Analyse
Les trajectoires politiques des pays du Maghreb
Des indépendances à nos jours : unité et diversité des choix et des pratiques politiques
Par Madeleine Elie, chargée de mission
En quoi l’histoire politique, culturelle et sociale des pays Maghreb nous informe sur leur situation actuelle ? Leurs trajectoires politiques s’inscrivent dans l’histoire des relations qu’ils entretiennent entre eux d’une part, et avec l’Occident (anciens colonisateurs, ONU ou institutions de Bretton Woods) d’autres part. Cette étude chronologique revient sur les évènements qui marquent des ruptures importantes spécifiques à chaque pays étudié (Maroc, Algérie, Tunisie et Libye), pour en dégager les thématiques communes. Les politiques de développement, le positionnement sur le conflit israélo-palestinien, le conflit sur le Sahara occidental, et l’islamisme sont des éléments clés de cette analyse. L’auteur souligne leur importance stratégique et idéologique à l’intérieur des pays comme dans leurs alliances avec leurs voisins ou avec l’Occident.
Dossier Regards croisés sur la démocratisation et la gouvernance au Maghreb
Mot-clés :Introduction
L’histoire du Maghreb depuis les indépendances semble marquée par tant de divergences qu’il paraît difficile d’introduire des parallèles solides entre les évolutions politiques des différents pays qui le composent. Ce problème a souvent été souligné : « Les résultats proposés par les travaux de la dernière décennie sur le Maghreb oscillent entre de vastes tableaux d’ensemble, pauvres en informations précises, et des études ponctuelles riches, mais sans perspectives globales » (Etienne, 2004).
A priori, deux facteurs permettant une analyse commune semblent se dégager. Le premier provient des différentes tentatives d’unification des pays maghrébins, à divers niveaux, et en particulier la création, en 1989, d’une Union du Maghreb arabe rassemblant le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie, Même si elles ont jusqu’à ce jour toutes échoué, ces tentatives répétées témoignent qu’il y a, ou devrait y avoir, au moins dans les esprits, une unité des histoires maghrébines contemporaines. Le second fil conducteur pour mener une analyse commune de l’histoire politique des pays maghrébins depuis les Indépendances provient du choix politique identique, plus ou moins abouti selon les pays, de construire des Etats.
Néanmoins cette dynamique n’apparaît pas comme spécifiquement maghrébin. Elle est en effet partagée, dans les mêmes années, par la très grande majorité des pays appelés à l’époque du Tiers-Monde.
Deux autres grilles d’analyses sont déterminantes pour comparer l’évolution des Etats maghrébins : d’une part, les choix et les résultats des politiques de développement ; d’autre part les modalités particulières d’inscription de chaque pays au sein du monde arabe et de ses réalités spécifiques, en particulier les guerres israélo-palestiniennes et la montée de l’islamisme politique ces dernières années.
La construction des Etats maghrébins indépendants
La naissance des Etats indépendants du Maghreb s’opère dans le contexte général de la décolonisation et de l’émergence d’un courant tiers-mondiste face à l’affrontement entre les deux super-puissances de l’Ouest et de l’Est. A l’issue de luttes internes pour le pouvoir, les dirigeants maghrébins se préoccupent d’abord de consolider l’emprise de l’Etat sur la société, pour diriger un décollage économique permettant de sortir du sous-développement.
Les luttes pour le pouvoir et la prise en main des pays
Par bien des aspects, la Libye constitue un cas à part dans le contexte maghrébin. Premier Etat du Maghreb à obtenir son indépendance, il est surtout le seul à ne pas dépendre de l’influence coloniale française. Dès 1949, l’ONU décide d’accorder l’indépendance à la Libye, colonie de l’Italie vaincue, au plus tard au 1er janvier 1952. Effectivement, fin décembre 1951, le roi Idriss 1er prend la tête d’une fédération de trois sous-ensembles : Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan. La Libye du roi Idriss est marquée par une inféodation à l’Occident qui l’a créée. Le pouvoir s’appuie sur le « pluralisme social » (le tribalisme et le régionalisme notamment) mais il laisse de côté le « pluralisme politique » (Camau 1990). Les fruits de la rente pétrolière multiplient les revenus du pays par vingt entre 1962 et 1969. Mais ils ne contribuent pas à la stabilité sociale d’un régime soumis aux autorités occidentales et au pouvoir financier des grandes compagnies pétrolières.
Dans les autres trois pays d’Afrique du Nord, de fortes tensions apparaissent aux lendemains des indépendances entre les principales forces politiques issues de la lutte anti-coloniale.
