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Les groupes d’intérêt : enjeux d’organisation, de représentation et d’influence.

Michel Offerlé : Sociologie des groupes d’intérêt.

Auteur : Michel Offerlé

Date de la note : 4 novembre 2005

Par Hélène NIEUL

« Tout intérêt, matériel ou symbolique, personnel ou collectif, intéressé ou désintéressé [...] est susceptible d’être servi, c’est à dire d’être socialement mis en forme et mobilisé. A condition d’être représentable et ...d’être représenté. »

Les groupes d’intérêt constituent une catégorie aux contours flous dans les représentations communes : « lobbying » , « groupes de pression » sont autant de notions qui y sont fréquemment associées de façon intuitive et qui témoignent d’un a priori souvent négatif vis à vis de ces organisations. Dans cet ouvrage, Michel Offerlé défend l’idée d’une sociologie des groupes d’intérêt et s’attache à montrer ces organisations comme objets sociaux complexes. Face aux difficultés de définition des groupes d’intérêt, l’auteur adopte une approche dynamique en se penchant sur les articulations sociales existant entre un « groupe » et un « intérêt » . Il propose également d’étudier ces organisations « de l’intérieur » pour en saisir les multiples dimensions. Enfin, comme nous le verrons, cet ouvrage permet d’ouvrir une réflexion plus large sur l’influence des groupes d’intérêt et leurs rapports avec le pouvoir politique.

Comment définir les groupes d’intérêt ? Plusieurs pistes méthodologiques.

Ce que les groupes d’intérêt ne sont pas.

M. Offerlé suggère une première définition « négative » de ce que ne sont pas les groupes d’intérêt, qui peut permettre d’éclairer leur nature : ils « ne sont pas » des partis politiques. Cette semi-évidence permet cependant de mieux appréhender ces groupes à travers leur rapport au pouvoir politique. En effet, un parti est par nature une organisation positionnée dans un système de partis, défendant une certaine vision de la « vie de la cité » , et qui tend à participer au pouvoir politique et à exercer ce pouvoir par le jeu des élections et des alliances. Dire cela, c’est aussi dire qu’un groupe d’intérêt, n’étant pas un parti, n’appartient pas au pouvoir politique, ne cherche pas à exercer ce pouvoir, et ne défend pas une vision globale mais les intérêts spécifiques qu’il représente. Pour citer M. Offerlé, les groupes d’intérêt exercent « une influence sur le pouvoir politique » , mais « n’appartiennent pas au pouvoir politique » .

Ce que les groupes d’intérêt ne sont pas « seulement » .

Une fois cette distinction opérée, M. Offerlé propose une première définition « positive » des groupes d’intérêt, en les abordant par leur activité :

« Groupes dont l’objet premier est de faire pression sur les détenteurs des positions de pouvoir bureaucratico-politique en accédant à la position d’acteur pertinent reconnu, ou à tout le moins existant, dans la définition des politiques publiques en général ou de certaines politiques sectorielles » .

Cependant, M. Offerlé souligne lui-même les limites inhérentes à cette définition, limites auxquelles l’ouvrage tente de remédier par la combinaison de différentes approches. En effet cette définition semble relativement réductrice, en excluant d’emblée tout ce qui n’est pas structuré comme « groupe » et qui n’a pas comme « objet premier » de défendre des intérêts. Ainsi, M. Offerlé souligne notamment que cette définition exclut les ONG « ne recourant que de manière intermittente ou marginale à l’intervention dans les espaces de construction des politiques publiques » .

La façon dont les groupes d’intérêt peuvent être perçus.

L’auteur souligne que la notion de « groupe d’intérêt » a généralement mauvaise presse, particulièrement en France où elle renvoie, dans l’acception commune, à des groupes de pression illégitimes, à une sorte de zone d’ombre dans les processus de décisions politiques où le groupe le plus fort parvient à faire prévaloir ses intérêts au détriment de l’intérêt général. Cette vision renvoie cependant à une « pratique » très particulière des groupes d’intérêt qu’est le lobbying aux Etats-Unis, pratique quasi-institutionnalisée qui doit être resituée dans le système politique et institutionnel spécifique des Etats Unis. On notera également que de manière plus générale, la sociologie en France s’intéresse très peu aux groupes d’intérêt.

La façon dont les groupes d’intérêts sont « classés » .

