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Analyse

Les stratégies politiques des Etats du Maghreb face à la globalisation

Evolution des analyses de la recherche en sciences politique sur la gouvernance et la démocratisation des Etats arabes

Par Madeleine Elie, chargée de mission 

Les experts des institutions financières internationales qui élaborent les critères pour obtenir l’aide au développement sont influencés par les idées dominantes en matière de développement, de démocratie, de bonne gouvernance. Or l’importance et le sens de ces concepts, désormais galvaudés, ont évolué dans le temps. Les modifications des réalités politiques amènent en effet les chercheurs et les experts à faire évoluer l’importance qu’ils accordent à certaines questions selon l’agenda des problématiques de l’actualité internationale.

Cette fiche présente l’évolution du contexte dans lequel les organisations internationales ont progressivement conditionnalisé leur aide depuis les indépendances. Elle s’attache notamment à analyser la façon dont la science politique – française et américaine essentiellement – a modifié au fil du temps ses analyses de la démocratisation au Maghreb.

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Table des matières

Introduction

Le rapport étroit entre la science politique et la politique étrangère des grandes puissances1, américaine notamment, est fréquemment souligné. Le lien entre les experts de la « bonne gouvernance » prônée par les bailleurs de fonds et la politologie est plus rarement mis en avant. Il s’agit de deux milieux professionnels séparés. Le gouvernement américain a parfois employé des politologues américains comme conseillers en politique étrangère, comme par exemple Larry Diamond lors de l’intervention en Irak. Mais les grands théoriciens de la science politique n’ont pas contribué à la rédaction des rapports du PNUD ou de la Banque mondiale.

La science politique n’en constitue pas moins un élément important du contexte scientifique et idéologique dans lequel s’est élaborée la conditionnalité de l’aide au développement. La recherche en sciences politiques constitue un cadre de pensée influent. Elle crée une sorte d’« air du temps » de la pensée sur le développement. Elle a ainsi poussé, selon les époques, à mettre en avant les notions de modernisation, de libéralisation politique ou de gouvernance.

La relation triangulaire entre les intérêts des puissances occidentales, la science politique comparative, et le discours des organisations et conférences internationales est difficile à analyser avec précision. Michel Camau parle de la convergence partielle des « trois champs principaux du discours sur l’évolution politique des pays arabes » en Occident. La politologie comme le discours normatif des bailleurs de fonds ont pour point commun d’intégrer leur perception du Maghreb dans le cadre de la globalité des Etats arabes, ensemble appelé par la Banque mondiale « Middle East and North Africa » et par le PNUD, « Arab region ».

Les théories politiques, les « modes et engouements idéologiques » influencent aussi les décideurs politiques locaux, qui doivent s’adapter, de bonne ou de mauvaise grâce, à un contexte international qui dicte ses règles. Le regard des Occidentaux sur l’évolution politique du Maghreb indépendant joue ainsi un rôle important sur la perception que les pays du Maghreb ont eux-mêmes de cette évolution – à la fois par mimétisme et pour gagner en crédibilité internationale.

De façon schématique, deux axes majeurs ont structuré cette réflexion depuis les indépendances des pays maghrébins. Il s’agit d’une part de la question démocratique, et il paraît à tous que les jeunes Etats indépendants sont sur la voie de la démocratie ; et de l’autre, la question du caractère autoritaire des régimes maghrébins. Dans la perspective de la démocratisation, le maintien de ce caractère autoritaire paraît comme un mystère, un défi à la raison politique. La question de la gouvernance prolonge et modifie à la fois celle de la démocratisation.

La prédominance de la question démocratique

L’ « échec » politique des pays du Maghreb

« Depuis près d’un siècle, la question de la démocratie pèse d’un poids tout particulier tant sur les spécialistes du monde arabe que sur les dirigeants politiques dont dépend le sort de ces pays et de leurs habitants. Presque toujours conflictuelle, elle a profondément marqué, et de façon plutôt négative, les études politiques sur la région ».2

La période qui a suivi les indépendances peut être appelée «l’ère des zaïms »3 (leaders charismatiques). Elle est marquée par la foi dans le développement, supposé amener la modernisation des nouveaux pays, et leur assurer ainsi, à terme, un fonctionnement démocratique et libéral4. La démocratie et le sous-développement sont à l’époque perçus comme incompatibles. L’appartenance à un Tiers-Monde politique, non libéralisé, va naturellement de pair avec l’appartenance au Tiers-Monde économique. Les spécialistes insistent sur l’importance du rôle de l’Etat dans un contexte de sous-développement. Certains justifient même le recours à l’autorité comme un moyen d’accélérer le changement social. Michel Camau reprend ainsi une expression célèbre de Toqueville et parle d’un « despotisme démocratique » qui « confondant élan national et élan libéral, prétendait allier volontarisme politique et idéologie du « rattrapage »5~». Selon Ferrié et Santucci, il aurait eu « ses partisans comme ses dupes ».

