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Républiqe Démocratique du Congo : Quand les Eglises se battent pour la démocratie

Collette Braeckman, in Enjeux Internationaux* (Bruxelles), Courrier International n°813, 1er juin 2006.

Bien que la violence continue de régner dans l’est du pays, la société civile se mobilise pour que les élections de juillet 2006 se déroulent d’une manière libre et transparente. Les religieux sont très actifs dans ce combat.

Même si aucune voiture ne la traverse, la petite ville minière de Kamituga, à la lisière du Sud-Kivu et du Maniema, est envahie dès l’aube par le bruit : la rumeur qui monte du marché, où les gens se pressent pour acheter des articles à bas prix importés de Chine, les radios et lecteurs de cassettes à pleine puissance, la pétarade des motos rutilantes des jeunes gens fiers de faire tourner les moteurs. Et, aussi, lancinant comme le rythme des sonnailles, entêté, de l’aube au crépuscule, il y a le martèlement régulier des pilons, ces marteaux brandis par les femmes et qui remplacent les machines, depuis longtemps rouillées. Toute la journée, sept jours par semaine, les femmes de Kamituga qui ont déserté l’agriculture et fui leurs champs concassent les pierres que leur apportent les creuseurs. Elles les réduisent en de petits monticules de poussière grise, qui seront ensuite tamisés jusqu’à l’apparition de particules brillantes de cet or tant convoité. Le salaire de ces femmes ne dépasse pas 1 dollar par jour. Cependant, elles ne se plaignent pas. Elles expliquent qu’en ville, au moins, elles jouissent d’une certaine sécurité et ne risquent pas d’être enlevées ou violées par les Interahamwe, ces Hutus rwandais qui se cachent toujours dans les forêts du Maniema. Lorsque l’on franchit la clôture de la paroisse, la rumeur de Kamituga s’apaise, faisant place à une atmosphère studieuse. A côté du bureau de l’abbé Jean-Claude, des femmes se réunissent autour de Dévote, une infirmière. Le motif de leur rencontre est à la fois simple et ambitieux : elles veulent au plus tôt apprendre à lire et à écrire, afin, nous explique Dévote, d’“être capables de remplir au mieux leur devoir électoral”. Dévote traduit volontiers les propos de ses concitoyennes : elles ne disposent pas de carte d’identité, n’ont jamais été enregistrées à l’état civil et savent que l’enregistrement comme électrices leur permettra d’avoir des papiers d’identité. Mais, surtout, ces femmes ont compris que les élections vont leur permettre pour la première fois de leur vie de choisir leurs dirigeants, et cela à tous les niveaux. Elles insistent : “Ici, dans l’Est, nous avons été occupés, exploités, pillés. Les responsables de nos malheurs sont toujours là, demain ils se présenteront au vote. Mais nous savons aussi qu’il y aura d’autres candidats, venus de la base : d’anciens syndicalistes, des patriotes, des gens qui ont incarné la résistance. Nous voulons pouvoir choisir, être capables d’être observatrices dans les bureaux de vote et empêcher les tricheries.”

