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note de lecture
L’enjeu d’une captation des ressources naturelles par le secteur privé dans les zones de conflit
The Logs of War: the Timber Trade and Armed Conflict
Auteur : Global Witness
Date de la note : 06-02
Par Audrey BRASSEL, Association Biens Publics à l'Echelle Mondiale
L’exploitation actuelle des forêts dans les pays en développement montre les conséquences désastreuses que peut avoir une gestion non durable des biens communs. En plus de détruire une ressource précieuse pour des populations pauvres, l’exploitation du bois en zones de conflit nourrit un cercle vicieux entre guerre, corruption et pauvreté, et sape la démocratie. Global Witness en dénonce les multiples responsables afin d’encourager une action au niveau international.
Parfois seule chance offerte à des pays pauvres de financer leur développement, les forêts sont une des nombreuses ressources naturelles détournées de leurs bénéficiaires désignés. La lutte contre ces pratiques destructrices du bien commun commence par une prise de conscience de l’étendue et des conséquences du problème et de la nécessité d’une coopération internationale renforcée pour y mettre fin.
Le bois de conflit est défini par l’ONG Global Witness1 comme celui qui « à un moment donné de la chaîne d’exploitation, a fait l’objet de transactions commerciales impliquant des groupes armés, qu’il s’agisse de factions rebelles, de soldats réguliers ou d’une administration civile impliquée dans un conflit armé ; qu’il s’agisse, en outre, de perpétuer le conflit ou de l’utiliser pour réaliser des gains personnels » 2 . Dans le rapport « The Logs of War: the Timber Trade and Armed Conflict » , Global Witness tente de dénoncer le rôle prégnant du « bois de conflit » dans la perpétuation de nombreux conflits armés, de l’Afrique (Liberia, République Démocratique du Congo, Cameroun) à l’Asie (Cambodge, Birmanie, Indonésie). Ainsi, en lieu et place de l’usage durable des ressources en bois dans l’intérêt des populations, c’est un pillage en règle qui se déroule au vu et au su de la communauté internationale, au bénéfice de gouvernements corrompus ou de factions armées. L’exploitation des forêts dans des Etats en conflits les fait non seulement perdurer, mais profite de plus du chaos ambiant pour dépecer les forêts de façon sauvage, accélérant leur disparition et l’appauvrissement des populations qui en vivent.
Enjeu vital pour les pays en développement, les richesses naturelles attirent la convoitise des firmes multinationales étrangères qui cherchent à s’assurer une place de choix dans leur exploitation. Dès lors, tous les moyens sont bons pour obtenir et conserver le droit de les exploiter, si possible à moindre coût. Des exemptions de taxes à la violation des lois nationales et conventions internationales, c’est la corruption des gouvernements qui permet à ces entreprises de priver les populations des ressources qui leur reviennent de droit. Ce détournement des revenus de l’Etat au bénéfice de dirigeants corrompus ne fait qu’exacerber pauvreté et frustrations, enterrant la démocratie dans le même temps, et semant les germes de conflits à venir. Global Witness nous rappelle à cet égard le rôle central des ressources naturelles dans le maintien des gouvernements de ces pays : « In a developing country with few resources other than vast tracts of forest, control of this natural capital is control of power. Allocation of timber concessions becomes a mechanism for rewarding supporters and mobilising wealth to prop up the existing regime. » 3 L’abondance de ressources naturelles est ainsi devenue une malédiction pour les populations de nombreux pays en développement qui, loin de profiter de ces richesses, subissent les conséquences de la collusion de leurs gouvernements avec les firmes multinationales étrangères.
Comme le souligne le rapport, les zones de guerre sont particulièrement sensibles à ce phénomène du fait de la nécessité pour les gouvernements et les factions armées de financer rapidement leur participation au conflit : « In a conflict zone, the concepts of sustainable forestry management and forestry reform are meaningless. The (short-term) investors will log as fast as they can to maximise profits and minimise the risk to their investment inherent in staying too long. The faction in control of forest territory will encourage these practices because it maximises revenue for arms and other supplies, not to mention the personal wealth of the warlords. » 4
Le rapport étudie plusieurs situations en détail : Cambodge, Liberia, Birmanie, Zimbabwe et République Démocratique du Congo, et pour finir le Cameroun. En balayant un si large éventail de pays, dont les situations politiques et économiques sont variées, Global Witness montre que le bois de conflit est un problème à part entière qui doit être reconnu par la communauté internationale. Comment en effet légiférer sur une question dont on prétend ignorer l’existence ? Préalablement, il sera nécessaire d’admettre une définition commune et officielle du bois de conflit. Logiquement, la plupart des solutions proposées se concentrent sur l’exploitation illégale du bois, car le bois de conflit est le plus souvent exploité hors du cadre des lois nationales ou traités internationaux.
Au-delà du rapport, il est essentiel de désigner le manque de transparence comme la clé de voûte de ce système de complaisance. En effet, à aucun moment les populations locales n’ont de droit de regard sur les procédures d’allocation des concessions ou sur la légalité de l’exploitation de leurs forêts par les firmes étrangères. Elles n’ont de ce fait aucun recours juridique contre celles-ci. Nous voyons bien grâce au cas du Cameroun - pays qui n’est pourtant pas en guerre et où de nombreuses lois contre ces pratiques existent – que le manque de volonté politique pour faire appliquer la législation est étroitement lié à la généralisation de la corruption au sein des fonctionnaires et du gouvernement.