A l’époque où se consolident des régimes autoritaires, les chercheurs en sciences politiques, à la suite notamment de Martin Lipset, tentent d’établir la liste des « pré-requis » nécessaires à la démocratie. Selon eux, l’absence de ces critères dans les Etats arabes sous-développés explique l’autoritarisme prédominant. L’observation de la « première vague » de démocratisation en Europe et aux Etats-Unis, leur permet de mettre en lumière sur les facteurs préalables nécessaires à la démocratisation, comme par exemple l’émergence d’une classe moyenne.

L’autoritarisme apparaît comme une étape logique de l’évolution des sociétés vers la démocratie. Cette conception de la modernisation de Lipset a encore largement cours aujourd’hui dans l’enseignement supérieur américain.6

L’ « exception arabe »

La « troisième vague » de démocratisation qui fait suite à l’implosion du système soviétique change les regards scientifiques et politiques sur l’autoritarisme pratiqué dans les pays arabes. Il devient une exception dans un monde unipolaire où la démocratie apparaît désormais comme une norme universelle. Alors que la démocratie se met en place dans les pays d’Europe centrale et orientale, les régimes du Maghreb, après quelques velléités de libéralisation politique, tendent plutôt à se durcir. Le monde arabe semble alors se marginaliser par rapport à une tendance mondiale à la démocratisation. L’évolution politique régionale commence alors à être analysée comme un échec7. On ne se demande pas « comment les pays arabes en sont arrivés à présenter leur visage actuel, mais pourquoi ils n’en présentent pas un autre »8.

Une nouvelle discipline scientifique apparaît pour analyser les démocratisations des années 1990, notamment celles de l’ex-bloc soviétique. On l’appelle « la transitologie ». Elle tente d’établir, à partir des exemples de l’Europe de l’Est, un « seuil » de démocratisation marqué par l’effondrement du régime autoritaire et la naissance puis la consolidation de la démocratie. La démocratisation consiste principalement à franchir ce seuil. Dans la tradition européenne, la tenue d’élections libres constitue un critère déterminant du franchissement de ce seuil. Les chercheurs estiment que la mutation des régimes autoritaires vers la démocratisation ne peut pas se produire « en dessous du seuil défini». Le monde arabe se trouve ainsi stigmatisé comme évoluant à contre-courant de la tendance « démocratique » mondiale.

L’idée d’une exception arabe se confirme alors. La recherche s’oriente sur les constituants de cette particularité arabe, de façon à expliquer pourquoi cette région résiste à la démocratisation. Les thèses culturalistes, écartées dans un premier temps, réapparaissent avec l’idée d’une « tendance naturelle » des Arabes à préférer les régimes forts. Heydemann estime que les chercheurs « perdent un temps précieux à batailler contre les affirmations improductives des culturalistes ». Il constate que « toute la discipline reste le regard stérilement fixé sur ce fameux seuil que les pays arabes n’auraient pas atteint ».

L’impasse

Les politologues du monde arabe restent confinés pendant ces années « dans l’ombre projetée par la question de la démocratie ». Ils ne s’intéressent pas à l’étude des régimes nord-africains pour eux-mêmes. L’autoritarisme politique arabe apparaît comme illégitime aux yeux de certains observateurs qui analysent leurs systèmes politiques à la seule lumière des droits politiques et des libertés publiques. Les valeurs démocratiques des politologues les amènent à penser que dans le monde arabe « les pouvoirs autoritaires ne gouverneraient que par coercition, sans qu’aucun autre processus de légitimation ne puisse expliquer leur stabilité et leur extrême longévité »9. La politologie des années 1990 fait dépendre la libéralisation politique des pays arabes de la volonté des Etats démocratiques et des institutions internationales qui, « s’ils le voulaient », libéreraient les peuples arabes de l’oppression et les conduiraient à la démocratie. Cette conception fonde la base idéologique de la conditionnalité de l’aide au développement pratiquée par les institutions financières internationales et nationales.10