Au Maroc, un conflit de légitimité oppose le parti indépendantiste Istiqlal, fondé en 1943, et la monarchie, tous deux incarnant de façon différente la lutte nationaliste triomphant du colonialisme. La victoire du jeune roi Hassan II (Mohammed V est mort en 1961) est consacrée en 1962 par le vote d’une Constitution qui institutionnalise le pouvoir prééminent de la monarchie.
En Tunisie, les années 1956-1959 voient les partisans de Bourguiba s’opposer à la faction yousséfiste qui lui fait concurrence au sein du Néo-Destour. Salah Ben Youssef récuse la vision moderniste de Habib Bourguiba et prône une vision identitaire, arabe et islamique, de la construction nationale tunisienne. Sa défaite en 1956 marque la fin de la « crise yousséfiste » et fait triompher la vision bourguibienne du pouvoir. La même année, l’Assemblée constituante remet la charge de président de la République à Bourguiba, marquant la monopolisation du pouvoir tunisien par le Néo-Destour. La constitution est adoptée le 1er juin 1959.
Les premières années de l’indépendance algérienne voient triompher Ahmed Ben Balla, soutenu par l’Armée de libération nationale, contre le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). En 1963, la Constitution fait du FLN (Front de Libération nationale) un parti unique. Au cours de ces années décisives, le parti et l’armée s’imposent comme des pièces maîtresses du pouvoir, tirant leur légitimité de la guerre victorieuse pour conquérir l’indépendance. En 1965, Ben Balla est arrêté et emprisonné par son ministre de la Défense, Houari Boumediene, qui inféode le FLN à l’armée et à l’Etat, incarné par la fonction présidentielle.
La consolidation d’Etats forts et les politiques de développement
En opposition à l’idéologie autogestionnaire de Ben Balla, Boumediene incarne le primat de la construction étatique ainsi qu’un nouveau modèle de développement. En 1971, Boumediene nationalise des richesses naturelles, notamment le pétrole et le gaz, dont les énormes revenus sont censés financer les projets nationaux de développement. L’Algérie socialiste devient un des leaders du non-alignement.
De façon comparable, en Tunisie, Bourguiba fait de l’Etat le moteur de la construction d’une Tunisie nouvelle. L’Etat moderne qu’il met en place pour détruire et recomposer la société traditionnelle fut longtemps considéré comme exemplaire. Il prend des mesures pour unifier la justice, émanciper les femmes (le code du statut personnel est promulgué en août 1956), lutter contre la pauvreté et l’analphabétisme. Le «réformisme autoritaire» tunisien tente également de mettre en place une économie étatique autoritaire. Son échec aboutit au procès de son promoteur, Ahmad Ben Salah, jugé en 1970.
Dans ces années 1960, le Maroc connaît lui aussi une période de politique de développement volontariste. En juin 1961 est lancée la campagne de la Promotion nationale, censée faire sortir le Maroc du sous-développement. Les émeutes de Casablanca débouchent le 7 juin 1965 sur la déclaration de l’état d’exception. Il confère des pouvoirs exceptionnels au souverain pendant plus de cinq ans. Cette concentration du pouvoir entre les mains du monarque consacre la victoire définitive du Palais sur le mouvement national. En octobre de la même année, l’enlèvement de Ben Barka marque le début des «années de plomb» au Maroc.
Dans ces trois pays, la consolidation étatique s’accompagne d’une consolidation nationale via les thèmes de l’arabité et de l’islam. L’arabisation de l’enseignement est censée fonder une identité nationale en phase avec l’effervescence qui mobilise le monde arabe dans la foulée de la dynamique lancée par l’Egypte nassérienne. Elle demeure cependant inégale.
Les années sombres et les velléités d’ouverture
Kadhafi et le modèle libyen
La Libye connaît une évolution spécifique. La véritable rupture avec le régime colonial ne s’opère qu’à la fin des années 1960. Le coup d’Etat du 1er septembre 1969, dirigé par le colonel Muammar al Kadhafi, renverse Idriss 1er. Il débouche sur la proclamation d’une République arabe libyenne. Son chef assure également la fonction de guide idéologique. Le premier volume de son « Livre vert », publié en 1976, souhaite ainsi inspirer une « révolution permanente par le haut ». En 1977, l’Etat, libyen (Camau 1990) devient la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste (autogouvernement des masses, Jamahir).
Le projet de la Grande rivière artificielle, lancé en 1983, constitue l’exemple le plus spectaculaire du socialisme libyen. Le régime doit cependant faire marche arrière sur certaines mesures radicales. En 1987, il autorise ainsi à nouveau l’ouverture des petits commerces.