L’opacité de la filière d’exploitation du bois est totale, du producteur au consommateur, en passant par le transporteur. Ceci tend à prouver que les premiers ne sont pas les seuls à blâmer. Ainsi, et il faut insister encore plus lourdement que l’ONG sur ce point, toute solution durable au problème du bois de conflit doit trouver sa source dans les pays consommateurs, c’est-à-dire essentiellement les pays du Nord. Pour cela, une prise de conscience préalable est nécessaire : mettre fin à l’exploitation illégale du bois et au phénomène du bois de conflit ne relève pas du seul intérêt des populations des pays producteurs, mais de l’intérêt commun. En effet, la gestion non durable des forêts, par des firmes qui ne sont soumises à aucun contrôle, aboutit à leur destruction, avec des conséquences directes ou indirectes indéniables à l’échelle globale : dérèglements climatiques, disparition de la biodiversité, désertification…ne sont que la partie visible de l’iceberg.
Les forêts sont non seulement un bien public pour les populations locales à qui on nie le droit d’exploiter une ressource qui leur revient de droit, mais aussi un bien commun qui doit donc être protégé au niveau mondial. Les Nations-Unies sont justement désignées par le rapport comme les seules à avoir aujourd’hui le pouvoir d’imposer un embargo sur les exportations d’un pays, ce que l’organisation fait avec parcimonie 5. Le vide juridique au niveau international (absence de traité spécifique à la question des forêts, impunité des dirigeants face à la corruption…) permet à ces pratiques de perdurer.
Les solutions préconisées sont multiples et doivent être combinées pour garantir leur efficacité. Du niveau gouvernemental - que ce soit dans les pays consommateurs ou producteurs - au niveau international, de nombreuses étapes restent à franchir. Néanmoins, tant que la corruption reste une pratique courante et acceptée, toute tentative est vouée à l’échec. La transparence est la base indispensable des réformes à venir. D’où le besoin d’observateurs extérieurs indépendants à même de contrôler la bonne gestion des forêts, l’allocation des concessions forestières, la mise en œuvre concrète des nouvelles lois à mettre en place. Global Witness s’est déjà essayé à cette fonction dans des pays comme le Cambodge, et plus récemment le Liberia. Cependant, selon le témoignage de ses observateurs sur place, dans le cas particulier des zones en guerre, l’accès à celles-ci a pu lui être refusé sous prétexte des dangers encourus. Cela souligne le fait que sans la menace de sanctions réelles, un Etat peut prétendre coopérer afin d’améliorer son image mais réussir à contrer les efforts d’une mission d’observation.
Aujourd’hui, la nécessité d’une législation internationale est criante et le problème largement reconnu au niveau international, notamment au sein du G8 ou de l’Union Européenne. Si certains instruments existent déjà 6pour pallier chacun à un aspect du problème, rien n’existe aujourd’hui pour stopper l’exploitation illégale des forêts en elle-même. C’est ce que déplore à raison le rapport de Global Witness qui pourtant remonte à 2002 ; depuis lors la situation reste inchangée.
Ajoutons que les campagnes d’opinions soutenues de la société civile afin de responsabiliser les pays consommateurs et de les pousser à adopter des législations contraignantes n’ont pour l’instant pas abouti. La dernière initiative en date de l’Union Européenne, le plan d’action FLEGT 7, en gestation depuis 2003, s’est orienté vers des partenariats volontaires et non vers une norme contraignante. Très critiqué par la société civile, on n’attend aujourd’hui de ce nouvel accord a minima guère plus que de faibles avancées.
Les forêts de la République Démocratique du Congo sont également au cœur de l’actualité puisque les premières élections présidentielles démocratiques s’y préparent, tandis que le plan de développement de la Banque Mondiale s’appuie principalement sur l’exploitation des ressources naturelles. La société civile doit aujourd’hui faire pression sur la Banque Mondiale et les grands bailleurs de fonds afin qu’ils profitent de ce tournant décisif pour prendre des mesures favorisant une gestion durable et en faveur des populations 8.
Notes :
1 Global Witness est une ONG londonienne qui concentre sa réflexion sur le rôle des ressources naturelles dans les conflits et la corruption, et dont le but est la promotion d’une meilleure gouvernance et d’une plus grande transparence dans la gestion des revenus provenant de l’exploitation de ces ressources.
2 Les auteurs notent d’ailleurs que le terme « bois de conflit » (conflict timber) n’est officiellement employé par l’ONU que depuis 2001, alors que le phénomène en lui-même existe au moins depuis les années 1980. Le rapport des Nations-Unies n’en donne par contre aucune définition.
3 « Dans les pays en développement ayant peu de ressources si ce n’est de vastes étendues forestières, le contrôle de cette ressource est synonyme de contrôle du pouvoir. L’allocation des concessions devient alors un moyen de récompenser ses alliés et de mobiliser les richesses pour maintenir le gouvernement en place. »
4 « Dans les zones de conflit, les concepts de gestion durable des forêts et de réforme de leur exploitation n’ont aucun sens. Les investisseurs (à court terme) s’empressent d’exploiter les ressources disponibles afin de maximiser leurs bénéfices et limiter le risque de pertes inhérent à l’exploitation en zone de conflit. Les factions qui contrôlent la zone d’exploitation encouragent ces pratiques car elles leur permettent d’acheter des armes, et d’augmenter la richesse personnelle des seigneurs de guerre. »
5 C’est pourtant une méthode qui a su porter ses fruits, comme par exemple l’embargo sur les exportations de bois du Liberia en 2003.
6 Convention on International Trade of Endangered Species (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, CITES) connue aussi sous le nom de « Convention de Washington » , Convention sur la lutte contre la corruption de l’OCDE, assistance de l’Organisation Internationale des Forêts Tropicales
7 Forest Law Enforcement, Governance and Trade, Application des Réglementations Forestières, Gouvernance et Echanges Commerciaux.
8 Par exemple, par un appui à la gestion des forêts par les populations locales, un renforcement de l’administration forestière, etc.
Global Witness, « The Logs of War : the timber trade and armed conflict » , mars 2002.