Or, Michel Camau montre, à l’inverse, que l’autoritarisme arabe n’a rien d’exceptionnel. C’est la nouvelle conjoncture politique internationale qui la fait désormais apparaître ainsi.  La « politique de doubles standards » de l’administration américaine pendant la guerre froide imposait de ménager les dictatures, censées se transformer d’elles-mêmes et pacifiquement, en démocraties à la différence des régimes communistes totalitaires, antithèses de la démocratie11. La fin du totalitarisme soviétique rend ce raisonnement obsolète. Les régimes autoritaires apparaissent désormais comme des intrus au regard d’une démocratie triomphante.

L’étude des régimes autoritaires dans le monde arabe prend son essor à partir des années 1970, parallèlement au discours semi-normatif sur l’échec de la démocratie dans la région.

L’étude des systèmes autoritaires arabes

Le défi autoritaire

Jean Leca utilise la classification de Geertz, qui distingue dans les régimes autoritaires arabes, le nationalisme, l’autocratie et la « singaporisation » : « par nationalisme, on entend un moyen de légitimer les élites en place, par autocratie, la capacité des gouvernants à se rendre plus ou moins indépendants des groupes politiques qu’ils ne contrôlent pas »12 . « La singaporisation » correspond à la libéralisation économique. Certains chercheurs ont recours à d’autres types de concepts pour analyser ces régimes autoritaires : le néo-patriamonialisme ou la « relation maître-disciple » par exemple.13

Selon eux, l’Etat cherche moins à contrôler la société qu’à organiser sa propre survie. La libéralisation économique, déconnectée d’un processus de démocratisation politique, apparaît alors comme une stratégie de survie des pouvoirs en place. Les « autocraties libéralisées », selon l’expression de Ferrié et Santucci, deviennent un objet d’études spécifique. Elles désignent les régimes où les dirigeants autorisent une ouverture limitée aux changements économiques sans redistribution du pouvoir.

Des « autocraties libéralisées »

Les recherches s’orientent sur la façon dont les régimes autoritaires réussissent à s’adapter aux évolutions internationales afin de subsister. Santucci et Ferrié font ainsi remarquer que la libéralisation relève d’une « stratégie de survie »  et que les dispositifs de démocratisation « sont avant tout des dispositifs autoritaires »14. Ils prennent l’exemple des élections législatives au Maroc en 1997. Elles ont contraint le roi à désigner un Premier ministre de l’opposition, permis l’entrée d’une opposition modérée au parlement, mais n’ont pas modifié les mécanismes de dévolution du pouvoir suprême. Jean-Noël Ferrié résume les choses ainsi : « Depuis la chute du bloc soviétique, plus aucun chef d’Etat maghrébin ne revendique une autre idéologie que la démocratie. On assiste à un processus de libéralisation des régimes autoritaires, qui desserrent un peu l’étreinte sur la société civile. Mais il est illusoire de croire que cela va déboucher sur un vrai système démocratique, car ces régimes n’ont aucune intention de mener le processus à son terme. Cet espace de liberté est accordé pour solde de tout compte, avec pour objectif principal de stabiliser le régime.  »15.

Les chercheurs et experts estiment que les régimes autoritaires utilisent le langage de la démocratisation et les pratiques électorales pour atteindre leurs propres objectifs, mais sans en maîtriser vraiment la portée à long terme. Les régimes maghrébins ont ainsi par exemple utilisé la théorie de la modernisation de Lipset pour justifier la répression anti-islamiste dont la montée en puissance les mettait en danger. Ils ont ainsi été expliqué que sans les « prérequis » économiques et sociaux nécessaires à une véritable démocratie, la transition risquait de déboucher sur une islamisation dangereuse des régimes politiques.

