- organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales
note de lecture
Les ONG comme « groupes d’influence » auprès de la Commission Européenne : structures, objectifs, cibles et contraintes
Bilan et perspectives des moyens d’influence politique des ONG de développement envers la Commission Européenne
Auteur : Agnès Philippart
Date de la note : septembre 2005
Par Hélène Nieul
Ce mémoire présente les différentes stratégies d’influence possibles des Organisations Non Gouvernementales (ONG) auprès de la Commission Européenne (CE), en déclinant leurs structures, leurs objectifs, leurs cibles et leurs contraintes.
Catégorisation des ONG
Plusieurs criètres peuvent permettre de "catégoriser", ou de classer les ONG. L’auteur de ce mémoire s’appuie notamment sur une catégorisation « temporelle » , suivant les générations d’ONG successives. Par ailleurs une classification des organisations suivant leur « principe fondateur » associe différents critères en termes d’éthique et de financement. L’auteur souligne également l’importance du mode de financement des ONG sur leur indépendance et leur capacité d’influence. Cependant cette grille mériterait probablement une définition plus fine des critères utilisés.
Enfin une autre grille propose une catégorisation des ONG selon leur structure, qui, même succincte, donne quelques premiers indices sur les relations entre les stratégies d’influence des ONG et leur gouvernance interne, ici presque entendue comme « corporate governance » . Cette dernière grille présente ainsi trois grandes catégories d’ONG selon leur structure :
les « fédérations, réseaux et collectifs d’ONG » , définis comme « regroupements idéologiques ou thématiques de plusieurs ONG au niveau transnational » . Ils se caractérisent par un bureau à l’équipe réduite, et une structure souple avant tout tournée vers des fonctions de diffusion de l’information auprès de leurs membres et du public, et de fédération du « point de vue de leurs membres » pour « le faire valoir auprès des décideurs » .
Les « familles » , de grande taille, regroupant des structures qui partagent souvent un nom (voire un label), des objectifs et des missions. « Elles sont très structurées, ont souvent adopté des techniques de gestion "managériales" et sont très professionnelles dans leurs actions de développement » . Cette catégorie, d’un point de vue plus dynamique, semble s’inscrire clairement dans le mouvement d’internationalisation qui s’est opéré parmi les ONG anglo-saxonnes et françaises, même si le mémoire n’en fait pas mention.
les « petites et moyennes ONG » , qui ont des relations occasionnelles avec la CE mais ne disposent pas de moyens suffisants pour entretenir avec elle des relations permanentes, notamment du fait de ressources humaines insuffisantes.
L’analyse des liens d’interdépendance entre ces différentes catégories fait valoir la force de frappe des réseaux et leur caractère quasi incontournable en tant que partenaire, dans l’élaboration et la mise en oeuvre de stratégies d’influence auprès de la CE par les deux autres catégories.
Ces différentes catégorisations permettent, de panière plus générale, de définir les ONG comme « groupes d’influence » auprès de la CE, en s’appuyant sur une définition de P. Lazarsfeld de l’influence, où « l’influenceur est du même statut que l’influencé et tire son influence d’un certain degré de compétence dans un domaine déterminé auquel se rapporte sa sphère d’influence » 1 . Il semble, d’après l’auteur, que cette définition permette en partie de caractériser les rapports entre ONG et CE : « même sphère d’influence, même type de connaissance. De ce partage naît une influence mutuelle à travers leurs interactions (échanges d information, débats, financements, ...).
Objectifs, ressources, cibles et contraintes des acteurs
"Selon Crozier et Friedberg, chaque acteur développe une stratégie propre dont la rationalité ne se comprend que dans un cadre de gains et de pertes par rapport à ses contraintes, ses moyens et ses buts.
L’auteur procède donc à l’identification des objectifs, ressources et contraintes des ONG de Développement (ONGD) et de la Commission Européenne."
Objectifs, ressources et cibles des ONG de Développement (ONGD)
On peut distinguer trois types d’objectifs que les ONG s’assignent dans le cadre de leurs relations avec la Commission Européenne :
les objectifs généraux, du type « rôle d’alerte » , « suivi d’application des décisions » , « sensibilisation du public » .
les objectifs techniques, qui comprennent notamment l’établissement de différents degrés de relations avec la Commission, de la simple visibilité au rapport privilégié en tant que partenaire ou expert.
les objectifs politiques, qui touchent au cœur des problématiques du développement, mais aussi à l’amélioration des cadres de dialogue entre ONGD et Commission Européenne (l’action « sur » le système est donc partie intégrante de la stratégie et de la rationalité de l’acteur « ONG » ).