Les Congolais ont une grande capacité de mobilisation

Déjà lors de l’enregistrement des électeurs, elles ont été très attentives, veillant à ce que des “non-Congolais”, c’est-à-dire des étrangers infiltrés, rwandais ou burundais, ne puissent s’inscrire comme des nationaux. Et c’est avec la même attention qu’elles ont parcouru les listes des personnes enregistrées affichées à l’extérieur des bureaux. L’abbé Jean-Claude supervise à la fois l’alphabétisation des femmes et la préparation des élections, et il prête les locaux des écoles paroissiales à la commission électorale indépendante. Son optimisme est celui de la volonté : “A Kinshasa – et moins encore à l’extérieur du pays –, on ne mesure guère la capacité de mobilisation des Congolais. Les gens veulent voter, et ils se sont depuis longtemps organisés pour que ce scrutin ait lieu, y compris dans les régions les plus lointaines… On oublie aussi que cette ‘auto-organisation’ populaire est ancienne ; elle remonte au temps de Mobutu, qui nous avait abandonnés…” Sur le terrain, l’accord passé entre les catholiques, les protestants, les musulmans et les “Eglises de réveil” – c’est-à-dire les sectes, qui se multiplient dans tout le pays – est une réalité : toutes les confessions religieuses se sont entendues pour s’abstenir de faire du prosélytisme et unir leurs efforts afin de former leurs fidèles dans la perspective des élections. Un tel accord est d’une importance capitale dans ce pays où tous les citoyens, à de rares exceptions près, revendiquent une appartenance religieuse… Il est probable que cette détermination des organisations de base se maintiendra, malgré les messages contradictoires émanant des hiérarchies. En effet, le président de la Commission électorale indépendante (CEI), l’abbé Malu Malu, fortement soutenu par la base, s’est retrouvé en froid avec la conférence épiscopale. L’enregistrement de 20 millions d’électeurs, qui s’est déroulé à travers tout le pays en dépit des difficultés logistiques et des consignes de boycott lancées par certains partis – comme l’Union démocratique pour le progrès social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi –, démontre aussi combien, malgré la faillite de l’Etat congolais, maintes fois décrite, le peuple est resté debout : les simples citoyens ont préservé leur désir de former une nation, ils se sont organisés pour survivre et pour résister à l’agression étrangère et sont, dans leur très grande majorité, déterminés à se rendre aux urnes. Leur seule frustration, pour beaucoup, est de n’avoir pas pu rejoindre en temps utile les bureaux d’enregistrement. Cette capacité d’auto-organisation de la population congolaise échappe souvent, et parfois déplaît, aux représentants de l’ONU et aux équipes humanitaires, qui préfèrent avoir le sentiment de se déployer sur une table rase où tout serait à reconstruire. Sur le terrain, il arrive que des équipes de Médecins sans frontières (MSF), désireuses de distribuer des médicaments et de prodiguer des soins médicaux sans faire payer une population extrêmement pauvre, se heurtent au personnel de santé congolais. Les arguments sont pertinents des deux côtés : MSF avance que la politique de recouvrement du coût des soins de santé interdit l’accès des dispensaires à une grande majorité de la population, tandis que les “locaux”, médecins et infirmiers, rappellent que, si les faibles structures de santé – qui datent de l’époque coloniale et des premières années du régime Mobutu – ont tenu malgré l’absence de tout soutien officiel, c’est parce que les populations locales avaient été habituées à se prendre en charge… Dans les dispensaires et les centres de santé, y compris ceux qui dépendent des institutions religieuses, il est demandé aux patients d’apporter une contribution, même symbolique, et beaucoup redoutent que l’aide étrangère, en restaurant la gratuité, fasse disparaître ces réflexes d’autosuffisance depuis longtemps enracinés. Au Congo, en effet, il y a longtemps que les citoyens ont appris à se passer de l’Etat : en crise économique depuis la fin des années 1970, le régime mobutiste, préoccupé par son maintien au pouvoir et par l’enrichissement de ses élites – et d’autant plus indifférent aux besoins de la population qu’aucune élection libre et démocratique ne pouvait le sanctionner –, a longtemps délégué le social aux coopérations étrangères.

Importantes collectes de fonds à l’étranger

Depuis le début des années 1990, le régime, à bout de souffle et en disgrâce sur le plan international, a été pénalisé par les Occidentaux, qui, en retirant toutes leurs coopérations directes, ont en réalité abandonné les populations à elles-mêmes. Après la chute du régime Mobutu, les Congolais ont connu cinq années d’une guerre meurtrière puis, après les accords de paix de Sun City [en Afrique du Sud], deux années d’une transition où le secteur social fut le cadet des soucis de leurs dirigeants, promus par la force des fusils. Malgré cela, même s’ils ont parfois le sentiment d’être abandonnés, les Congolais ont fait face à l’adversité. Partout dans le pays, dans la brousse comme dans les villes, lorsqu’on leur demande comment ça va, ils ont cette réponse à la fois claire et évasive : “Nous sommes là, ça va un peu, un peu seulement.” Traduisez : les temps sont durs mais on s’accroche, on a résisté, on espère que cela ira mieux. Les réseaux des Eglises ont également joué leur rôle, et le circuit des missions est resté intact, malgré le vieillissement des prêtres étrangers. Avec tout ce que cela signifie : les possibilités de collectes de fonds à l’étranger, les circuits invisibles permettant le transfert des capitaux, la distribution de l’aide en dehors des réseaux du pouvoir, etc.

*Enjeux Internationaux (Bruxelles) :"Mieux comprendre pour mieux agir", telle est la devise de cette revue créée en 2003 qui croise les regards du Sud et du Nord et rassemble journalistes et universitaires pour expliquer le monde de manière décalée et progressiste.

Pour approfondir la réflexion :

- Dossier : Les défis de la paix dans la région des Grands Lacs après les massacres de 1994 : Diversité des acteurs et des échelles de gestion d’un conflit. - Dossier rédigé pour le site irenees.net