée par les erreurs du passé dont on mesure les conséquences aujourd’hui. Par exemple, la gestion urbaine dans les anciennes colonies, n’a pas été élaborée pour être économiquement viable. Les gouvernements ont en effet commencé par installer les infrastructures urbaines et les services dans les quartiers de basse densité (hauts salaires), avec peu de considération du coût. Ces services étaient alors offerts gratuitement ou donné contre une redevance très basse ne faisant pas de recettes suffisantes pour couvrir les coûts. Ces problèmes persistent de nos jours, provoquant des déficits dans la gestion de ces services.
De nombreux gouvernements nationaux et locaux des PED sont dépassés par l’ampleur des dégâts notamment au niveau environnemental : bords de route encombrés par les détritus, cours d’eau bloqués par les saletés, sites d’entreposage constituant un risque pour la santé publique. Tous cherchent en vain de nouvelles méthodes de gestion à ce problème. Et même si les partenariats publics-privés semblent être l’une des solutions qui s’adaptent le mieux à la situation actuelle, les gouvernements locaux ont encore souvent des problèmes à se faire aux implications de cette nouvelle méthode de gestion.
Problématique de la gestion des déchets à Thiès.
La ville de Thiès, comme la plupart des villes moyennes en développement est polluée par des déchets provenant essentiellement des ordures ménagères (eaux usées et matières fécales), des industries, et des entreprises minières. Ce sont les services techniques de la Commune qui sont chargés de gérer le nettoyage de la ville, ainsi que de la gestion des déchets dans tous les quartiers y compris sur le Marché Central. Un des travaux de l’équipe chargée du thème de l’hygiène a donc été de prendre contact avec les services techniques, d’observer le fonctionnement de la gestion des déchets in situ et de faire un point sur l’état d’hygiène des deux entités majeures du marché.
Comme nous l’avons précisé antérieurement, le Marché Central est partagé entre le Marché ‘Officiel’ comprenant les blocs A, B, C, et D ainsi que le futur centre commercial et le marché Sam composé de Sam I et II qui sont considérés par la Commune comme les marchés informels. Le Marché Central a été rénové de 2003 à juillet 2005 et présente un état général d’hygiène satisfaisant. Le marché Sam quant à lui, est dans un état sanitaire très primaire, dû au manque d’infrastructure. (Stands en bois, ou à même le sol).
Aujourd’hui, la Commune semble dans l’incapacité d’assurer un système opérationnel de gestion des déchets dû au manque de raccordement aux réseaux publics et au développement des commerces informels qui ont favorisé un cahot apparent autour du marché. De même, l’intérieur du marché est difficile d’accès ce qui rend le ramassage des déchets plus long et périlleux. C’est pour ces raisons qu’au début de cette année (2006) avec l’ouverture des îlots C et D, la Commune a mis sur pied un partenariat avec la société Loc-Set SURL pour s’occuper du nettoyage et de la gestion des déchets. Néanmoins, d’après les personnes interviewées, même si le partenariat est une très bonne chose, et représente un mouvement stratégique de la part de la Commune dans le sens d’une bonne gouvernance locale, c’est une action qui est loin d’être évidente, car elle est éventuellement interprétée par certains acteurs locaux comme un échec de la ville à dispenser les services dont elle a la charge. Ainsi, une étude sur le rapport entre la gouvernance et la gestion des déchets nous a permis de comprendre non seulement la structure formelle du gouvernement local, mais aussi la structure informelle crée par la société, comme les institutions basées sur la communauté, les organisations et l’interrelation entre ces éléments pour le transport et la collecte des déchets. Ainsi, pour mieux cerner la motivation de la Commune à déléguer ce service il nous a semblé intéressant de reprendre l’historique de la gestion des déchets sur le marché de Thiès.
Entre 1982 et 2000, la gestion des déchets du marché a été une gestion directe en régie, et la Commune avec ses propres moyens s’occupait de ramasser les déchets du Marché Central. La Commune a la responsabilité complète des investissements, du fonctionnement de ce service, et des relations avec les usagers. Les employés de la régie étaient des agents communaux ayant un statut public. Mais les commerçants étaient insatisfaits du rapport entre les taxes qu’ils payent et les services qu’ils reçoivent et ils réclament leurs droits à un service de qualité (seulement 2 balayeurs pour tout le marché). De plus à cette époque le marché n’était pas encore organisé, et l’espace était non structuré. Il y avait donc une mauvaise circulation des véhicules de nettoyage, et les résultats restaient médiocres.