Concernant les ressources des ONG (hors ressources financières, considérées ici comme une contrainte), l’auteur précise qu’elles sont utilisées à travers « quatre types d’outils politiques : communicationnel, relationnel, expertise et procédural » . Cette classification des outils semble d’autant plus pertinente qu’il s’agit ensuite d’évaluer l’usage fait de ces ressources dans la relation des ONG avec d’autres types d’acteurs.
Les cibles d’influence des ONG varient selon les canaux d’interaction qui prévalent dans leurs rapports avec la Commission. Au delà d’une distinction entre un canal financier et un canal d’information, il existe plusieurs degré d’institutionnalisation de ces relations. Par ailleurs, la réactivité de la Commission varie selon l’enjeu traité. Il semblerait notamment que la Commission soit plus réceptive aux enjeux directement liés à la politique communautaire qu’aux enjeux mondiaux sur lesquels elle n’a pas une pleine maîtrise. D’autre part, chaque Direction Générale développe ses propres modes de dialogue, sa propre « culture d’entreprise » , à laquelle se conjugue également la « culture nationale des fonctionnaires en ce qui concerne les rapports avec la société civile. » 2
En termes de cibles, les ONG ont tendance à cibler le niveau micro ou macro selon la nature de leurs objectifs. « Elles s’intéressent aux niveaux décisionnels par ordre de remontée des propositions législatives » .
L’auteur souligne ici l’existence d’un niveau, « que nous appellerons « para-niveau » en ce qu’il s’agit d’un niveau qui ne porte pas directement sur la politique de développement, mais sur un construit de réflexions aidant à parvenir à l’élaboration d’une politique participative de coopération au développement. Concrètement ce meta-niveau est constitué d’unités et d’administrateurs chargés d’entretenir des liens et de prendre l’avis d’acteurs extérieurs à la Commission (société civile, autres institutions communautaires ou extra-communautaires) afin d’aider les niveaux décisionnels macro, meso et micro de la Commission dans leurs réflexion sur la politique de développement. » 3 L’existence de ce « para-niveau » , et surtout le fait qu’il figure en tant que cible d’influence des ONG sur la Commission, souligne à nouveau l’existence d’un canal d’action de l’acteur ONG sur le système de dialogue qui le lie à la Commission.
Les contraintes des ONG de Développement
L’usage que les ONG peuvent faire de leurs ressources pour atteindre leurs objectifs dépend de la latitude d’action dont elles disposent dans leurs relations avec la Commission. L’analyse du « cadre contraignant » permet donc de mieux évaluer cette latitude, ou marge de manœuvre. Ainsi, les évolutions historiques des relations ONG/Commission, ainsi qu’un large corpus de règles formelles et informelles régissant ces relations sont étudiés.
D’un point de vue historique, il est flagrant que les capacités d’influence des ONG sont partiellement déterminées par la structuration des « cibles » d’influence, en l’occurrence de la Commission. Ainsi l’arrivée de Romano Prodi à la Présidence de la Commission en 1999 a marqué un tournant, d’une part dans la politique de développement de la Commission, mais aussi dans les relations que celles-ci entretient avec les ONG, en définissant strictement le cadre de participation de la société civile à cette politique. Cette contrainte spécifique mériterait cependant d’être actualisée, la Commission ayant subi de nouvelles transformations structurelles depuis la rédaction de ce mémoire, notamment du fait de l’élargissement de l’Europe.
Entre autres facteurs ayant eu un impact contraignant sur la latitude d’action des ONG, on peut également citer l’évolution des « co-financement ONG » délivrés par la Commission. Les procédures permettant d’obtenir ces financements se sont fortement complexifiées. Sur ce dernier point, les conséquences semblent avoir été plus structurelles au sein des ONG. En effet, la maîtrise des procédures de co-financement a modifié l’équilibre des compétences au sein des ONG, et leur mode de recrutement, privilégiant davantage les compétences d’ordre technique et opérationnel : « Le nombre d’idéologues diminue au profit d’administrateurs axés sur l’opérationnel. La capacité de contestation et de participation politique aux décisions des ONG diminue » . Par ailleurs, le cœur de métier des ONG s’est quelque peu modifié, sous l’effet d’interdépendances à l’échelle mondiale de plus en plus palpables : la prise de conscience par les ONG qu’il leur fallait s’ouvrir à d’autres types d’acteurs a notamment fait écho à la création par la Commission d’une ligne de cofinancement (B7-6000) destinée à financer les projets de sensibilisation des citoyens du « Nord » aux problématiques du développement.
