Analyse
La démocratie participative dans le Xeme arrondissement de Paris
Etude sur les formes françaises de la démocratie participative réalisée par un groupe d’étudiants de Master de l’IEP de Paris
Par BRENDEL Verena, CONFAVREUX Marine, OBLED Loïc, PFLIEGER Joachim, SEGOL Julien, VEYRENC Thomas
Date de la note : mai 2006
L’objet de cette étude consiste à explorer les formes émergentes de démocratie participative en France et à déterminer notamment s’il est possible de parler aujourd’hui d’une « démocratie participative à la française » , à côté des expériences qui ont pu être menées depuis quelques années dans des villes d’Amérique latine telles que Porto Alegre. Il s’agit ainsi d’aller à la rencontre des acteurs de cette nouvelle forme de participation citoyenne en interrogeant des personnes situées aux divers échelons de ces structures de démocratie participative.
Table des matières
Description de la structure et de son mode de fonctionnement
Le Xe arrondissement de paris, dont la municipalité est socialiste, compte approximativement 90 000 habitants (on y recense près de 90 nationalités différentes) ; il a été découpé en six zones géographiques, comptant chacune son propre conseil de quartier : au nord, les quartiers Louis Blanc, Hôpital Saint Louis, et Grange aux Belles ; et Saint Denis/Paradis, Château d’eau et Saint Vincent de Paul au sud.
Les conseils de quartiers ont été mis en place entre 1998 et 2001, anticipant ainsi, pour certains, la loi Vaillant. Le conseil de Château d’eau est l’un de ces pionniers : il a été mis en place spontanément par un groupe de citoyens désireux de s’engager dans la voie ouverte peu auparavant dans le XXe arrondissement. Pour la mise en place de ces conseils, les habitants de chaque quartier ont été invités à la tenue d’une assemblée générale afin d’établir la composition d’équipes d’animation. Peu de gens ont finalement répondu à ce premier appel (150 personnes seulement se sont présentées lors de l’assemblé générale du conseil Château d’eau). Les équipes d’animateurs regroupent, sur l’ensemble du Xe, 39 personnes (12 pour Château d’eau) : les animateurs ont tous été élus lors d’un assemblée générale. En outre, deux élus municipaux sont délégués par la mairie pour chaque conseil, à titre de référents : ils sont présent uniquement comme observateurs et constituent un relais de communication entre la mairie et les conseils de quartiers mais ne peuvent en aucun cas intervenir pour orienter le débat ou influencer la discussion.
Les conseillers de quartier ou équipes d’animation se réunissent de façon irrégulière, selon la nécessité des projets. Ils travaillent le plus souvent en formation plus restreinte, sous forme de commissions, dont la composition et la fréquence des réunions varie là encore en fonction des thèmes à traiter. Néanmoins, une réunion mensuelle regroupe l’ensemble des équipes d’animation. Ces réunions ont lieu dans des locaux publics (écoles, mairie) mais certains animateurs tiennent à marquer l’indépendance des conseils de quartiers par rapport à la mairie : les animateurs de Château d’eau se réunissent ainsi parfois dans un local qu’ils louent.
Les réunions des commissions et des équipes d’animation ne sont pas ouvertes au public, par soucis d’efficacité. Seules les assemblées générales mensuelles sont ouvertes à tous : c’est là l’occasion pour tous les habitants d’interroger les animateurs sur leurs actions, mais aussi et surtout de proposer des thèmes qu’ils souhaitent voir abordés et traités par les animateurs. Ces assemblées connaissent cependant une faible affluence, compte tenu de l’importante population des quartiers : on y dépasse rarement le seuil des 100 à 150 participants. De même, si les équipes d’animateurs comptaient au début un certain nombre d’enthousiastes, force est de constater que les animateurs se font progressivement moins nombreux lors des sessions de quartiers, qui ont alors lieu en effectif réduit (5 à 7 membres le plus souvent).
Les animateurs insistent sur le fait que leur structure ne présente aucune hiérarchie : la répartition des tâches et la prise de décisions ont lieu selon un mode consensuel. Leur indépendance à l’égard de la mairie est totale : ils sont libres d’établir l’ordre du jour de leurs réunions et d’agir comme bon leur semble pour réaliser un projet retenu par eux. Cependant, certains animateurs déplorent le mauvais fonctionnement des relais mairie-conseils, voire une mauvaise foi de la part de certains élus municipaux référents.
Les réalisations des conseils, à ce jour, comptent un certain nombre de succès : s’il s’agit le plus souvent d’aménagements de la ville (réalisations de percées vertes, création d’un jardin dans le quartier Saint Louis, ouverture au public du quartier historique de l’Hôpital Saint Louis les dimanches, repavement et mise à sens unique d’une rue dans le quartier Château d’eau), des actions visant une meilleure intégration sociale ont aussi été menées (lutte pour l’obtention de plus de logements sociaux –visant à atteindre la norme des 20%, contre les 8% actuels dans l’arrondissement, mise en place d’un partenariat avec un centre social de prévention et d’éducation pour lutter contre la délinquance, ouverture d’ateliers de loisirs et encadrement de sorties découvertes en province pour les habitants du quartiers, organisation de fêtes de quartiers).
Perception de la structure
Les personnes interrogées ont visiblement une perception similaire de la démocratie participative : il s’agit en effet de « participer à la vie locale du quartier d’un point de vue social » . Le système de démocratie participative est véritablement entendu comme un complément nécessaire à la démocratie représentative traditionnelle, et non comme un appendice superficiel. On notera l’importance accordée dans ce cadre au fait que l’ensemble des conseillers de quartiers, qui se considèrent d’ailleurs plus volontiers comme des animateurs d’équipes de travail, est homogène quant à sa composition : aucune relation de hiérarchie n’intervient au sein des conseils.
