...estiment deux chercheurs libanais. Dalia Ebeid et Michel Doueyhi in An Nahar*, Courrier International n°825, 24 août 2006.
Il faut certes désarmer le Parti de Dieu. Mais il faut avant tout combattre son idéologie djihadiste inspirée par l’Iran et incompatible avec l’Etat de droit, estiment deux chercheurs libanais.
Le concept d’un Etat hezbollahi s’est installé dans le subconscient de la majorité chiite [au Liban]. Cela paraît évident, à voir le comportement des réfugiés victimes de l’agression israélienne fuyant le Sud en direction de zones moins exposées, notamment Beyrouth ou la montagne libanaise. Comme dans toute guerre, ces réfugiés laissent derrière eux biens, souvenirs et êtres chers. Ce qu’ils ont eu à cœur d’emporter, en revanche, c’est le drapeau jaune de leur “Etat” [le drapeau du Hezbollah] et les portraits de leur chef révolutionnaire et islamiste [Hassan Nasrallah], celui que ses inconditionnels comparent à Che Guevara, le symbole le plus populaire de l’anti-impérialisme au XXe siècle. Pareils comportements illustrent on ne peut mieux les efforts consentis par le Hezbollah à partir de 1985 pour investir le tissu social des populations chiites, pauvres et laissées pour compte. Parallèlement se sont développés au sein de ces quartiers goût du secret, méfiance et espionnite. Aujourd’hui, cette société s’est dans son ensemble laissé convertir à l’idée d’un Etat islamique dont la frontière avec le reste du Liban serait cette Ligne bleue imaginaire qui a fait barrage à l’intégration des chiites dans l’Etat libanais et leur acceptation des lois de la République, malgré la signature des accords de Taëf** et la fin des accusations infamantes qui ont pesé historiquement sur la communauté chiite [jadis mal représentée dans les rouages de l’Etat libanais]. Il apparaît, compte tenu de ces réalités, que les armes détenues par le Hezbollah ne constituent pas la seule difficulté que doit résoudre le Liban dans son effort pour étendre sa souveraineté à tout son territoire et garantir son indépendance. Face à cette entreprise se dresse une organisation inspirée de la révolution islamique iranienne et dont la culture est fondamentalement liée à une doctrine religieuse qui compte parmi ses préceptes fondamentaux le djihad et l’usage des armes. Le Hezbollah a exploité la misère dont souffrent les populations [du Sud-Liban] pour convertir à ses thèses la jeunesse chiite et produire une génération de candidats au martyre. Cette culture étrangère à la société libanaise œuvre à l’encontre de tous les efforts menés historiquement pour “libaniser” les chiites et les intégrer à la communauté nationale avec toutes ses composantes et pour les amener à accepter les institutions démocratiques d’un Etat de droit. De là apparaissent l’importance et l’urgence d’ouvrir le débat sur la manière d’amener la communauté chiite à entendre raison. Pour parvenir à établir sa souveraineté sur ces territoires, l’Etat doit prioritairement assumer son rôle dans la reconstruction de ce qui a été détruit et ne plus laisser cette responsabilité, comme c’est le cas actuellement, aux organismes du “djihad de la construction”, dépendants du Hezbollah. Pareille décision serait un premier pas qui devrait aboutir à ce que l’Etat prenne sous son autorité tous les services sociaux et de développement jusqu’ici assurés par le Hezbollah. Pour réussir cette étape, la première mesure à entreprendre est de faire en sorte que l’Etat, via un déploiement de l’armée légitime sur tout le territoire, soit le détenteur exclusif de tout armement présent sur le sol libanais.
Le choix des Islamistes est d’ignorer l’État et sa souveraineté
Quant à l’armement détenu par le Hezbollah, il conviendrait de considérer avec réserve une des solutions préconisées, à savoir l’intégration des forces de l’organisation au sein de l’armée et de la police nationales. Du moins tant que cette organisation reste tributaire des régimes iranien et syrien. Sans oublier que les convictions des combattants du Hezbollah ne vont certainement pas changer du jour au lendemain pour se conformer à celles de l’armée libanaise. Intégrer le Hezbollah à l’armée libanaise après la fin de l’agression israélienne comporte le risque de voir se créer des cellules irano-syriennes au sein de la plus importante institution libanaise et d’assister un jour à un putsch qui renverserait le gouvernement libanais. Parallèlement à ces différents projets, et condition importante pour qu’ils puissent être menés à bien, il est indispensable que le gouvernement œuvre à rétablir la confiance dans les institutions et mène campagne pour réconcilier l’individu avec l’Etat. Pour finir, il paraît évident, à travers les discours répétés de Hassan Nasrallah, qui considère que les raids israéliens sont dirigés contre les enfants de Mahomet, d’Ali, de Hassan et de Hussein [le Prophète et les figures religieuses du chiisme] et que la guerre durera – “que les Libanais le veuillent ou non” –, que le choix du Hezbollah est d’ignorer l’Etat et de refuser le principe que la souveraineté est celle du peuple libanais tout entier. La question est de savoir si les Libanais, et les chiites en particulier, accepteront de rester otages de telles prises de position. Et si le gouvernement libanais acceptera que les familles chiites demeurent dans la prison économique et sociale du Hezbollah.
*An Nahar : "Le Jour" a été fondé en 1933. Au fil des ans, il est devenu le quotidien libanais de référence. Modéré et libéral, il est lu par l’intelligentsia libanaise.
** Accords signés en 1989 en Arabie Saoudite par tous les dirigeants libanais, qui ont mis fin à la guerre civile au Liban et accordé plus de pouvoirs aux communautés musulmanes, majoritaires dans le pays.
Pour approfondir la réflexion :
Eclairage et enjeux de la gouvernance dans le monde arabo-musulman : Rôle de la religion et de l’Histoire dans la construction d’une conception spécifique de la gouvernance, Par Mohamed Larbi Bouguerra
Pluralisme politique et autoritarisme dans le monde arabe : Approche anthropologique des systèmes politiques des pays arabes Par Lahouari Addi