une façon générale,
les années 1980 et
le début des années
1990 auront été mar-
quées par le déclin de
la puissance publique.
Inspiré par les travaux
de Milton Friedman et
confirmé par le succès des réformes entreprises
aux États-Unis et en Grande-Bretagne sous les
mandats de Ronald Reagan et de Margaret That-
cher, le discours des institutions internationales,
notamment financières, opposait en permanence
l'inefficacité publique à l'initiative privée : l'État
interviendrait trop et à mauvais escient, il faudrait
rendre, aux individus comme aux entreprises, la
liberté de choix. On justifiait ainsi des program-
mes de privatisation accélérée ou des politiques
d'ajustements structurels aboutissant au déman-
tèlement d'institutions publiques élaborées au
fil des années, parfois des siècles. En quelques
années, et dans bien des pays, l'institution étati-
que s'est réduite comme peau de chagrin.
Milton Friedman disparaissait le 16 novembre
2006, à l'âge de 94 ans. Quelle forme de puis-
sance publique ses travaux laissent-ils ? Dans la
continuité des analyses de Rod Rhodes, doit-on
désormais voir en l'État une coquille résonnant
de son propre vide, privée de toute capacité de
gouvernement ? L'État serait-il désormais livré
sans armes aux lois du marché, simple entreprise
parmi d'autres ?
À vrai dire, il est important de ne pas confon-
dre la notion socio-historique d'État et la notion
institutionnelle de gouvernement : les évolutions
du premier n'affectent pas forcément le second.
Ainsi, il n'est pas évident qu'un retrait de l'État
sous forme de privatisations ou de coupes bud-
gétaires s'accompagne d'une perte de capacité
objectivement quantifiable. S'agissant de l'exem-
ple britannique, de nombreux travaux nous
montrent que, malgré les privatisations, malgré
sa perte de masse, l'État conserve un certain pou-
voir de formatage et de vassalisation des entre-
prises qui lui fournissent différents services.
En tout état de cause, il ne faut pas oublier que
la libéralisation de l'économie est avant tout le
fait de décisions politiques. C'est peut-être aussi
cette résistance des gouvernements qui explique
les difficultés rencontrées par la construction
européenne. Les gouvernements ne semblent pas
prêts d'accepter l'existence d'autres formes de
pouvoirs qui les dépassent ou les égalent.
Ceci étant, il ne faut pas oublier non plus que
l'État du Nord n'est pas forcément comparable à
l'État du Sud. L'exemple du Mali, développé par
Gisèle Belem dans l'une des rubriques à suivre,
illustre bien la faiblesse des technologies de gou-
vernement dont disposent certains pays. Épuisé
par des années de politique d'ajustement struc-
turel, vidé de la majeure partie de ses forces vives
économie budgétaire oblige le gouvernement
malien semble en bien mauvaise posture pour
réguler le marché.
La firme serait désormais, dit-on, socialement
responsable. Respectueuse du développement
durable et au bien-être des populations, elle se
substituerait harmonieusement à
l'État dans certains domaines comme
l'éducation, la santé, la protection de
l'environnement, etc. À quoi bon
l'État si la firme peut le remplacer !
Pourtant, le problème commence là
où s'arrêtent ses compétences pro-
pres d'entreprise : l'entreprise n'est
pas responsable d'une société, mais
tout au plus d'une communauté,
celle de ses employés, et ne saurait se substituer
aux missions universelles de l'État. L'État n'est
pas un acteur comme les autres, que l'on pourrait
soumettre à des critères de rendement ou de com-
pétitivité : de sa capacité à gouverner et à garan-
tir certains services dépend aussi le bien être de
la société et la vitalité de la démocratie.
Mais l'héritage de Milton Friedman, n'est-il
pas d'avoir produit une mutation irréversible des
attentes du peuple envers l'État ? m
L'État n'est pas un acteur
comme les autres, que
l'on pourrait soumettre à
des critères de rendement
ou de compétitivité. »
C H R O N I Q U E S D E L A G O U V E R N A N C E 2 0 0 7 ·
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État,
gouvernement,
démocratie :
approfondissement
d'une relation,
réinvention d'une
institution