Entre 2000 et 2005, la Commune décide d’entreprendre une sous-traitance avec des groupements d’intérêt économique, GIE, (ex : groupe de femmes, association de quartiers). Cette nouvelle stratégie permet d’aboutir à la mise sur pied de comités de salubrité dans la quasi-totalité des quartiers. Ces comités sont liés avec la Commune par un protocole d’accord pour la collecte des ordures et avec le service d’hygiène qui sert de relais et d’animateur dans le “ programme latrines et puisards ”, appuyé par l’UNICEF. Ces comités de salubrité de quartier (CSQ), au nombre de 43, sont regroupés dans l’union des comités de salubrité de la ville de Thiès (UCOSAVIT).
Ces GIE s’organisent dans certains cas en partenariat avec des O.N.G. pour pallier aux déficiences de la Commune et se donner plus de capacités techniques, financiéres et organisationnelles. C’était le cas sur le Marché Central, mais aussi avec l’initiative « Bokk Jom » des habitants du quartier de Médina Fall en association avec l’ONG Enda Graf1 , dont l’aboutissement eut encore plus de succès. Leur mission était d’assurer la disparition des tas d’ordures autour du quartier de Médina Fall en effectuant des collectes régulières. Le service de collecte, de recyclage, de compostage, et de maraîchage biologique était assuré par un charretier et d’autres membres du quartier qui recevaient des contributions en échange de leur service. Les ménages étaient libres d’accès à ce service payant. L’intérêt de cette initiative s’est révélé dans les apprentissages de partenariat et d’échanges entre les acteurs ainsi que dans la transformation de l’opération en un système fiable de salubrité, de création d’emplois et de production de produits maraîchers.
On peut dire que ces réussites ont été les éléments déclencheurs pour le développement des partenariats entre la Commune et le secteur privé ou civil. Mais ici encore, d’après la population, le système n’était pas totalement autonome et fonctionnel, car ce mode de gestion, a nécessité une implication de la population. En effet, même si la participation de la société civile était importante pour la gouvernance et la gestion des déchets à Thiès, elle impliquait que les gens prennent le temps de venir aux réunions, soient responsables, s’intéressent et s’investissent dans la vie de la Commune et de leur Communauté sans profit personnel important à la clef.
Finalement, depuis quelques mois, la Commune de Thiès a confié la gestion des déchets du Marché Central à la société LOC-SET, qui est aussi nouvellement en charge de cette tâche au niveau communal.
La société de ramassage des déchets (Loc-Set SURL) fonctionne avec un accord de sous-traitance signé avec la Commune de Thiès et avec la coopération de la Bourse nationale de Sous-Traitance et de Partenariat du Sénégal (BNSTP-S). Nous avons observé qu’une quinzaine d’employés et un camion de ramassage s’occupent quotidiennement dans le marché du balayage et de la collecte des ordures. Des poubelles LOC-SET sont installées dans les allées transversales du marché afin d’en faciliter l’accès aux travailleurs de l’entreprise. Les commerçants et les clients y déposent leurs déchets avant que les employés de LOC-SET ne se chargent de venir les ramasser pour les vider dans le camion. Le matin, vers 10h, une équipe de 8 personnes fait un premier ramassage des poubelles LOC-SET et un balayage. Les employés longent le marché accompagné d’un camion de ramassage afin de pouvoir y vider les poubelles. Le soir, aux environs de 17h, une seconde équipe de 7 personnes fait le ramassage de l’ensemble des poubelles présentes dans le marché, et balai. Une fois plein, le camion va décharger l’ensemble des détritus au dépotoir situé à proximité du stade Lat Dior, au sud-ouest de la ville, dans le quartier Mbour. LOC-SET passe tous les jours exceptés le dimanche. Les lundis et les lendemains de jours de fête sont difficiles pour l’entreprise qui doit engager du personnel supplémentaire pour assumer le surplus de travail. Les nombreuses pannes de matériel (camions) peuvent également constituer un frein lors de ce genre de situation. Enfin, l’accès au marché est parfois rendu difficile en raison des nombreux marchands informels installés dans les rues transversales séparant les différents blocs. Néanmoins, le ramassage des déchets s’avère concluant selon les commerçants, et d’autres acteurs interrogés au sein de la structure, qui sont satisfaits par ce partenariat. Nos observations au cours des quelques jours passés à arpenter les lieux ont confirmé ces propos, à l’exception des problèmes mineurs énoncés ci-dessus.
Gestion en partenariats et pouvoirs du gouvernement local
Au sein des marchés informels Sam I et II, la situation est différente. Une seule et unique benne est mise à disposition des usagers afin qu’ils puissent venir y déposer leurs déchets. Ce dispositif permet aux Talibés (enfants errants disciples de marabouts) de s’enrichir un peu en transportant tous les matins les détritus de certains commerçants, particulièrement ceux étant en charge de la transformation du poisson.