La question n’est pas de dénoncer la démocratie de façade et la libéralisation économique pratiquées par des régimes bafouant par ailleurs les libertés politiques fondamentales. Il s’agit de comprendre comment l’autoritarisme se maintient et évolue à travers les changements qu’il met en oeuvre16. Observer les mutations internes des régimes autoritaires permet, comme y invite Steven Heydemann, « d’étudier les formes non officielles de participation civique, qui constituent comme des sortes d’îlots opérant en dessous du seuil de la pratique politique formelle, par exemple dans les élections locales et les associations, et qui viennent compliquer les dichotomies du type autoritarisme/démocratie. »17

Les gouvernants ne se préparent certes pas à donner le pouvoir à des partis d’opposition, contrairement à ce qui s’est passé en Europe de l’Est. Mais le souci des dirigeants autoritaires de paraître respectables, et l’échec radical des idéologies hostiles à la démocratie au début des années 1990 témoignent que la démocratisation dans les pays arabes ne constitue pas une simple rhétorique.

La thèse du « cercle vertueux » de la démocratisation explique que les institutions démocratiques créent à terme des comportements favorables à la démocratie. Cette analyse permet de penser que la démocratisation est possible à terme dans les pays du Maghreb : « Sans doute est-ce la seule façon de concevoir actuellement le passage des régimes autoritaires-libéraux (ou autocraties libéralisées) à la démocratie : un passage involontaire, consécutif au déplacement de la ligne de tolérance des dirigeants autoritaires et à la modification consécutive des institutions autoritaires. »18

La fin de l’exception arabe

Pour comprendre les régimes politiques d’Afrique du Nord et du monde arabe, il faut se détacher de la notion d’exception autoritaire arabe. L’autoritarisme arabe, loin d’être une exception dans le monde de la « globalisation démocratique », fait au contraire partie intégrante de ce système. Selon Michel Camau, l’autoritarisme de développement des premières décennies des jeunes Etats indépendants représente le jumeau de la crise de l’Etat providence dans les démocraties « réelles ». Tous deux font partie du même cycle mondial avec ses ajustements différents ici et là. Des phénomènes comme l’ouverture économique d’un côté et l’accent mis de l’autre sur une meilleure gouvernance constituent aussi des phénomènes « jumeaux » caractéristiques de l’intégration paradoxale de ces pays dans le système international. L’autoritarisme arabe n’est donc pas une exception, mais « l’envers de la globalisation démocratique »19.

Michel Camau analyse l’exemple tunisien où le parti unique joue un rôle d’encadrement des associations et d’aide sociale et incarne « l’adaptation du pluralisme limité à des tendances ou à des incitations observables à l’échelle mondiale ». La formule politique tunisienne ne se réduit donc pas à la répression. De la même façon, la libéralisation économique ne saurait se réduire à une opposition entre une transition économique réussie  et une transition démocratique bloquée. « En se réclamant (…) de l’Etat de droit, du pluralisme politique et de la démocratie, le régime tunisien ne fait pas que se parer d’ornements démocratiques : de telles références, écrit Camau, dépassent le simple calcul tactique. Elles relèvent d’une dimension stratégique, voire géostratégique, inhérente à la globalisation démocratique. » Loin de représenter des exceptions anachroniques dans un monde en voie de démocratisation universelle, les régimes autoritaires arabes en font pleinement partie. Ils s’adaptent pour survivre au système de globalisation démocratique.

Camau fait du respect des libertés fondamentales le critère de dernier recours pour distinguer l’autoritarisme de la démocratie, il souligne « le renouveau de l’utopie de l’immédiateté de la société politique à la société civile et la propagation de l’idéologie de la gouvernance démocratique. » Cette position rejoint le discours des organisations internationales d’aide au développement. Le respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales est en effet devenu au cours des dernières années le critère central de la gouvernance démocratique dans sa définition onusienne : « From the human development perspective, good governance is democratic governance. Democratic governance means that people’s human rights and fundamental freedoms are respected, allowing them to live with dignity (…). »20

Conclusion : l’essor du concept de gouvernance

L’« après-démocratisation » des années 2000 débouche sur la question de la gouvernance, « nouvelle », « bonne », ou « démocratique ». Ce concept fonctionne comme ceux de la mondialisation ou de la société civile. Il possède la même apparente clarté et le même flou sémantique réel21. Il combine une réalité descriptive et une réalité normative. Se présentant comme un « discours de la méthode », la notion de gouvernance donne l’illusion « de ne disposer d’aucune charge idéologique, de ne pas trancher autour des valeurs et de s’adapter à celles qui seront déterminées par le politique »22.

La gouvernance constitue pour les bailleurs de fonds et les organisations internationales l’instrument « moderne » par excellence de la propagation démocratique dans les pays en développement23. Mais, de façon paradoxale, cette notion reste une problématique interne à ces institutions.

