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Analyse

La progression du multipartisme et ses limites

Les partis politiques, des acteurs fondamentaux de la démocratisation au Maghreb

Par Zineb Gaouane, chargée de mission

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Table des matières

Dans toutes les démocraties, les partis politiques jouent un rôle déterminant. Lahouari Addi1 définit un parti politique comme un organe de médiation entre l’Etat et la société. Sa fonction serait de faire passer les demandes des populations dans le système politique afin de pacifier les rapports entre celles-ci et l’Etat. Est-ce le cas dans les pays du Maghreb ?

Depuis leur indépendance, les pays du Maghreb se caractérisent par des modes de gouvernement autoritaires. Cet autoritarisme se manifeste par la prépondérance du chef de l’Etat dans la gestion des affaires publiques et une soumission du parlement et du gouvernement à son autorité.2

La démocratisation des régimes maghrébins est désormais devenue une question politique majeure dans la plupart de ces pays. Quel rôle ont joué les partis politiques dans ce processus ? Dans quelle mesure leur participation à la vie politique obéit-elle à une logique de défense des souhaits des citoyens ?

Nous présentons dans une première partie, la naissance « contrôlée » des partis politiques au lendemain de l’indépendance. Nous analysons ensuite les causes de l’ouverture politique amorcée à la fin des années 1980, ouverture qui reste limitée. Enfin, nous complétons cette analyse par une présentation sommaire des principaux partis politiques (en annexes).

Cette étude traite du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. La Libye en est exclue parce qu’il n’y existe pas de partis politiques et qu’aucune élection ne s’y est tenue jusqu’à présent.

Les régimes maghrébins au lendemain de l’indépendance

Les partis politiques sont apparus au Maghreb à l’époque coloniale. Ils présentent dès le départ des spécificités propres à la région. Selon Mohamed Ben Mehdi : « Nous sommes en présence de partis politiques d’un genre très particulier (…). Il s’agit plutôt d’associations politiques composées de nationalistes, qui n’avaient d’autres choix que la lutte sous cette forme partisane afin de renégocier le statut de leurs territoires. »3

Autrement dit, les partis maghrébins se sont créés autour d’un seul programme politique : la lutte pour l’indépendance nationale.

La naissance des Etats souverains, en 1956 au Maroc et en Tunisie, en 1962 en Algérie sonne le glas des idéaux démocratiques pourtant réclamés par les partis politiques.

Contrairement au Maroc, la Tunisie n’a pas constitutionnalisé le multipartisme au lendemain de l’indépendance. Elle n’a pas non plus institué de parti unique (contrairement à l’Algérie) et elle a garanti les grands principes démocratiques, comme la liberté d’expression et d’association, donnant l’apparence d’un multipartisme de fait. Ce fut l’inverse qui se produisit Le Parti Néo-destourien du président Habib Bourguiba devint rapidement le seul acteur politique légal, instaurant de fait un régime de parti unique et refusant toute concurrence ou opposition politique.

La lutte pour l’indépendance de l’Algérie a été menée par le parti du Front de libération nationale (FLN), et notamment par sa branche armée, l’Armée de libération nationale (ALN), créée le 25 octobre 1954 « en vue de déclencher une lutte armée pour l’indépendance totale de l’Algérie. »[>4]. « Tout indiquait à travers cette dualité FLN/ALN que le futur Etat indépendant n’échapperait pas à un système de gouvernement monolithique (parti unique) et militariste (prépondérance de l’armée). » 5 En effet, la première constitution algérienne institutionnalise le parti unique. Une confusion se met en place dès cette période entre le pouvoir militaire et politique.

Le Maroc se positionne dans une toute autre configuration. Au lendemain de l’indépendance, et contrairement aux autres pays de la région, le Royaume constitutionnalise le multipartisme. Ce pluralisme politique est mis en place par la monarchie dans le souci d’asseoir et de pérenniser son pouvoir. Les travaux préparatoires à la Constitution font d’ailleurs l’objet des premières mésententes et contestations des partis politiques marocains : Istiqlal et UNFP (Union nationale des forces populaires), devenue plus tard USFP (Union socialiste des forces populaires). Ils entrent alors dans l’opposition. Bien qu’acteurs principaux de la lutte pour l’indépendance au côté de la monarchie, ils n’ont en effet pas pu prendre part aux préparatifs constitutionnels (menés par Hassan II) contrairement aux engagements du roi Mohammed V. Le Maroc est donc le seul pays de la région où les forces ayant lutté pour l’indépendance n’ont pas participé au pouvoir au lendemain des indépendances.