Le panarabisme de Kadhafi le pousse à l’union avec d’autres Etats arabes. Toutes ses tentatives échouent, avec l’Egypte dès 1972, puis ensuite avec la Syrie, le Soudan, la Tunisie.
Ses attaques virulentes contre Israël provoquent des tensions avec les Etats-Unis depuis la fin des années 1970. Au début des années 1980, le gouvernement américain place la Libye sur la liste noire des pays soutenant le terrorisme mondial. En 1986, des raids aériens américains à Tripoli visent directement Kadhafi. Suite aux attentats terroristes sur des avions de ligne survolant l’Ecosse et le Niger, en décembre 1988 et septembre 1989, le Conseil de sécurité des Nations Unies déclare un embargo aérien et militaire. A partir du milieu des années 1990, les relations avec les Etats-Unis et l’Occident se normalisent peu à peu, et les sanctions de l’ONU sont suspendues en 1999.
Les années de plomb, les révoltes du pain et la décrispation politique
Au Maroc, les « années de plomb » du règne de Hassan II sont marquées par deux coups d’Etat, en 1971 et 1972. Ces deux tentatives de coups d’Etat émanent de l’armée, le plus fidèle des alliés de la monarchie. Face à la gravité de la situation, le roi propose une nouvelle constitution en 1972. En 1975, il mobilise 350 000 volontaires autour d’une « Marche verte » pacifique aux couleurs de l’islam afin de décourager les prétentions espagnoles sur le Sahara occidental. Il restaure ainsi le consensus national autour d’une légitimité monarchique pourtant ébranlée. Un nouvel équilibre politique s’instaure alors sur un fond d’unanimité nationale (Santucci 2004). Le consensus sur le Sahara est pourtant remis en question dès 1981, avec la répression des émeutes de Casablanca de juin, à travers laquelle le roi tente de briser l’opposition socialiste.
Le début des années 1990 marque un tournant dans le règne de Hassan II. Le roi, amorce une libéralisation politique qui s’épanouit pleinement avec l’avènement au pouvoir de son fils Mohammed VI. En 1996, une révision de la Constitution réintroduit le bicaméralisme (deux assemblées parlementaires). Ces années de décrispation sont marquées par la libéralisation de l’expression et aboutissent aux élections de 1997 qui portent au pouvoir un gouvernement d’alternance mené par un Premier ministre socialiste, Abderrahmane Youssoufi.
En Tunisie, les années 1970 et 1980 sont marquées par la grève générale de janvier 1978 et par la répression contre l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens). Le syndicat avait mis en cause l’hégémonie de l’Etat-parti. En janvier 1980, un groupe armé d’émigrés tunisiens de Libye tente un coup de force à Gafsa. Ces évènements débouchent en 1981 sur une ouverture politique dont les courants islamistes sont délibérément exclus : le pluralisme politique est partiellement restauré, un parti communiste et deux autres partis d’opposition sont autorisés. De nouvelles émeutes secouent néanmoins le pays en 1984.
Ces mêmes années, le pays connaît une véritable ouverture économique et une relative prospérité, en particulier à la suite de l’infitah égyptienne. En 1987, Bourguiba est destitué pour sénilité par son Premier ministre, le général Zine El Abidine Ben Al. Commence alors le « Printemps tunisien » : la constitution est amendée ; la présidence à vie est supprimée ; le nombre de mandats présidentiels est limité à trois ; une loi qui reconnaît de nouveaux partis politiques est votée. Mais cette ouverture politique avorte rapidement. La réélection en 1989 de Ben Ali avec plus de 99% des voix marque la fin des illusions. Le code électoral est révisé, instituant un quota de 20% maximum de sièges attribuables à l’opposition.
Au Maroc et en Tunisie, les années 1980 sont marquées par l’influence des institutions financières de Bretton Woods. Avec l’appui de la Banque mondiale et du FMI, le Maroc en 1983, puis la Tunisie en 1986, mettent en place des politiques économiques d’austérité imposées par les plans d’ajustement structurel. Des « émeutes de la faim » secouent les deux pays au cours de ces mêmes années. Les détracteurs des solutions économiques libérales imposées y voient la traduction de l’inefficacité de politiques déflationnistes entraînant la chute de la croissance, l’augmentation de la misère et du chômage, pourtant déjà massif.