Les partenariats de l’Union européenne avec les pays arabes en développement sont construits autour de la gouvernance comme moyen d’enclencher un « cercle vertueux de la démocratisation ». Les institutions démocratiques sont ainsi censées générer progressivement la démocratisation du pays « de l’intérieur ». Michel Camau  s’appuie sur l’exemple tunisien : « (…) pour relever le défi de la compétitivité, le gouvernement tunisien est engagé avec l’Union européenne (…) dans des programmes de « mise à niveau » concernant les entreprises et l’administration. S’agit-il d’une mise à niveau démocratique du régime ? » Il souligne aussi les aléas de la foi en l’axiome « les marchés maintenant, la démocratie plus tard », qui fait l’impasse sur « l’éventualité d’une consolidation autoritaire empruntant la forme d’un « autoritarisme de marché »24.

Yves Palau souligne l’usage normatif de la gouvernance par les institutions financières internationales qui représente une façon d’intégrer « la logique de marché dans le fonctionnement » des Etats en développement. Les chercheurs mettent l’accent sur l’hypocrisie réciproque autour de cette notion de gouvernance : les institutions internationales l’utilisent pour imposer le libéralisme et, à terme, la démocratisation, mais elles technicisent la problématique pour lui donner une apparence politiquement neutre. Les pays « partenaires » s’engagent de leur côté à remplir les critères de la gouvernance démocratique car ils peuvent ainsi gagner du temps et ne pas instaurer une vraie démocratisation qui supposerait notamment l’existence d’un pluralisme réel. La gouvernance constitue ainsi une « stratégie de survie » des Etats autoritaires arabes. Elle les met au diapason de leur environnement international. Loin d’être neutre, la notion de gouvernance renouvelle la thématique de la démocratisation. Elle est au coeur de la survie des régimes autoritaires qui l’utilisent pour maintenir leur pouvoir exclusif tout en s’adaptant au contexte international.

Les termes de démocratie, de démocratisation et de bonne gouvernance ne relèvent pas pour autant de la seule manipulation langagière. Ils sont désormais repris à leur compte et revendiqués par une partie des intellectuels et des dissidents maghrébins, comme à l’époque de l’indépendance. En 1969 Michel Camau analysaient ainsi les aspirations des peuples et des leaders des nouveaux Etats indépendantsxxv : « Jeunes Etats, nouvelles démocraties, la simultanéité des deux phénomènes est particulièrement sensible en Afrique du Nord où les aspirations nationalistes et démocratiques des populations locales se sont longtemps heurtées à une fin de non-recevoir de la part de la puissance coloniale ».

Dans leur Déclaration d’Alexandrie 26, les représentants de la société civile du monde arabe déclarent « la réforme politique s’entend de toutes les actions menées par les gouvernements, la société civile et le secteur privé, afin de mener sans délai et de manière concrète les pays arabes sur le chemin de la démocratie ».

Notes :

1:Michel Camau parle des « chassés-croisés entre science politique et ordre du monde, entre science de la démocratie et politique des démocraties » ; « Globalisation démocratique et exception autoritaire arabe », Critique internationale, mars 2006.

2: Steven Heydemann, « La question de la démocratie dans les travaux sur le monde arabe », Critique internationale, n°17, octobre 2002.

3: Jean-Noël Ferrié, Jean-Claude Santucci, « Dispositifs de démocratisation et dispositifs autoritaires en Afrique du Nord : une mise en perspective », Dispositifs de démocratisation et dispositifs autoritaires en Afrique du Nord, Etude de l’Annuaire d’Afrique du Nord, CNRS Editions, 2006.

4: Dans sa préface à la publication de la thèse de Michel Camau sur la notion de démocratie chez les leaders d’Afrique du Nord, Charles Debbasch écrit : “ On peut s’interroger avec M. Camau sur les chances de survie de ce modèle qui prétend réaliser l’unité tout en respectant la liberté“. in La notion de démocratie dans la pensée des dirigeants maghrébins, Paris, Editions du CNRS, 1971.

5: Michel Camau, “Trois questions à propos de la “démocratisation” dans le monde arabe”, in J.-C. Vatin et al., Démocratie et démocratisation dans le monde arabe, Le Caire, CEDEJ, 1992. Cité par Jean-Noël Ferrié, Jean-Claude Santucci, « Dispositifs de démocratisation et dispositifs autoritaires en Afrique du Nord : une mise en perspective », Dispositifs de démocratisation et dispositifs autoritaires en Afrique du Nord, Etude de l’Annuaire d’Afrique du Nord, CNRS Editions, 2006.

