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7 4 · C H R O N I Q U E S D E L A G O U V E R N A N C E 2 0 0 7
Quelle légitimité
pour les acteurs
extérieurs en situation
de crise et de conflit ?
Le modèle
démocratique à rude
épreuve : la tension
légalité-légitimité
1990 avaient déclenché un scandale poli-
tique de grande ampleur au Royaume-Uni. À
cette occasion, Tim Spicer avait été représenté
comme la figure archétypique du mercenaire
sans scrupule : sous le poids de cette stigmatisa-
tion, Sandline dut se retirer du secteur, malgré
ses efforts de communication. Aegis n'est en fait
autre qu'une nouvelle mouture de la société San-
dline : son équipe est en effet à peu de choses
près la même. En fondant cette nouvelle entre-
prise, l'équipe de Sandline cherchait
en quelque sorte à se donner une
« seconde chance », ce qui impliquait
la définition d'une nouvelle image.
Dans ce contexte polémique particu-
lièrement difficile, on imagine aisé-
ment qu'une charte d'éthique n'aurait
guère suffi. On peut donc voir dans
la démarche philanthropique d'Aegis
une volonté de se démarquer clairement de l'hé-
ritage Sandline, empreint d'une connotation mer-
cenariale trop forte : si le mercenaire reste dans
l'imaginaire collectif la figure même du « chien
de guerre » sans scrupule, Aegis souligne par
des moyens renouvelés son souci du bien com-
mun et sa volonté de limiter les malheurs de la
guerre. L'institutionnalisation d'une oeuvre phi-
lanthropique permet à Aegis de se constituer une
mémoire hagiographique, visant à inscrire de
plain-pied l'entreprise dans la reconstruction de
l'Irak. Ce faisant, elle limite les coûts de transac-
tion qu'impliquerait une hostilité entretenue de
la part de la société civile.
Cette initiative porte aussi clairement la mar-
que des efforts entrepris par de nombreuses
sociétés militaires privées anglo-saxonnes en vue
de se positionner au sein d'un marché en pleine
expansion : la gestion technique des opérations
de reconstruction et de maintien de la paix. L'im-
portance accordée par Aegis à sa fondation phi-
lanthropique témoigne d'une diversification du
recrutement de certaines sociétés militaires pri-
vées, en vue d'élargir leur réseau d'expertise à
des systèmes de pratiques humanitaires. Si cette
entreprise investit dans une oeuvre philanthro-
pique et participe à la reconstruction de l'Irak,
c'est aussi pour montrer qu'elle est capable de
participer, comme les armées, comme les ONG,
­ et peut-être mieux qu'elles ­ à des actions de
type civilo-militaires.
Mais l'ancien mercenaire peut-il se convertir
en philanthrope par une action où se mêlent la
stratégie de marketing et l'opération
de communication ? Il est peu dou-
teux que les États aient dans un ave-
nir proche recours aux prestations de
sociétés militaires pour appuyer cer-
taines opérations de paix. Sans met-
tre en doute l'efficacité des projets
financés par Aegis Foundation, on
peut néanmoins se demander jus-
qu'à quel point des acteurs dont la légitimité est
sujette à caution peuvent contribuer à la recons-
truction d'une gouvernance légitime pour les
sociétés irakiennes et afghanes, déchirées par la
guerre civile. L'évolution vers une gouvernance
de sécurité
3
impliquant ces nouveaux acteurs
supposera le développement de véritables garan-
ties de la part des sociétés militaires privées. m
1. Voir, entre autres, Makki (S.), Nouveaux Mercenaires et
Armées privées
, Paris, La Découverte, 2006. ; Makki (S.),
Privatisation du militaire, Militarisation de l'humanitaire
,
Paris, CIRPES, Cahiers d'études stratégiques, 36-37, 2004.
2. On se reportera, pour plus d'informations, au site Inter-
net de la firme : http://www.aegisworld.com
3. Voir Krahmann (E.), "Conceptualizing Security Gover-
nance", Cooperation and Conflict, 38 (1), pp. 5-26.
Dans ce contexte
polémique
particulièrement
difficile, on imagine
aisément qu'une
charte d'éthique
n'aurait guère suffi.