Les tentatives de classification, de construction de « typologies » , sont un réflexe fréquent de la sociologie avec lequel l’auteur prend ses distances. En effet, classer les groupes d’intérêt semble assez vain, étant donnée l’infinité des approches et des critères envisageables. Parmi les distinctions les plus souvent retenues entre groupes d’intérêt, on peut notamment retenir la distinction entre groupe d’intérêt et « groupe de cause » (sur laquelle nous reviendrons plus loin), et celle entre groupe d’intérêt personnel et groupe d’intérêt collectif. Une proposition relevée par M. Offerlé a cependant retenu notre attention plus que les autres : celle de Rémi Lenoir, qui opère une distinction entre « groupes de pression » et « groupes consensuels » . Il propose ainsi une « sociologie des groupes en soulignant le travail continu qui est au principe de la construction de la reconnaissance comme cause d’un intérêt. » Cette approche dynamique se trouve par ailleurs au cœur du travail de Michel Offerlé qui n’aborde pas les groupes d’intérêt comme entités statiques mais bien comme objets sociologiques en construction permanente.

Analyse dynamique des groupes d’intérêt.

Face à ces difficultés pour définir ce qu’est ou n’est pas un groupe d’intérêt, M. Offerlé articule son analyse autour du lien entre groupe et intérêt. Il tente ainsi de dépasser les diverses représentations communes de la notion de « groupe d’intérêt » pour se pencher sociologiquement sur cet objet, en partant d’un constat à la fois simple et solide :

« Tout intérêt, matériel ou symbolique, personnel ou collectif, intéressé ou désintéressé [...] est susceptible d’être servi, c’est à dire d’être socialement mis en forme et mobilisé. A condition d’être représentable et ...d’être représenté. »

L’auteur se penche ainsi sur deux éléments dynamiques fondamentaux : la dynamique menant de l’intérêt au groupe, et celle menant du groupe à l’intérêt. Notons, comme nous y invite M. Offerlé, que cette analyse se situe dans la lignée directe des analyses de Bourdieu et de Boltanski.

Le rôle essentiel de l’Etat dans la structuration des intérêts.

Afin d’échapper à un simplisme binaire, entre « le groupe qui fait l’intérêt » et « l’intérêt qui fait le groupe » , M. Offerlé souligne que le rôle de l’Etat dans la structuration des intérêts est essentiel. En effet, l’insertion institutionnelle des intérêts, mais aussi leur genèse sociologique et historique sont inséparables de l’Etat comme centre de décision et comme construit social et historique. Pour citer l’auteur, « loin d’être le ventre mou, le réceptionniste sur lequel viennent s’abattre la multitude des intérêts nés de la vie sociale, ce que l’on appelle d’Etat est au cœur du processus d’émergence des intérêts. » [...] « Bref travailler sur les groupes d’intérêts c’est tout à la fois montrer _ pour aller très vite_ ce que les groupes font de l’Etat et comment l’Etat fait les groupes » .

Par ailleurs, on pourra se demander, même si l’auteur n’aborde pas cette question, quelles implications cette dimension pourrait avoir sur la place des groupes d’intérêt dans la gouvernance mondiale, et s’interroger sur l’impact de l’architecture institutionnelle internationale sur la structuration et la représentation des intérêts à l’échelle globale.

De la définition d’un intérêt à la construction d’un groupe.

Mise en garde méthodologique.

L’auteur met en garde contre les tentations du sociologue de construire de manière rétrospective et artificielle des « groupes » sous prétexte que des individus ont potentiellement un intérêt commun. Du « groupe latent » à la constitution d’un groupe, il y a tout un ensemble de trajectoires possibles qui répondent aux logiques de l’action collective. A l’inverse, l’auteur met également en garde contre la tentation d’imaginer un intérêt commun à des individus « parce qu’ » ils appartiennent à un même groupe. Ces relations entre groupes et intérêts sont loin d’être systématiques. En revanche, il semble particulièrement intéressant de se pencher sur la construction, voire même tout simplement la « désignation » de ces intérêts, ne serait-ce qu’en partant de la façon dont ils sont « nommés » , tant de manière endogène, au sein du groupe, que par « l’extérieur » . Cette approche permet ainsi de constater qu’un « intérêt » n’est pas une donnée figée, mais un construit dont la définition évolue au sein d’un contexte qui change.

Les logiques de l’action collective : du free rider à l’entrepreneur social.