6: Voir par exemple R. J. Payne et J. R. Nassar, Politics and culture in the developing world, New York, Longman Publishers, 2003.

7: Ce type de vocabulaire est repris dans le Rapport arabe de développement humain commandé par le PNUD auprès d’une équipe d’experts de la région et publié en 2004 pour évoquer la situation politique des pays du monde arabe : « Undoubtedly, the real flaw behind the failure of democracy in several Arab countries (…).”

8: Steven Heydemann, op. cit.

9: Michel Camau, « Globalisation démocratique et exception autoritaire arabe », Critique internationale, mars 2006.

10: Le Dr. Rima Khalaf, Directeur du Bureau régional aux Etats arabes du PNUD, affirme ainsi: “The Arabs, according to international surveys, have the greatest thirst for freedom and are the most appreciative of democracy out of all people in the world » ; cité dans Update April 2005, Oslo Governance Centre, United Nations Development Programme.

11: Situation qu’il résume ainsi : « Tandis que la realpolitik entendait veiller à la stabilité des « tyrans amis » pour mieux servir la cause des démocraties face à « l’Empire du mal », la science politique distinguait l’autoritarisme – espèces de régimes ni-ni – de l’antithèse totalitaire de la démocratie. »

12:C. Geertz, “The judging of Nations. Some comments on the assessment of regimes in the new states”, Archives européennes de sociologie, vol.18, n°2, 1977. Cité par Ferrié et Santucci, op. cit.

13: Voir Michel Camau, op. cit.

14:Ferrié et Santucci , op. cit.

15: Jean-Noël Ferrié, « Ces régimes ne mèneront pas le processus à son terme », L’Express, 22/09/2005, en ligne sur : www.lexpress.fr/info/monde/dossier/mondearabe/dossier.asp

16: C’est également ce type d’approche qu’utilise Béatrice Hibou dans un article publié dans les Etudes du CERI, n°60, 1999 (« Les marges de manoeuvre d’un « bon élève » économique : la Tunisie de Ben Ali »), où elle cherche à « déceler ce que cette qualification [de « bon élève » donnée par les bailleurs de fonds] laisse comme latitude en termes de fonctionnement politique et économique ».

17: Steven Heydemann, op. cit.

18: Jean-Noël Ferrié, Jean-Claude Santucci, op. cit.

19: Voir Michel Camau, op.cit.

20: Human development report 2002 : “Democratic governance for human development”, UNDP, 2002.

21: Un exemple de cette confusion dans la définition du terme : «La notion de bonne gouvernance est apparue vers la fin des années 1990 afin de trouver une réponse aux carences des politiques de développement eu égard aux préoccupations de la gouvernance, notamment pour réagir au non-respect des droits de l’homme. Les notions de bonne gouvernance et de droits de l’homme sont complémentaires et reposent dans un cas comme dans l’autre sur les principes fondamentaux de la participation, de l’obligation de rendre des comptes, de la transparence et de la responsabilité de l’Etat. » (Questions fréquentes au sujet d’une approche de la coopération pour le développement fondée sur les droits de l’homme, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme, New York et Genève, 2006).

22: Yves Palau, « Usages contemporains de la notion de bonne gouvernance et politique », in F. Mabille dir. Politique, démocratie et développement – Du local au global, Paris, L’Harmattan, 2003.

23: «Les droits de l’homme peuvent être appliqués dans toutes sortes de systèmes économiques et politiques, а condition qu’ils soient à caractère démocratique et reconnaissent et expriment effectivement l’interdépendance et l’indivisibilité de tous les droits de l’homme. », Questions fréquentes au sujet d’une approche de la coopération pour le développement fondée sur les droits de l’homme, op. cit.

24: Michel Camau, op. cit.

25: Michel Camau, La notion de démocratie dans la pensée des dirigeants maghrébins, Paris, Editions du CNRS, 1971.

26: Déclaration d’Alexandrie, mars 2004 : Déclaration finale sur les réformes dans le monde arabe : perspectives et mise en oeuvre » 12-14 mars 2004, Alexandrie, Bibliotheca Alexandrina, 2004.

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