Cette disposition sommaire prise par la Commune n’incite pas les vendeurs à agir de façon responsable face à la gestion de leur déchet, et plutôt que de perdre du temps et/ou de l’argent il privilégie une méthode plus simple. Ainsi, il n’est pas rare de voir des amoncellements de détritus jetés en arrière des stands de vente entourant le marché. Lorsque LOC-SET doit transporter la benne au dépotoir pour la vider, le marché reste près d’une heure sans réceptacles pour ses déchets, ceci contribuant au développement de tas d’ordures sauvage. De plus, certaines personnes n’hésitent pas à brûler les déchets abandonnés sur place, à proximité de l’emplacement de la benne, ce qui entraîne l’émanation d’odeurs et de fumées pouvant être chargées de matières toxiques, dépendamment des détritus brûlés.
C’est ici une lutte d’influence qui a pris place entre la Commune qui refuse d’investir de l’argent et de donner des services sur un marché qu’elle considère informel et les vendeurs qui sont installés sur le site et qui ne sont pas près d’en bouger. Bien sur, toutes ces conséquences influent sur le processus de gouvernance locale et notamment au niveau de la crédibilité accordée par la population au gouvernement, mais aussi par rapport à l’image que la ville renvoie d’elle-même. En effet, quand on parle de bonne gouvernance on entend transparence, responsabilité, et stabilité de la Commune ou du pays. Néanmoins, dans cette situation le sentiment de la population le plus souvent retrouvé lors de nos entretiens était l’incompréhension face aux politiques de la Commune.
La gestion des déchets sur le marché n’est seulement qu’un exemple des partenariats possibles entre la ville et le secteur privé et notre mission nous a aussi amené à étudier d’autres partenariats entre la Commune et les O.N.G. On notera notamment la présence importante d’ENDA Graf ou encore, le Réseau Africain de Développement Intégré (RADI). Ces deux O.N.G travaillent toutes les deux dans le même sens, à la mise en place d’une organisation communautaire pour développer les moyens d’action de la population. C’est le cas du projet IMAP de ENDA qui en partenariat avec la ville et d’autres institutions a développé un système, géomatique de gestion de la ville accessible à tous. Cette implication des O.N.G. semble d’ailleurs récente à Thiès et elle se matérialise pour l’instant, essentiellement par des dons financiers, de l’aide à l’élaboration de plan de gestions et d’organisation de journée d’action et de participations citoyenne pendant les périodes de crise.
Il semble bien qu’aujourd’hui la ville de Thiès ait compris que les partenariats public/ privé étaient devenus indispensables pour une gouvernance adaptée et une gestion urbaine plus effective. Cependant, dans la ville comme sur le Marché Central la gestion en partenariat est encore quasi nulle, notamment car la mairie manque de cadres. On parle bien d’une coopération avec une agence privée de Dakar, qui doit aboutir à une gestion en régie directe du Marché Central, mais cela pourrait encore prendre quelques années avant de pouvoir être réalisable. Il est néanmoins intéressant de constater que les actions des O.N.G. se développent de plus en plus dans la communauté. Grâce aux O.N.G. et aux institutions, un certain nombre de ‘Guides’ et de ‘stratégies ’ pour une gestion urbaine opérationnelle sont disponibles dans les PED. Mais ces stratégies doivent être impérativement accompagnées d’une amélioration de la gouvernance pour être efficaces. Une gestion participative de la population est semble-il plus que nécessaire. Les partenariats public/ privé se multiplient, mais les enjeux sont souvent plus d’intérêts techniques et financiers que politiques, sociologiques ou environnementaux. De fait, le manque ‘d’empowerment’ de la population reste flagrant.
Notes :
Séverine Pain est l’une des membres de l’Atelier de Master de l’Université de Montréal - ENEA. Architecte-Paysagiste diplômée de l’ESAJ à Paris, elle a travaillé quatre ans en Chine et à Hong Kong comme responsable de projet pour une grande agence américaine avant de reprendre un DESS et bientôt une maîtrise d’urbanisme à l’Université de Montréal. Ses intérêts et axes de recherche sont orientés sur la gestion urbaine dans les pays en développement et dans les quartiers sensibles des grandes villes.
severinepain@aol.com
- Le secteur informel et les vulnérabilités sociales au sein du marché de Thiès (Sénégal)
- La citoyenneté active pour la gestion interne du marché de Thiès.
- Problématique des partenariats et de la prise en charge des services urbains de base . Exemple de la gestion des déchets.
- La ville et ses politiques d’intervention et de planification du marché.
- Gouvernance locale en Afrique ; compte rendu d’un atelier de Master de l’Université de Montréal, sur le Marché Central de Thiès.