note de lecture
Mondialisation : naissance d’un nouvel ordre mondial
Un jeu de société sous forme de puzzle
Date de la note : 22 juin 2005
Par Lionel Choo
Pierre Calame a rédigé ces trois articles un peu avant et un peu après le 11 septembre 2001. Ce repère chronologique est important car il marque un tournant dans la gestion de crise face aux événements auxquels se trouve confrontée la communauté internationale : face à l’unilatéralisme prôné par les Etats-Unis, il devient urgent d’opposer le multilatéralisme, seule approche possible pour anticiper et mieux intégrer les mutations profondes qui affectent notre société.
L’auteur part d’un constat : le mode de développement actuel n’est plus viable
Les XIXème et XXème siècles furent marqués par l’industrialisation des sociétés et un développement technologique accéléré. Guidé par la main invisible du marché dans la recherche du bien-être, ce développement ne s’est pas fait sans conséquences : perturbation de l’écologie planétaire, fractures sociales, restructurations voire disparitions de firmes, nouvelles formes de pauvreté. Chacun peut compléter la liste des externalités négatives du mode de vie dont nous jouissons aujourd’hui. Force est de constater que les impacts du déséquilibre entre l’activité humaine et la capacité d’assimilation et de régénération de la biosphère se font désormais sentir. Pour la première fois, dans l’histoire de l’humanité, il est question de la survie des générations futures, qui n’est plus garantie avec le mode de développement actuel.
La montée en puissance de la société civile et la ligne de fracture entre deux conceptions.
Du fait d’un vide régulatoire devenu apparent avec la fin du « fordisme » et le début de la globalisation économique et financière, les tenants de la libéralisation des échanges marchands ont fait croire qu’il s’agissait là d’une loi naturelle et inaliénable. Mais des acteurs collectifs se sont regroupés en réseaux et ont créé une société civile sous forme d’organisation non gouvernementales (ONG) pour dénoncer et s’opposer à ce modèle économique globalisé. Cette confrontation va provoquer une fracture sociétale entre les partisans d’une doctrine libérale et ceux qui revendiquent une mondialisation plus humaniste. Marginalisés par les premiers comme des anti-progressistes, les seconds vont souffrir de l’amalgame, alimenté par les médias, qui est fait entre mondialisation et globalisation : en rejetant la globalisation, ils risquent d’être perçus comme des personnes aux idées nationalistes.
Emergence d’une gouvernance mondiale : un puzzle « en aveugle »
Au-delà de l’appel à la coalition anti-globalisation et de la ligne de facture entre deux conceptions de la mondialisation, nous entrevoyons les fondations d’un système de régulation hybride multi-polaire, épousant les formes d’un nouvel ordre mondial, porté par des acteurs multiples et divers, la société civile et articulant à la fois le local et le global, les intérêts privés et l’intérêt général et capable d’assurer la paix et la justice. On pourrait assimiler cette Alliance nouvelle qui se constitue à un puzzle dont l’auteur nous aurait au préalable identifié les quatre pièces angulaires et dont on ne connaîtrait pas l’image définitive ; un puzzle « en aveugle » en quelque sorte :
En haut à gauche figure la démocratie dont la représentativité ne suffit plus. Il faut combler le fossé qui s’est crée entre la légalité et la légitimité. Pour cela, les contre pouvoirs ont un rôle essentiel car ils rappellent aux Etats-nation la nécessité du bien commun. Mais la démocratie doit faire preuve de transparence face au virus de la corruption qui agit comme un véritable prédateur.
En haut à droite, la pièce culturelle dont la diversité constitue à elle seule, un bien public mondial. Elle est la base du principe même de civilisation dont elle porte l’essence d’une communauté mondiale de destin.
En bas à gauche on a placé l’économie et les systèmes de production dont la globalisation reflète une attitude oligopolique basée sur une croyance des pays riches selon laquelle le progrès et le développement matériel sont la garantie du développement humain et qu’ils sont assurés par la libéralisation des échanges marchands. Ce modèle, source de progrès et de développement technologique pour une partie minoritaire de la population mondiale est appliqué à l’échelle mondiale créant des disparités et des déséquilibres énormes. Il faut changer ce modèle et proposer une alternative économique qui rende plus équitable la distribution des richesses et où la consommation marchande ne soit plus l’outil de mesure du progrès social.
Enfin en bas à droite se trouve la quatrième pièce, représentant le cadre moral et éthique de notre puzzle : composé d’un ensemble de valeurs éthiques, spirituelles, religieuses, philosophiques il nous permet de remettre à jour nos systèmes de représentations devenus obsolètes. Il est question ici de redonner du sens à des valeurs que l’on avait oubliées et que les mutations auxquelles nous assistons, nous avaient détournées : il s’agit de responsabilité, pluralisme, solidarité et humanisme.
Le plus dur reste à faire
Maintenant que l’on a fixé les contours de notre puzzle, il ne nous reste plus qu’à passer à l’étape suivante : finir le puzzle. Cette étape est à construire avec tous les joueurs de notre jeu de société. Tout le monde doit y participer et apporter sa pierre à l’édifice car de la diversité des cultures dépend la réussite de notre projet sociétal. Mais c’est l’étape la plus difficile car toutes les pièces se ressemblent et aucune substitution n’est possible ; la plus longue aussi car on est obligé de procéder par petite touche et tâtonnement : il faut deviner à partir des quatre pierres angulaires la forme du visage que prendra cette future gouvernance mondiale. Celle qui va articuler les quatre formes d’actions que l’on vient de dresser pour proposer au final une autre mondialisation que celles des marchés. Quels traits ce visage aura-t-il ? Seul l’avenir nous le dira. En espérant que ce visage sera plus humanisé que celui offert par les guerres et conflits consécutifs au 11 septembre.
"Mondialisation : un devoir d'ambition pour la société civile", note de travail, Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme, 18 avril 2000
"Humaniser la mondialisation : la ligne de fracture entre deux conceptions", note de réflexion, Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme, 17 juin 2000
"D'une coalition anti-globalisation à une alliance pour une autre mondialisation", note de travail, Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme, 5 février 2002
Pierre Calame, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, est Directeur Général de la Fondation Charles Leopold Mayer pour le Progrès de l’Homme depuis une vingtaine d’années.