Pour mieux comprendre ce qui permet de passer de l’intérêt commun identifié à la constitution d’un groupe, M. Offerlé propose un détour par l’analyse de l’action collective d’Olson. Olson a notamment mis en avant le phénomène de free rider, propre à l’individu rationnel. Dans l’absolu, le comportement du « passager clandestin » va à l’encontre de toute action collective, et donc de toute constitution de groupe comme mode d’organisation. Pour éviter ce phénomène, nous dit Olson, il faut « des incitations individuelles à agir collectivement » . Cependant, comme le souligne M. Offerlé, la théorie du passager clandestin, très marquée par l’analyse économique, réduit l’individu à un agent rationnel. Or, l’individu est également lié dans un ensemble de contraintes, de représentations, d’idées « du probable et de l’improbable »  : outre l’agent rationnel, l’individu est aussi un être social, et cette dimension doit demeurer présente dans l’analyse de l’action collective. Aussi M. Offerlé suggère-t-il d’associer à l’analyse d’Olson la notion « d’entrepreneur prédisposé à payer le coût du travail d’organisation et de l’accumulation initiale de capital sociatif » . Dans la lignée de Bourdieu, Gaxie, Moe et Salisbury, il réintroduit ici la notion d’initiative, « d’entreprise » menant à la constitution d’un groupe à partir d’un intérêt partagé et désigné de manière commune.

Du groupe représenté au groupe d’intérêt.

En reprenant la distinction d’Hirschman entre « exit, voice and loyalty » , M. Offerlé envisage le groupe d’intérêt comme « une technologie » parmi d’autres permettant la prise de parole (voice). Le choix de cette technologie résulte des logiques de l’action collective, conjuguées à un « enchevêtrement d’initiatives, d’entreprises qui donnent du lien à la formation du groupe d’intérêt et du groupe représenté » . Cette distinction entre « groupe d’intérêt » et « groupe représenté » n’est pas anodine : les « entrepreneurs » du groupe d’intérêt peuvent être extérieurs au groupe représenté, comme en témoigne notamment la professionnalisation des « lobbyistes » . Il s’agit notamment d’un reproche fréquemment adressé à l’encontre des ONG, et sur lequel nous reviendrons plus loin. Cependant d’autres groupes (ex : les retraités, les associations de défense des victimes etc...) trouvent en leur sein des « agents intéressés et disposés à la représentation » . La distinction entre « groupe d’intérêt » et « groupe représenté » n’est donc pas toujours pertinente, mais il est important de la garder à l’esprit dans l’étude de ces organisations.

Du groupe constitué à l’intérêt représenté.

Au-delà des logiques qui mènent d’un intérêt partagé à la constitution d’un groupe, le groupe une fois constitué rétro-agit sur l’intérêt représenté. M. Offerlé se penche ainsi sur « la manière dont les porte-parole désignés et reconnus du groupe « travaillent » cet intérêt, l’organisent, le gèrent, prétendent en assurer l’expression monopolisée ou concurrentielle. » L’auteur distingue ici quatre activités principales qui caractérisent cette action du groupe d’intérêt sur l’intérêt et le groupe représentés : un travail de « délimitation » , de « légitimation » , de « construction d’une représentativité » , et de « représentation » .

Un travail de « délimitation »

Le porte-parole, par son discours, opère une définition de l’intérêt et du groupe. Il les identifie, car il s’agit pour lui de « savoir qui on représente, de l’incarner » , tant vis à vis du groupe représenté que vis à vis de l’extérieur. Ce travail d’intégration/exclusion est une étape cruciale et sans cesse renouvelée de la structuration de l’intérêt, et par jeu de miroir, du groupe représenté, de « la base » . A travers le discours du porte-parole, c’est une certaine représentation de l’intérêt qui émerge et se répercute sur l’identité du groupe. Ce n’est pas seulement le groupe qui fait le représentant ni non plus le représentant qui fait le groupe. C’est le groupe représenté qui tolère, accepte ou consent à la représentation que le représentant donne de lui et qu’il apprend à intérioriser » .

Un travail de « légitimation »

M. Offerlé souligne ici que l’intérêt et le groupe d’intérêt se légitiment l’un l’autre, et ce plus particulièrement dans la mise en action du groupe. Il rappelle ainsi que « toute manifestation [...] est d’abord une manière d’appeler à l’existence un mouvement social ou de rappeler l’existence d’un groupe d’intérêt gestionnaire de l’intérêt d’un groupe qui est toujours peu ou prou une cause » . Deux éléments caractérisent donc cette légitimation : d’une part, l’auteur suggère que l’activité du groupe d’intérêt légitime à la fois le groupe et l’intérêt ; par ailleurs, la « montée en généralité » , le passage d’un intérêt à une cause et la revendication d’une « base » la plus large possible sont d’importants vecteurs de légitimation mobilisés par les groupes d’intérêt.

