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C H R O N I Q U E S D E L A G O U V E R N A N C E 2 0 0 7 ·
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Désir d'Europe,
Europe en panne
État,
gouvernement,
démocratie :
approfondissement
d'une relation,
réinvention d'une
institution
trations nationales en recourant à de multiples
comités d'experts et vis-à-vis des groupes d'inté-
rêt en accordant d'autant plus d'attention à leur
expertise qu'il n'existait pas de partis politiques
à même de les représenter à l'échelon européen.
[...] Sous le vocable du principe de subsidiarité,
la décentralisation s'est manifestée sous la forme
du recours aux appareils administratifs et juri-
dictionnels des États membres pour assurer, en
l'absence d'administrations centrales d'enver-
gure à Bruxelles, l'exécution des décisions. D'où
est résultée l'émergence d'un mode de gouver-
nance à plusieurs niveaux [...].
L'éparpillement des centres de décision et des
pôles d'influence rend d'autant plus
difficile, aux yeux des citoyens, l'im-
putation des mesures qui les concer-
nent et aléatoire la mise en jeu de
la responsabilité des acteurs de ces
mesures ­ ce que les Anglo-Saxons
appellent « accountability ». Ce qui
s'est vérifié dans le cadre de la Com-
munauté européenne du fait de l'ex-
tension croissante de ses missions, tantôt élargies
par les traités, tantôt étendues par un processus
d'engrenage qualifié de spillover. Une incertitude
croissante a, par conséquent, affecté la réponse à
la question : « Qui fait quoi ? ». [...]
Il n'en reste pas moins que, pendant près de
trente ans, la méthode communautaire pratiquée
par le « triangle institutionnel » formé par la
Commission européenne, le Conseil des ministres
et le Parlement européen, et arbitré par la Cour
de justice, a réussi à exercer une gouvernance
exemplaire. Il n'en existe aucun précédent ; et
elle n'a suscité jusqu'à présent aucun concurrent.
Ce « système en réseau », maintenu à l'écart du
modèle étatique traditionnel fondé sur la sépara-
tion des pouvoirs, grâce au rôle spécifique de la
Commission, a pu fonctionner en faisant l'écono-
mie d'un véritable gouvernement. [...]
Désormais, du fait de son « déficit démocra-
tique », souvent d'ailleurs plus illusoire que
réel, mais surtout de l'élargissement de l'Union
européenne aux dimensions du continent, cette
méthode peut apparaître insuffisante pour exer-
cer les missions régaliennes qui lui sont désor-
mais confiées, du fait de l'exercice en commun
des souverainetés. [...] Il n'en reste pas moins
vrai que l'extension de cette méthode s'est heur-
tée dès l'origine à la singularité du domaine réga-
lien des États. [...] C'est le traité de Maastricht
qui aura mis en lumière la difficulté. Car plutôt
que d'étendre progressivement la méthode com-
munautaire à la politique étrangère et de sécurité
commune (PESC) ainsi qu'à la justice et aux affai-
res intérieures (JAI), il les a situées dans deux
« piliers » distincts relevant exclusi-
vement de la compétence du Conseil
des ministres statuant à l'unanimité.
Si bien que le fractionnement ainsi
opéré entre les matières relevant de
la méthode communautaire et celles
réservées à la pratique intergouver-
nementale a rendu fictive l'affirma-
tion établie, par ailleurs, à l'article 3
du traité sur l'Union européenne de l'existence
d'un cadre institutionnel unique. En propo-
sant de fusionner la Communauté européenne et
l'Union, la Convention sur l'avenir de l'Europe
tentait de le prendre au mot. Et en reconnaissant
la personnalité juridique de l'Union européenne,
cette proposition devait logiquement supprimer
le cloisonnement institué entre les piliers. [...]
Paul Magnette s'interroge, avec raison, sur la
pertinence de la notion avancée par des cher-
cheurs de « gouvernance démocratique ». Elle
supposerait, en effet, que la relation entre le con-
cept de gouvernance et la capacité d'expertise
n'engendre pas, pour autant, un pouvoir tech-
nocratique. Or, même s'il est à l'écoute à travers
les groupes d'intérêt et les mouvements
Ce texte est l'extrait
d'un article paru
dans un numéro de
la revue
Sciences
Humaines consacré
au thème :
« Gouvernance, du
slogan à la réalité »
(août 2004).
Pendant près
de trente ans,
la méthode
communautaire a
réussi à exercer
une gouvernance
exemplaire.