Les vingt années qui ont suivi les indépendances des Etats du Maghreb ont été marquées par le développement d’une opposition acharnée contre le monopole d’un pouvoir mis en place à l’indépendance, et jamais renouvelé depuis lors. Cette opposition de tradition pluraliste s’est organisée sur un mode clandestin en Algérie et en Tunisie, et plus visible au Maroc, malgré la répression politique de Hassan II. Elle a provoqué de nombreuses révoltes et insurrections : les émeutes d’octobre 1988 en Algérie ; les « émeutes du pain » en 1981 en Tunisie ; les émeutes étudiantes des années 1970 puis populaires dans les années 1980 au Maroc.

L’ouverture politique : vers des démocraties pluralistes ?

Les pressions internationales et surtout les frustrations politiques dans les pays, concrétisées par des révoltes populaires ont conduit les tenants du pouvoir à engager des réformes constitutionnelles annonçant le début de la démocratisation politique.

En Tunisie, « les émeutes du pain » de 1981 conduisent le président Bourguiba à légaliser l’existence de différents partis politiques jusqu’alors interdits. La loi constitutionnelle du 9 septembre 1981 a ainsi pour objet de permettre l’organisation d’élections législatives pluralistes. Pour entrer dans le jeu politique, les partis politiques doivent recueillir au moins 5% des suffrages. Diverses manipulations frauduleuses des résultats du scrutin empêchent les « nouveaux » partis politiques d’atteindre le fameux seuil des 5%. Toutes les formations politiques autres que le Parti socialiste destourien (PSD) se trouvent donc écartés du pouvoir. Le régime de Bourguiba a adopté le multipartisme « non pas pour encourager un processus démocratique, mais simplement pour exclure de la scène politique les formations d’opposition non reconnues. »6

Le 7 novembre 1987, le président Bourguiba laisse place à un nouveau président, Zine El Abidine Ben Ali. Ce dernier se donne pour principal objectif de « réconcilier le pouvoir et les citoyens »7. Il signe en 1988 un Pacte national qui réunit, au nom de la démocratie, les principales forces politiques (partis démocratiques, islamistes, etc.) et garantit toutes les formes de liberté.

En Algérie, les émeutes du 5 octobre 1988 à Alger, puis dans autres grandes villes du pays, marquent un changement irréversible dans l’histoire politique du pays. Les dirigeants algériens entreprennent des réformes importantes sur le plan politique et institutionnel, laissant espérer l’émergence d’une nouvelle conception du pouvoir. La constitution de 1989 marque ainsi l’effondrement du socialisme algérien et consacre le multipartisme, la liberté d’expression, d’association et de réunion, ainsi que la séparation des pouvoirs. La première consultation démocratique a lieu à l’occasion des élections communales de 1990. Elles montrent l’émergence d’une nouvelle force politique majoritaire en Algérie : le Front islamique du Salut (FIS). Ce parti politique se renforce à l’occasion de sa victoire aux élections législatives de 1991. Alarmée par cette victoire écrasante du FIS, l’armée annule les élections, avec le soutien des élites intellectuelles hostiles aux mouvements islamistes. Elle suspend ainsi le processus démocratique.

Le Maroc se situe dans une configuration différente, le multipartisme constituant une base du régime politique. Toutefois, « les réformes politiques et constitutionnelles qui ont reçu la caution de l’opposition et amené cette dernière à participer au gouvernement dit d’alternance consensuelle n’ont été introduites que dans les constitutions de 1992 et 1996. »8 Cette transition démocratique tardive, malgré des bases constitutionnelles démocratiques, s’explique par la priorité du Roi de consolider et d’asseoir la monarchie sur des bases solides. Ultérieurement, Hassan II se montre davantage soucieux d’améliorer l’image du Royaume à l’étranger, ternie par les années de plomb, et d’attirer les aides extérieures. Aussi en 1992, propose-t-il à l’opposition (la gauche représentée par l’USFP, l’Union socialiste des Forces populaires) de rentrer au gouvernement. Celle-ci accepte seulement en 1998, les propositions royales précédentes lui semblant une alternance trop timorée. Le Roi maintenait en effet des technocrates aux postes clé des formation gouvernementales : Premier ministre, ministère des Affaires étrangères, ministère de l’Intérieur, ministère de la Justice.

Dans les trois pays le multipartisme apparaît comme un « dommage collatéral » inclus dans les nécessaires adaptations des systèmes politiques aux défis internationaux. Les pouvoirs en place tentent de l’utiliser afin de conserver les acquis d’une élite, plutôt que pour assurer la promotion de la démocratie.