Un travail de « construction de la représentativité »

Les groupes d’intérêt, en tant qu’organisations, s’insèrent dans un réseau de relations, tant avec d’autres organisations privées qu’avec la puissance publique. Ces relations, plus ou moins institutionnalisées, sont le gage d’une reconnaissance de leur représentativité. Cependant M. Offerlé souligne le décalage fréquent existant entre la représentativité légale et la représentativité sociale de ces groupes. Ainsi, par exemple, l’institutionnalisation d’un dialogue entre un ministère et des groupes d’intérêt sectoriels entérine la représentativité légale de ces groupes sans pour autant qu’ils ne bénéficient d’une représentativité sociale unanimement reconnue. La difficulté réside ici dans la détermination des critères qui permettent d’évaluer cette représentativité (cette demande de critères se manifeste de plus en plus à travers la multiplication des agences de notation, des « cotes de confiance » etc.). Au niveau international, cette question pourrait notamment rejoindre celle l’accréditation des ONG par l’Assemblée Générale des Nations Unies : la représentativité légale de ces organisations par la « puissance publique » ne dit rien de leur représentativité sociale, comme le soulignent leurs détracteurs.

Un travail de « représentation »

« Représenter, c’est exprimer (à tous les sens du terme), c’est aussi traduire, faire silence, déposséder, signifier une absence et agir une présence » . Les porte-parole que sont les groupes d’intérêt, par définition, « parlent pour » le groupe de référence, le groupe représenté, disent « ce qu’ils veulent » , « ce qu’ils pensent » . Ici l’auteur introduit une distinction plus fine entre intérêt et cause, qui si elle n’est pas centrale dans son propos, permet un regard plus nuancé sur la question de la représentativité : « Sauf à admettre dans certains cas qu’ils produisent plus qu’ils ne portent le « message » , lorsqu’il faut amener à la scène de la représentation les sans-voix ou lorsque la valeur défendue ne pré-existe pas à son expression ordonnée, ce qui pourrait fournir la base d’une distinction spontanée entre les intérêts et les causes. » L’intérêt de cette distinction est particulièrement frappant s’agissant de la représentativité des ONG, telle qu’évoquée plus haut. Par ailleurs, représenter, c’est aussi mettre en discours, et au-delà, « mettre en revendication » , à travers un processus de traduction des attentes. L’auteur souligne ici que la représentation peut être en elle-même un espace de concurrence entre différentes organisations. Il souligne donc que pour l’analyse d’une organisation de représentation d’intérêt, il faut « construire le champ dans lequel l’organisation « agit » mais construire aussi le champ propre de l’organisation » , sont insertion dans un réseau d’acteurs (partenaires et concurrents).

Organisations, répertoires d’action et rapports avec le politique.

Sans entrer dans des séries d’exemples fastidieuses, M. Offerlé tente de pénétrer au cœur des groupes d’intérêt, « à l’intérieur » de ces organisations, et de répondre peu ou prou à trois questions qui pourraient être formulées ainsi : qui agit dans les groupes d’intérêts ? selon quels répertoires d’action ? A l’attention de qui ?

« Déconstruire » les groupes d’intérêt en tant qu’organisations.

En tant qu’approche sociologique, l’analyse de Michel Offerlé se refuse à considérer qu’une organisation peut être personnalisée et identifiée comme un acteur unique. Au contraire, il cherche à dégager au sein des organisations de représentation d’intérêt les lignes de tension, les éléments de diversité, les espaces d’équilibres qui font qu’une organisation est créée selon tel ou tel mode et évolue dans tel ou tel sens. De l’état du droit dans un Etat et à une date donnée, à l’investissement personnel des « entrepreneurs sociaux » , en passant par l’enracinement de l’intérêt défendu dans une société, les facteurs qui déterminent le mode d’organisation sont multiples. Mais au-delà d’une forme de structuration, une organisation est également un tissu relationnel particulier, avec un personnel qui peut s’investir sur des modes très diversifiés, avec des intérêts multiples, des formes de militantismes et de capital social variées, une division du travail particulière etc...En revenant sur les différents degrés d’investissement des individus au sein de ces organisations, l’auteur met en garde contre des analyses simplistes et univoques par une image très parlante : « Peut-on opposer Olson à l’Abbé Pierre ?  » . Selon lui, une voie intermédiaire est possible dans l’analyse sociologique de ces organisations, « entre l’économicisme et l’impossibilité sociologique » .

