Christina Poulidou in O Kosmos tou Ependyti*, Courrier International n°800, 2 mars 2006
L’idée d’une fédération bicommunautaire pour régler la division de l’île semble perdre du terrain. Certains pensent aujourd’hui à appliquer le statut de Taïwan à la partie sous occupation turque.
Divisée depuis l’invasion de l’armée turque, en 1974 [entre la république de Chypre, grecque, et une partie nord, occupée par la Turquie et non reconnue par la communauté internationale], Chypre doit trouver une solution sans que ses intérêts nationaux et surtout économiques soient remis en question. Le problème chypriote est entre les mains du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, dont le plan de règlement a été rejeté par les Chypriotes grecs lors du référendum du 24 avril 2004. [Les habitants de la partie turque, également consultés par référendum, avaient de leur côté approuvé le plan Annan.] Ce plan s’appuyait sur l’idée que Chypre pourrait devenir une confédération, une bizone ou une fédération bicommunautaire. Depuis deux ans, les Chypriotes grecs ont évolué. Ils savent que la mise en place d’un Etat bicommunautaire est moins probable, parce que les conditions d’une entente entre les deux parties ont changé. Et, aujourd’hui, certains milieux diplomatiques suggèrent aux Chypriotes de considérer l’exemple de Taïwan. Taïwan est théoriquement une province de la Chine. L’île n’est pas reconnue par l’ONU, mais elle dispose d’une capacité étatique et d’une capacité juridique en matière de commerce et pour ses activités économiques. Diplomatiquement, elle est représentée dans le monde par des “bureaux commerciaux et de collaboration culturelle”. Taïwan n’est donc pas officiellement reconnue sur la scène internationale. Mais, dans les faits, elle est considérée comme un Etat par les pays qui entretiennent des relations avec elle. Projetons cette situation sur le cas de Chypre. D’une part, les Chypriotes turcs renonceraient à obtenir leur indépendance par rapport à la partie grecque de l’île, et seraient donc considérés comme faisant partie de l’Union européenne. C’est ce qu’ils souhaitent, parce qu’ils bénéficieraient ainsi indirectement d’une partie des acquis européens. D’autre part, Nicosie serait libéré des pressions internationales visant à lui faire mettre fin à l’embargo économique qu’il impose à la partie occupée, sans que sa souveraineté sur l’ensemble de l’île soit remise en question et sans que la communauté internationale ne reconnaisse l’occupation turque. Pour Giorgos Iakovou, le ministre des Affaires étrangères chypriote grec, la “taïwanisation” de la partie turque de Chypre présenterait cependant un véritable danger de dégradation par rapport à la situation actuelle. Car, dans le cas de Taïwan, le poids politique de la Chine impose des limites à ce régime sui generis. La république de Chypre, dont le poids politique est faible, ne serait quant à elle pas en mesure d’empêcher une forme de reconnaissance internationale de la partie occupée. La communauté internationale s’oriente pourtant vers la recherche d’un modèle permettant le développement de la partie nord de l’île en contournant la république de Chypre, accusée de n’avoir rejoint l’Union européenne [le 1er mai 2004] que pour geler le problème chypriote et retarder un règlement qui ne serait pas à son avantage. Le processus actuel de règlement du problème chypriote doit donc être remis en question faute de volonté politique suffisante. En cas de nouveau plan de règlement de la crise, le président de la république de Chypre, Tassos Papadopoulos, a déjà prévenu qu’il demanderait ce “qu’en disent les Russes, les Français et les Chinois”. De fait, la volonté des Chypriotes grecs d’impliquer de plus en plus de pays est interprétée par la communauté internationale comme une tentative de ralentir le processus et entretient la méfiance sur la sincérité de leurs déclarations en faveur d’un règlement. Chypre est dans une situation difficile. L’île est dans l’impasse. Seules la Grèce et – partiellement – la Russie soutiennent le gouvernement de Nicosie, qui semble ne plus savoir où il va.
*O Kosmos tou Ependyti : "Le monde de l’investissement", réputé pour la qualité de ses analyses, est le journal de référence des hommes d’affaires grecs. Créé en 1991 - il s’appelait alors Ependytis (Investisseurs) -, ce magazine a changé d’éditeur, de direction éditoriale et de nom en novembre 2002.