De l’ouverture démocratique aux limites du pluralisme

Les partis politiques maghrébins ne constituent pas des formations totalement autonomes. Ils se définissent par rapport au pouvoir et sont tolérés par celui-ci, parfois il s’agit même de formations ad hoc créées pour les élections (le Rassemblement national des indépendants et l’Union constitutionnelle au Maroc par exemple).

Quatre partis  occupent le devant de la scène politique et électorale au Maroc : l’Union socialiste des Forces populaires (USFP), le Parti de l’Istiqlal, le Parti de la Justice et du développement (PJD) et le Rassemblement National des Indépendants (RNI). La réalité du pluripartisme et de son ancrage laisse penser que la transition démocratique représente un processus bien avancé..

Malgré l’ouverture amorcée, la scène politique algérienne demeure plus proche de celle de la Tunisie que du Maroc. Dans les deux pays, un parti joue un rôle « monopolistique » (Aron 1961), le Rassemblement constitutionnel démocratique en Tunisie et le Front de Libération Nationale en Algérie. Ils sont entourés de partis sans personnalité (le Mouvement des démocrates socialistes et le Parti de l’Unité populaire en Tunisie) ou incapables d’évoluer sans le concours du parti dominant (le Mouvement pour la réforme nationale et le Rassemblement national démocratique en Algérie).

La question de la place des partis religieu9 dans l’espace politique algérien et tunisien s’inscrit aussi dans une relation d’exclusion et de soumission. En Algérie, après la dissolution du Front Islamique du Salut (FIS) par le pouvoir en 1992 suite à sa victoire écrasante aux élections, des formations religieuses plus consensuelles ont été autorisées : le Mouvement national pour la renaissance et le Mouvement pour la société et la paix. Leur succès électoral reste modeste.

En Tunisie, le régime a reconnu dans un premier temps le Mouvement de la Tendance Islamiste en échange de l’abandon de sa rhétorique religieuse et de son changement de son nom (il devient le Parti de la Renaissance en 1988). Ensuite, effrayé par son succès aux législatives de 1989, le pouvoir intensifie la répression contre le parti : son leader Ghannouchi doit s’exiler et plus de 200 membres sont condamnés. Le pouvoir réussit à faire disparaître le parti de la scène politique.

Au Maroc, les autorités n’ont pas remis en cause la participation du PJD à la vie politique, mais la monarchie a chargé les formations politiques d’une mission particulière : « Encadrer les islamistes et constituer un lien entre ces derniers et le Palais.10 »

Conclusion

L’instauration de la démocratie au Maroc, en Algérie et en Tunisie est freinée par plusieurs décennies de conception et d’exercice autoritaire et centralisé du pouvoir. Seul le Maroc s’inscrit dans une phase de transition démocratique avec des élections libres et transparentes ainsi que la participation de l’opposition au jeu démocratique. Les autres pays de la région s’enfoncent dans une « panne démocratique ». En Algérie, l’armée continue ainsi à contrôler et à manipuler la vie politique. Quant à la Tunisie, son président Zine El Abidine Ben Ali règne sans partage au mépris de la démocratie et des droits de l’homme.

Bibliographie

Bendourou, Omar : « Les régimes politiques et le défi de la transition démocratique. » dans Questions internationales – n° 10, 2004.

Ben Mehdi, Mohammed Ali, « Le multipartisme d’Etat en Tunisie : la débâcle » dans Horizons Maghrébins – le droit à la mémoire. n° 46, 2002.

Bennani-Chraïbi, Mounia ; Myriam Catusse et Jean Claude Santucci , « Scènes et coulisses de l’élection au Maroc » éditions IREMAM. 2005

Madoui, Mohamed : « L’Etat, l’armée et la violence en Algérie » dans Cahiers de l’orient – n°62, 2003.

Mohsen-Finan Khadija, « Le Maghreb entre ouvertures nécessaires et autoritarismes possibles » dans Ramsès 2006.

ANNEXE : Les principaux partis politiques au Maghreb

En Tunisie les dernières élections législatives et présidentielles ont fait état de la participation de sept partis politiques dont les plus important sont :

  • Le Rassemblement Constitutionnel démocrate (RCD). Cet ancien parti du « Néo-destour » (PSD) a mené la lutte pour l’indépendance de la Tunisie sous la direction de Habib Bourguiba. Le RCD a remporté les élections présidentielles et législatives de 2004. Le président Ben Ali, qui en est membre, a gagné les présidentielles avec environ 95% des voix. Le RCD a emporté 152 sièges à la chambre des députés.