Concernant l’éventuelle politisation des conseils de quartiers, l’avis est unanime : même s’il est vrai que certains membres appartiennent effectivement à un parti (le PS), la sensibilité politique des animateurs n’entre jamais directement en ligne de compte dans la décision. Ils admettent par ailleurs volontiers avoir une sensibilité politique de gauche, mais cela n’influence (ni ne facilite) le dialogue avec la mairie, pourtant de la même sensibilité.
Cependant, les opinions divergents quant à la conception des tâches qui relèvent des conseils. D’un côté, la structure des conseils de quartiers est pensée comme un organisme devant contribuer à l’aménagement du territoire autant qu’à la réalisation de projets sociaux alors que d’autre part, on l’envisage de façon beaucoup plus exclusive comme le moyen d’une action sociale (de prévention contre la délinquance, d’aide aux personnes en difficultés, etc…) où le choix d’emplacements adéquats pour un banc ou la détermination d’un sens particulier de circulation d’une rue n’a rien à faire ; dans cette dernière perspective, la gestion des aménagements urbains reviendrait donc exclusivement à la municipalité.
Les avis sont aussi quelque peu divergents quant à la perception du fonctionnement des conseils de quartiers. Si tous s’accordent pour dire que les conseils du Xe jouissent d’une liberté d’action et de décision par rapport à la mairie, « surtout quant on voit ce qui se passe dans le Ve ou le XVIe, où le maire a la main mise sur les conseils » commente R. Périer, il faut tout de même noter les critiques formulées par ce dernier à l’égard de la rigidité, voire de la mauvaise foi, dont peuvent faire preuve certains élus référents, qui ne jouent pas véritablement leur rôle de relais et ne font pas toujours remonter les demandes des conseils. La critique est même plutôt sévère à cet égard, car R. Périer estime que bien souvent les efforts des conseillers, qui s’investissent massivement pour réaliser, par exemple, des enquêtes auprès de spécialistes afin d’établir des projets cohérents d’aménagement du territoire, ne sont absolument pas pris au sérieux. Ainsi, notamment, un projet réalisé pour l’aménagement des anciens locaux de la CERNAM, prévoyant l’implantation de logements sociaux et une importante végétalisation du milieu, a été rejeté sans même avoir été consulté.
De même, l’analyse des faiblesses est plus pessimiste pour R. Périer : « la démocratie participative ? Un bel échec ! » , a-t-il déclaré. Selon lui, le manque de temps de la part des animateurs, le manque de moyens financiers ainsi que la complexité et la lourdeur décourageante de l’administration sont responsables d’une efficacité globalement médiocre de la démocratie participative en comparaison avec les efforts déployés. En fait, derrière ce constat un peu amer se cache une conviction bien ancrée, à savoir, que la démocratie participative est une bonne chose dans son principe, mais qui manque encore cruellement, non seulement de moyens, mais aussi d’expérience et de maturité. R. Périer n’est pas seul à partager ce constat, car tous les interrogés reviennent sur le manque d’envergure des possibilités qui sont pour l’instant celles des conseils d’aujourd’hui.
Enfin, les interviews révèlent une certaine lucidité quant à la perception de la relation de pouvoir avec la mairie. En effet, l’impression de ne pas être véritablement à égalité avec les élus municipaux est partagée par tous. Les conseillers de quartiers envisagent plutôt leur action comme un moyen de faire pression sur la mairie pour faire entendre les revendications de la population : l’influence est donc bien plutôt indirecte.
Analyse de la structure
Les conseils, s’ils manquent peut-être effectivement de fonds, manquent en tout cas d’expérience (de l’aveu même d’un animateur) tant dans le domaine de la gestion de la vie participative que dans la communication, ce qui explique en partie la faible fréquentation des assemblées générales. L’absence de toute brochure ou journal destinés à l’information des habitants de la tenue des réunions, des projets retenus et des réalisations concrètes est nettement dommageable à cet égard, car les conseils y gagneraient en influence et en poids sur la scène publique.
Les conseils ne sont pas suffisamment représentatifs des populations concernées : la composition des conseils est majoritairement nationale, alors que le quartier compte près de 90 nationalités différentes, et ce décalage se retrouve également en termes de proportions, la part des non nationaux dans l’arrondissement étant nettement supérieure à celle que l’on trouve dans les conseils de quartiers (seul un non français, par exemple, dans le conseil Château d’eau).
Le manque de considération de la part des élus municipaux quant à la qualité des enquêtes et des projets réalisés par les conseils semble patent. L’hypothèse de la « mauvaise foi » de la part de la mairie à l’encontre des conseils est par ailleurs d’autant plus plausible qu’ils n’ont jamais accès aux dossiers qu’ils sont censés traités en collaboration avec elle. Ce défaut d’information et de transparence, qui se traduit même souvent par un court-circuitage des conseils (la mairie prétend consulter les conseils sur une question et entreprend des travaux sans même attendre que remontent leurs avis), atteste du manque de confiance accordée à la démocratie participative, ce qui explique d’éventuelles démotivations.
Notes :
Personnes rencontrées et interrogées :
-
Sonia Topalovic, agent de la mairie du Xe en charge de la coordination des divers conseil de quartiers au sein de l’arrondissement ;
-
René Périer, urbaniste, membre de l’équipe d’animation du conseil de quartier Château d’eau ;
-
Evelyne Douaud, assistante sociale, membre de l’équipe d’animation du conseil de quartier Hôpital Saint Louis.
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