Les répertoires d’action collective mobilisés par les groupes d’intérêt.

En se penchant sur les répertoires d’action (au sens où Charles Tilly entend ce terme) mobilisés par les groupes d’intérêt, l’auteur distingue trois axes principaux autour desquels les actions de ces organisations s’articulent généralement : « le nombre, la science, la vertu » . L’action par un recours au nombre peut prendre des formes très diverses et plus ou moins directes, du simple sondage d’opinion à la manifestation. La mobilisation par le recours à la science fait référence à l’expertise, et peut se matérialiser par exemple par la réunion de colloques etc...Enfin, ce que l’auteur appelle « vertu » renvoie à des stratégies de « scandalisation » , d’appels aux valeurs « morales » , ou « éthiques » . Mais au-delà de ces modes d’action, l’auteur se penche sur le caractère « public » de ces actions et sur la finalité des groupes d’intérêt qui est « d’agir à leur profit sur les politiques publiques de l’Etat et de faire réagir sectoriellement l’appareil d’Etat » . L’auteur souligne ici que la « politisation » , la dimension politique des objectifs et des actions, sont très souvent mal assumées par ces organisations ou par une partie de leur personnel et de leurs militants. Comme le souligne l’auteur, ces termes « ont pris dans le vocabulaire indigène de la représentation des connotations qui laissent sous-entendre qu’il existerait une ligne magique [...] entre le politique, le syndical, l’humanitaire, l’associatif, le technique... » . L’existence de cette « ligne » , parfois même au sein d’une même organisation, est assez symptomatique de la façon dont une organisation se représente, et de la façon dont le groupe représenté se projète au sein d’une organisation. Cette question rejoint en partie celle du travail de représentation et de délimitation du porte-parole évoquée plus haut.

La relation des groupes d’intérêt avec le politique

Enfin, Michel Offerlé nous invite à un questionnement sur l’influence des groupes d’intérêts « sur une décision ou une politique publique » en soulignant combien elle est difficile à évaluer, et combien cette évaluation constitue en elle-même un « enjeu (de connaissance et de reconnaissance). » Comme dans toute relation d’influence, trois dimensions peuvent être prises en compte dans l’analyse des relations entre groupes d’intérêt et institutions politiques : la structuration des groupes, celle de leurs interlocuteurs, et celle du cadre de dialogue qui les réunit. Au-delà de cette approche, l’auteur propose un détour par le néo-corporatisme pour mieux comprendre ce qui se joue dans ces relations entre groupes d’intérêt et pouvoir politique. Le néo-corporatisme, en mettant l’accent sur « la reconnaissance croisée des élites politiques administratives et représentatives d’intérêts » considère que les groupes d’intérêt opèrent une pression « en interne » , leur institutionnalisation les intègre dans un système de dialogue avec et dans l’Etat, car il n’existe pas de séparation absolue et nette entre la société civile et l’Etat. En revanche, aux Etats-Unis, cette vision est battue en brèche, les lobbies sont davantage perçus comme des formes de pression « extérieure » , dans une conception beaucoup plus cloisonnée des pouvoirs et des liens entre Etat et société.

Pour conclure, et afin de mettre en perspective cet ouvrage, il est possible d’en tirer un certain nombre de pistes de réflexion plus spécifiquement formulées en termes de gouvernance : la distinction entre intérêt et cause pourrait notamment constituer un élément de réflexion intéressant quant à la place et à la légitimité des organisations issues de la société civile dans la gouvernance mondiale. De même, un certain nombre d’analyses présentes dans cet ouvrage sur les relations entre groupes d’intérêt et institutions à une échelle nationale pourraient trouver un prolongement intéressant dans une étude des groupes d’intérêt agissant à l’international. Enfin, la trame théorique relative aux relations entre Etat et société civile est au fondement d’un grand nombre de questions la place de la (des) société(s) civile(s) dans la gouvernance mondiale.

 

Michel OFFERLE, Sociologie des groupes d'intérêt, Montchrestien, "Clefs Politiques", Paris, 1998, 2ème Ed., 158 p.

Michel Offerlé est Docteur d’Etat en Science Politique (1979)et agrégé de Science Politique (1984).

Il est Professeur de Science Politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Vice-Président de l’Association Française de Science Politique.

Par ailleurs, entre autres, il est aussi Membre du Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne, et du laboratoire de sciences sociales de l’ENS, Co-directeur des collections Socio-histoire et Sociologiquement aux éditions Belin, et Co-responsable de l’organisation du Salon des thèses en science politique.

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