  • Le Mouvement des démocrates socialistes (MSD). Fondé en 1978 et autorisé en 1983, ce parti de sociaux démocrates n’a remporté que 14 sièges à la chambre des députés.

  • Le Parti de l’unité populaire (PUP). Ce parti socialiste a été fondé en 1981 et a remporté 11 sièges au Parlement.

Les autres partis - à savoir Le mouvement Ettajdide (communiste), le Parti social libéral (libéral), l’Union démocratique unioniste (nationaliste)- ont obtenu entre 2 et 6 sièges au parlement.

En Algérie les partis politiques suivants participent au jeu politique :

  • Le Front de Libération nationale (FLN). Fondé en 1954 pendant que l’Algérie était française, ce parti socialiste s’est engagé dans la lutte pour l’indépendance contre la colonisation. Il a toujours occupé la scène politique algérienne. Le président actuel Abdelaziz Boutfelika fait partie du FLN. Ce parti demeure le plus représenté au sein de l’Assemblée, avec 199 sièges aux dernières élections de 2004.

  • Le Rassemblement national démocratique (RND). Créé en 1997, ce parti socialiste autoritaire est le second parti au pouvoir avec le FLN. Il compte 47 députés au sein du parlement.

  • Le Mouvement pour la Renaissance nationale (MRN). Ce parti islamiste algérien est arrivé troisième aux élections présidentielles de 2004 et a obtenu 43 sièges au parlement.

  • Le Mouvement de la Société pour la paix. Ce parti constitue la façade politique des Frères Musulmans en Algérie. Il a remporté 38 sièges au parlement.

Au Maroc, de tradition pluraliste, il existe 33 partis politiques en 2007, dont plus de 20 sont représentés au parlement. Les principales tendances politiques sont :

  • Le parti de l’Istiqlal. Mouvement de libération pour l’indépendance, l’Istiqlal (parti de droite) est la première force politique qu’a connue le Maroc. Lors des élections législatives de 2007, l’Istiqlal a remporté 46 sièges.

  • L’Union socialiste des forces populaires (USFP). Scission de l’Istiqlal, l’USFP (parti de gauche) a représenté l’opposition marocaine pendant de nombreuses années. Ce parti a remporté 33 sièges au parlement lors des législatives de 2007.

  • Le parti pour la justice et le développement (PJD).. l’Islam constitue les fondements politiques de ce parti de droite. Lors des élections de 2007, le PJD a remporté 40 sièges, loin du raz de marée attendu par certains.

  • Le Rassemblement National des indépendants (RNI). Ce parti conservateur est représenté au parlement par 34 élus.

  • Le Mouvement populaire, fondé en 1957, est un parti libéral sur les questions économiques et conservateur sur celles de mœurs. Il est parfois qualifié de « berbériste ». Le roi a longtemps pris appui sur lui pour contrer l’Istiqlal et l’USFP. Après avoir subi un revers aux élections législatives de 2002, il a réalisé un très bon score à celles de 2007 avec 36 sièges au Parlement.

  • L’Union constitutionnelle est un parti de droite fondé en 1983 sur ordre du Palais afin d’élargir l’assise populaire du pouvoir aux élections de 1984. Après son effondrement électoral en 2002, il s’est bien redressé en 2007 et obtient 27 sièges au Parlement.

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Notes :

1: Professeur à l’institut d’études politiques de Lyon

2: Pour plus de précision voir la fiche 3 Les constitutions et le poids des pouvoirs exécutifs au Maghreb 

3: Mohamed Ali Ben Mehdi « Le multipartisme d’Etat en Tunisie : la débâcle. »

4: Mohamed Madaoui : « L’Etat ; l’armée et la violence en Algérie » in Cahiers de l’Orient.

5: Mohamed Madaoui. Op cit

6: Mohamed Ali Ben Mehdi « le multipartisme d’Etat en Tunisie : la débâcle. »

7: Khadija Mohsen-Finan : « Le Maghreb entre ouvertre nécessaires et autoritarisme possible » in Ramsès 2006

8: Omar Bedourou : « Les régimes politiques et le défi de l’alternance » in Questions internationales n°10 – novembre 2004

9: Pour plus de précision voir la fiche 9 Islam, démocratie et gouvernements maghrébins : des relations ambivalentes.

10: Khadija Mohsen-Finan. Op. cit

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Voir Aussi