En termes de règles formelles, on peut citer entre autres le règlement intérieur propre à chaque ONG, la Charte des ONG de Développement européennes, les procédures fixées par la Commission, notamment en matière de financement, ou encore le code de conduite s’appliquant aux groupes d’intérêt auprès de la Commission.
De manière moins formelle, la Commission a adopté en 2002 deux communications visant à structurer davantage son mode de dialogue avec les ONG, jusque là laissé au libre arbitre de chaque Direction. Ces documents, s’ils n’ont pas de caractère juridiquement contraignant, constituent cependant une base de dialogue, un cadre qui peut constituer un atout comme une contrainte, tant pour les ONG que pour la Commission elle-même.
Enfin, un ensemble de contraintes informelles pèse spécifiquement sur les relations entre les ONG et la Commission. Certaines contraintes sont liées à la Commission, comme par exemple le manque de disponibilité de ses fonctionnaires, la rotation de son personnel, ou encore de manque latent de structuration et d’homogénéité dans le dialogue avec les ONG d’une direction à l’autre (en dépit des communications précédemment citées). D’autres contraintes sont davantage liées à la nature même des ONG, notamment les contraintes de financement : l’incertitude des financements, les conditionnalités et les délais qu’ils impliquent. Il existe également des contraintes liées à l’activité même de lobbying, qui implique à la fois des coûts (ne serait-ce qu’un bureau à Bruxelles ou des frais de voyage), un accès suffisant à l’information, et des compétences particulières (notamment pour la maîtrise des procédures et des jeux politiques au sein de la Commission). Enfin, un dernier type de contraintes concerne les relations entre ONG : hétérogénéité des cœurs de métiers et des discours, mais aussi parfois concurrence financière. L’auteur souligne toutefois les efforts de dialogue et de concertation entre les ONG présentes à Bruxelles. L’essentiel des difficultés qu’elles rencontrent pour coordonner leurs démarches d’influence concernent notamment : les thèmes abordés, l’élaboration de propositions politiques communes, le temps de réaction et de coordination, la mobilisation de moyens humains et financiers, l’organisation opérationnelle du lobbying, et la rigueur du feedback sur les avancées ou blocages rencontrés.
L’auteur souligne à juste titre l’importance stratégique du choix, au sein de chaque ONG ou de chaque réseau, du représentant auprès de la Commission. Il s’agit là d’un enjeu de gouvernance interne des ONG, évoqué dans ce mémoire et qui mériterait davantage d’attention. Non seulement, en tant que personne, le représentant doit disposer du capital social et des compétences nécessaires pour remplir sa mission, mais par sa fonction même, il occupe une position intermédiaire entre les attentes de ses mandants, à savoir les membres de l’organisation ou du réseau qu’il représente, et la Commission. A ce titre, la citation de Michel Crozier ouvre un champ de réflexion sur les implications du choix du représentant en matière de gouvernance interne des ONG : « en tant que représentant, le relais est structurellement un « traître » . ... il ne peut remplir son rôle qu’en s’autonomisant au moins partiellement par rapport aux « intérêts légitimes » de ses mandants, voire en en sacrifiant une partie. » 4
Au-delà de la représentativité « des » ONG se pose donc ici la question de la représentativité " au sein " des ONG et réseaux de la société civile engagés dans une démarche d’influence, à la croisée de priorités et d’intérêts différents selon les acteurs qui se côtoient au sein de ces organisations.
Notes :
1 PHILIPPART Agnès, Bilan et perspectives des moyens d’influence politique des ONG de développement envers la Commission Européenne ; Bruxelles, Institut EIPA, 2002, p. 10
4 CROZIER Michel et FRIEDBERG Erhard, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Ed. du Seuil, 1977, p. 142.
Bilan et perspectives des moyens d'influence politique des ONG de développement envers la Commission Européenne.
Mémoire de Sciences Politiques présenté par Agnès Philippart, Bruxelles, octobre 2002
Promoteur : M. Alain Guggenbühl, Institut EIPA
Agnès Philippart est Policy and Communication Officer à CONCORD.