L’émergence de l’islamisme politique
Fin 1978 le président algérien Boumediene décède. Sur la recommandation de l’armée, le FLN désigne le colonel Chadli Bendjedid pour lui succéder. Il est élu président en 1979. Il exerce le pouvoir, en s’appuyant à la fois sur la sécurité militaire, sur le réseau du FLN, sur ses proches d’Annaba et de Constantine et sur son entourage familial (Stora 2001). Ces pratiques sont révélatrices de la culture politique qui s’est mise en place en Algérie depuis les indépendances. Malgré les différences de structures politiques, elles ressemblent par bien des points à celles qui se sont développées en Tunisie et au Maroc.
En avril 1980, l’Algérie est secoué par le « printemps berbère », véritable explosion culturelle qui amène le président Chadli à tenter une timide ouverture politique.
Les revenus pétroliers permettent au pays d’échapper aux « révoltes du pain » qui secouent le Maroc et la Tunisie en 1984 Mais le blocage politique du système algérien débouche sur une crise à la fin des années 1980 puis sur la guerre civile dans les années 1990. Les manifestations sanglantes d’octobre 1988, spontanées les premiers jours, sont rapidement canalisées par les organisations islamistes. Après avoir décrété l’état de siège et le couvre-feu, Chadli prend une série de mesures en faveur de la démocratisation du pays : la nouvelle constitution supprime le rôle dirigeant du parti unique, reconnaît le multipartisme et la liberté de la presse.
Dans les trois pays les évolutions politiques sont marquées par la montée de l’islamisme. Il s’appuie notamment sur le prestige populaire de la révolution iranienne et sur les évolutions politiques spécifiques du monde arabe et musulman.
Ainsi, en Tunisie, le coup porté en 1978 à l’UGTT, principal partenaire de l’Etat sur les questions sociales, laisse le champ vacant au développement du populisme et aux formes non institutionnalisées de contestation (Santucci 2004).
En Algérie, le mouvement islamiste naît dans les années 1970. Il profite de l’emprise du religieux sur la société et de la politique d’islamisation de la société menée par le régime dans les années 1970 et 80. Il fonctionne d’abord de manière souterraine, en développant un langage de refus de la soumission de l’islam à l’État (Stora 2004).
La démocratisation avortée
Les années 1990 s’ouvrent sous le signe de la transition démocratique dans les pays d’Europe centrale, suite notamment à la chute de l’Union soviétique. Les pays du Maghreb abordent la nouvelle décennie en combinant une ouverture politique avec des tensions croissantes provoquées par la pression accrue de l’islamisme radical.
La montée en puissance de l’islamisme
L’islamisme se développe dans les pays du Maghreb au cours des années 1980 et 90. L’État perd le monopole du symbole de l’identité nationale. L’ambivalence du concept national ouvre des brèches où s’engouffrent les islamistes. Ils utilisent les aspirations nationales pour contester et défier l’État. Les régimes de leur côté « jouent avec le feu », en cultivant des alliances tactiques avec les organisations islamistes pour contrer l’influence des marxistes.
La libéralisation politique qui suit les émeutes d’octobre 1988 en Algérie permet la création officielle du FIS (Front islamique du Salut) à Alger en février 1989. Il est légalisé en septembre de la même année.
Le 12 juin 1990, les élections municipales et régionales traduisent un rejet massif du FLN et consacrent un raz-de-marée du FIS, qui remporte presque tous les conseils municipaux des grandes villes. Il emporte aussi largement le premier tour des élections législatives de décembre 1991. En réaction, début 1992, l’armée démet Chadli et suspend le processus électoral. Un haut comité d’Etat est formé, présidé par Mohamed Boudiaf, assassiné en juin et remplacé par Ali Kafi.
L’Algérie bascule alors dans une guerre civile qui fait environ 100 000 morts entre 1992 et 1999, En 1994, le général Liamine Zeroual est désigné président par l’armée, puis élu en novembre 1995. Abdelaziz Bouteflika lui succède en avril 1999. Le 6 juin 1999, l’Armée islamique du salut cesse officiellement le combat, et un accord secret est signé entre ses chefs et le régime algérien
La question de l’islamisme et de ses formes de traitement politique par le gouvernement algérien influence largement ses voisins au cours des années 1990 et jusqu’à aujourd’hui.
Menacés par l’opposition islamiste, poussés à l’ouverture par la pression internationale, les régimes maghrébins cherchent un équilibre complexe qui leur assure une stabilité intérieure et extérieure.
La guerre du Golfe et les manifestations de protestation et de soutien à l’Irak font apparaître au grand jour la puissance de l’islamisme marocain, dont la menace planait sur le royaume depuis le début de la décennie 1990. A partir de 1996, le roi engage un processus qui conduit à l’alternance en 1998 avec un gouvernement dirigé par le socialiste Abderrahmane El Youssoufi.
En Tunisie, la répression du mouvement islamiste Nahdaoui envoie les premiers signes de retour à l’autoritarisme du régime de Ben Ali après le « printemps » de 1987 à 89.
L’islamisme se développe aussi en Libye dans les années 1980, malgré la position revendiquée par Kadhafi de champion de la pureté islamique. En réponse à la répression, le mouvement islamiste libyen se radicalise dans les années 1990. Kadhafi répond en combinant une répression féroce et une islamisation renforcée du régime. En 1994, la promulgation de fatwas et l’application de la charia sont ainsi autorisées.
Les premières années du XXI è siècle
Les attentats du 11 septembre 2001, l’attaque de l’Irak par les forces américaines en 2003 et la perception par une grande partie de la communauté internationale de l’islamisme radical comme une menace, créent un nouveau contexte international. La plupart des régimes maghrébins cherchent à conforter leurs alliances avec les Etats-Unis et l’Union européenne, au prix de pressions en retour pour une libéralisation politique.
1999 constitue une année clé pour les trois pays du Maghreb qui consacre le renouvellement ou la continuité des dirigeants politiques. Mohammed VI succède ainsi à son père ; Abdelalziz Bouteflika est élu à la tête de l’Algérie encore sanglante ; Ben Ali commence un troisième mandat en Tunisie.
Alors que le régime tunisien paraît historiquement très stable, il est fortement remis en cause à deux reprises en 2000. En février, le pays connaît ses premiers troubles populaires depuis les émeutes de la faim de 1984. En avril, le journaliste Taoufik Ben Brik entame une grève de la faim pour protester contre la confiscation de son passeport. L’affaire, connaît un ample retentissement international et fait apparaître au grand jour le caractère peu démocratique du régime tunisien.
En Algérie, Abdelaziz Bouteflika, le « candidat du pouvoir », est élu en avril 1999, alors que ses six concurrents se sont retirés du scrutin la veille. Il signe un accord secret avec les chefs de l’Armée islamique du Salut entérinant la reddition de cette dernière. Il soumet au Parlement un projet de « loi sur la concorde civile », incluant l’amnistie d’une partie des inculpés dans le cadre de la lutte contre les forces islamistes.
Le roi Hassan II du Maroc meurt en 1999, son fils Mohammed VI lui succède La transition monarchique semble permettre enfin la transition démocratique.
L’avènement du « jeune roi » est aussi celui de la liberté d’expression, d’une mise en lumière de l’histoire du Royaume et de débats sur les « années de plomb » du règne de Hassan II, notamment autour de la création en 2004 de l’Instance « équité et réconciliation ».
La progression électorale du PJD (le Parti islamiste Justice et Développement) paraît rester sous contrôle et ne pas déborder le jeu démocratique. Pourtant, les attentats islamistes de Casablanca en 2003, puis l’implication d’islamistes marocains dans les attentats de Madrid de 2004 montrent que le Maroc n’est pas à l’abri des dérives terroristes.
Quant à la Libye, elle obtient en 2003 la levée définitive des sanctions onusiennes et américaines en reconnaissant sa responsabilité dans les attentats de Lockerbie de 1988, et en versant des indemnités aux familles des victimes. Depuis 2001, elle s’est engagée aux côtés des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme international. En 2004, la signature du Traité de non-prolifération nucléaire confirme la détente de ses relations avec les puissances occidentales. Dans les années 2000, le régime promeut la libéralisation économique et la décentralisation pour attirer les investisseurs étrangers.
Conclusion
L’évolution politique des pays maghrébins durant ce premier demi-siècle d’indépendance est marquée par certains éléments communs. Pourtant, pendant la guerre froide, la fracture Est/Ouest passe sépare le Maroc, qui choisit une économie libérale et le multipartisme, de l’Algérie, socialiste, avec un régime à parti unique.
Cette opposition idéologique alimente en partie le conflit sur le Sahara occidental. Ce conflit, qui n’est toujours pas vraiment résolu, constitue l’élément le plus tangible des divergences et des oppositions entre les quatre pays étudiés. Aujourd’hui, chacun d’eux paraît davantage intéressé à renforcer ses relations internationales, notamment avec l’Europe, qu’avec ses voisins nord-africains.
Bibliographie
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VERMEREN, Pierre, Maghreb : la démocratie impossible ?, Fayard, Paris, 2004.
ZOUBIR Yahia H. « Libye : islamisme radical et lutte antiterroriste » Maghreb-Machrek, Revue Trimestrielle (Paris), No. 84- Été 2005.
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